Caricature et régal esthétique

Caricature et régal esthétique

Cinéma

Scénariste, monteur, truquiste, réalisateur : Péter Tímár est un touche à tout du cinéma hongrois. En 1985, il réalise une comédie restée très populaire en Hongrie, Egészséges erotika que l’on pourrait traduire par Erotisme sain.

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Quelque part en République Populaire de Hongrie durant les années 80, tandis que les ouvrières d’une fabrique de cageots à la rentabilité nulle plantent leurs clous, le directeur et le tout frais préposé à la prévention incendie installent à leur insu un système de surveillance vidéo censé prévenir scientifiquement les risques de feu. L’une des caméras étant positionnée dans les vestiaires des filles, dissimulée derrière un Apollon communiste de carton, on prend l’habitude de déguster le café devant les télévisions retransmettant les déshabillages en direct de ces dames. Très vite se joignent au spectacle le grand patron, un vétérinaire à la voix suraigüe et des clients intéressés par cette forme originale de publicité… La secrétaire libidineuse et hystérique recourt quant à elle très souvent à l’onomatopée ou au couinement pour s’exprimer. Egészséges erotika est une comédie populaire, avec des personnages tracés à gros traits, du comique de répétition, des tics et des situations remarquables de grossièreté. La caricature empêche t-elle le film de fonctionner ? Non, car là où Péter Tímár aurait pu se contenter de tourner en dérision la société communiste (ses chefs incompétents, ses emplois inutiles…) il déploie de surcroît un véritable arsenal formel qui fait du film un très bon moment esthétique. Ainsi le sentiment de grotesque et d’étrangeté procuré par les déplacements des personnages est-il conféré par un biais plutôt étrange et génial: Péter a tout bonnement demandé à ses acteurs de jouer la plupart des scènes à l’envers pour ensuite les remettre «à l’endroit» au montage. Il fallait y penser. Les cadrages sont eux aussi systématiquement mis à contribution, toujours pour souligner le ridicule des personnages: de nombreux cadres dans le cadre, des compositions symétriques ou incluant des objets baroques - par exemple un cageot tournant sur lui-même au-dessus de la tête du directeur en guise de symbole triomphant de la production socialiste… Il y a encore ces passages aux raccords brutaux (un personnage filmé de dos puis de face) et surtout ces moments où le montage suit une musique binaire proto-techno et où la progression de l’histoire n’est plus du tout tenue par le dialogue. On est dans la caricature, mais on touche à la poésie. Ce n’est pas sérieux tout cela… Et pourtant si ! Car ce film, réalisé lors des dernières années du système communiste, laisse avec une gentille absence de naïveté deviner au profit de quoi va s’effectuer la transition. Et c’est avec étonnement que l’on découvre que la réponse des ouvrières à la vision originale de la relance des ventes de la direction consistera en une négociation du prix de leur involontaire prestation. Les directeurs salaces ont inventé la pub, mais les jolies ouvrières ont découvert le cachet.

Egészséges erotika est facilement trouvable en DVD avec des sous-titres anglais.

Alexis Courtial

Egészséges erotika de Péter Tímár

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