C’est la révolution!

C’est la révolution!

Le 7 septembre 2010, devant les professeurs du cercle Batthyány, le Premier Ministre a profité de sa présence pour faire le bilan des cent premiers jours de l’action de son gouvernement. Devant un auditoire manifestement glacial et impassible, il n’a pas hésité à employer le terme de révolution pour qualifier son arrivée au pouvoir. Quiconque prétend vouloir comprendre, analyser et, si nécessaire, critiquer l’actuelle politique du cabinet Orbán, doit se pencher sur le contenu de ce discours.

Le 11 avril 2010, date historique?

Oui, selon M.Orbán. Le raz-de-marée orange du printemps 2010 est le fil conducteur du discours. Dès les premières minutes du discours, le 11 avril est élevé au rang des dates les plus importantes de ces dernières décennies. En 1956, la révolution était armée. En 1989, la révolution était constitutionnelle. Aujourd’hui, la révolution est électorale. Elle se nomme «révolution des deux tiers». On ne peut pas nier le goût pour l’Histoire de M.Orbán. La majeure partie de son discours relate du passé, d’une époque que la révolution des deux tiers a su achever. Huit années perdues mais rattrapées en seulement cent jours. Ces huit années furent marquées par ce que le chef du gouvernement appelle «l’utopie modernisatrice de gauche». D’après lui, cette utopie a échoué, à jamais. Simplement, et au risque de contredire M.Orbán, les cabinets précédents l’actuel n’avait pas la moindre volonté de se battre pour une quelconque utopie. Ils se sont lâchement conformés aux règles du marché sans vouloir un seul instant renoncer à ce que Marx appelait «la société du calcul froid et égoïste de l’argent». Il faut reconnaître un certain mérite au Premier Ministre à vouloir s’attaquer, au moins dans son discours, au néolibéralisme. Il fait cependant fausse route en assimilant celui-ci à une utopie. Le néolibéralisme est au contraire le renoncement à toute utopie. Renoncement dont M.Orbán se réclame. La boucle est bouclée. La deuxième erreur que commet le Premier Ministre est de mettre dans le même sac les gouvernements des huit dernières années et ceux des «années de plombs». Quel rapport entre la politique qu’a mené Kádár et celle qu’a mené M.Gyurcsány? Peu importe pour M.Orbán. L’essentiel est d’y croire.

La droite face au néolibéralisme: farce ou réalité?

Certaines phrases dans le discours de M.Orbán sonnent comme étant d’un autre bord politique que le sien, c’est incontestable. L’intéressé reconnaît d’ailleurs avoir puisé dans le vocable de M. Gyula Horn, Premier Ministre socialiste entre 1994 et 1998, élu en ayant attisé le sentiment de nostalgie pour l’ancien régime. Dans la réalité cela se traduit notamment par le plafonnement de la rémunération de certains dirigeants (Banque centrale, entreprises d'État,…). Par ailleurs, la taxation sur l’actif net des banques qui s’étalera sur deux ans à un taux bien plus élevé que ce que prévoit d’autres États. Cependant son caractère provisoire l’empêche d’être une révolution, mais au moins les responsables payeront. C’est à peu près tout. Les ardeurs de M. Orbán s’arrêtent ici. Le reste de son programme économique, annoncé en juin dernier dans ce que l’on a appelé les 29 points Orbán et partiellement mis en œuvre au cours de ces cent premiers jours, est tout sauf révolutionnaire. Des allègements de charges sont prévus sur les sociétés. Un taux d’imposition unique de 16% sur les foyers signerait la mort de la progressivité de l’impôt. Les 29 points collent avec ce que les économistes appellent la doctrine Schmitt (chancelier allemand de 1974 à 1982), selon laquelle il faut avant tout défendre les riches dans une société, car eux seuls créent de la richesse. Pour la classe moyenne et pauvre, c’est tout sauf la révolution. Aucunes mesures ne sont prévues pour les retraités et les bas salaires. M.Orbán veut défendre Main Street face à Wall Street. Si son entreprise est un succès alors on sera en mesure de parler de révolution. Une chose est sûre: ce n’est pas avec ses 29 points qu’il y parviendra.

Yann Caspar

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