Chronique d’un village ghettoïsé
Csenyéte
Nul n’ignore la problématique rom en Hongrie et il n’est pas toujours aisé d’obtenir des informations fiables sur le sujet. Même si le travail du sociologue hongrois János Ladányi se concentre sur un village en particulier, il nous permet d’appréhender la situation de manière plus large et de se poser la question du statut de la population rom en Hongrie.
De 1989 à 2000, János Ladányi et son équipe se sont attachés à l’étude d’un village rom du Nord-Est de la Hongrie, Csenyéte, dans le but de mettre en lumière le passage de “classe populaire” à celle de sous-prolétariat de la population du village. Il s’agit donc ici d’identifier les mécanismes structurels en action dans ce processus et d’analyser la culture de la pauvreté et son rôle dans la perennité de l’exclusion. La question centrale de ce travail est de comprendre comment la population rom de ce village est-elle passée de classe inférieure de la société à un statut de “caste” exclue de cette même société ?
De “classe populaire” à “sous-prolétariat”
La création de ce village répond à des demandes officielles d’ONG afin de promouvoir le développement d’une communauté, à l’aide de collectes de fonds et d’initiatives locales. Durant la période socialiste, l’activité agricole devient l’activité principale du village, permettant ainsi d’atteindre le quasi plein emploi.
La fin du régime socialiste, pour la population rom de Csenyéte, marque la fin d’une période de politique d’assimilation dont elle était clairement dépendante. Le chômage s’abat en premier lieu sur l’agriculture et touche ainsi la main-d’œuvre non qualifiée, où les roms sont nombreux. C’est là que la transformation, le passage entre classe populaire et sous-prolétariat s’opère: tandis que les familles en pleine ascension sociale quittent le village, ceux qui ne sont pas en mesure de le faire y demeurent et se voient progressivement exclus.
Les caractéristiques de cette nouvelle donne, mises en relief par le travail des sociologues, sont la segrégation résidentielle, l’exclusion du marché du travail et une inégalité en terme de système éducatif. Dès lors qu’un système scolaire spécifique est mis en place pour les enfants roms, l’égalité des chances face à l’emploi est biaisé.
Une “culture de la pauvreté” souvent mal comprise
C’est dans ce contexte que la culture de la pauvreté intervient, étant une réponse à la pauvreté et non une cause de celle-ci. Les racines de cette culture n’ont rien d’ethnique ni de traditionnel comme on peut parfois (trop souvent ?) le penser. Elle se comprend plus comme une solution d’urgence, empreinte d’une solidarité entre les membres de la communauté concernée et un certain désenchantement face au futur et à toute structure hiérarchique qui pourrait provenir de l’extérieur.
Isma Hassaine Poirier
János Ladányi est professeur au département de Sociologie et Science Politique à l'Université Corvinus de Budapest. Il a également enseigné et été chercheur aux États-Unis (notamment à l'Université de Yale et à l'Université de Californie), en Autriche et en Hongrie. Outre la corrélation entre pauvreté et origine ethnique, ses sujets de recherche s’inscrivent plus largement dans la sociologie urbaine comparative, les problématiques liées au logement, à la stratification sociale, aux conflits dans les sociétés ex-communistes et à la transition post-communiste, à la politique sociale et à l'éducation.
János Ladányi et Ivan Szelényi, Patterns of Exclusion: Constructing Gypsy Ethnicity and the Making of an Underclass in Transnational Societies of Europe, Stanford University Press (version en anglais), Napvilág (version en hongrois), 2004.