Budapest versus Bruxelles, épisode 1
La loi sur les média votée fin décembre a déclenché une polémique entre le gouvernement et la Commission européenne. Tiraillé entre les exigences européennes et le désir de satisfaire son électorat à majorité eurosceptique, le gouvernement a déclaré qu’il était prêt à amender son texte en tenant compte des remontrances de la Commission.
Chronique d’une polémique
Le 5 janvier 2011, le président de la Commission européenne a fait savoir qu’il exigerait des explications de la Hongrie concernant la loi sur «la liberté de la presse et des normes de base des contenus médiatiques». Indiquant qu’il avait reçu une traduction du texte de loi suite à sa demande aux autorités hongroises, M. Barroso inaugurait deux jours plus tard avec le Premier Ministre hongrois à Budapest la présidence tournante du Conseil de l’UE et en profitait, à l’occasion d’un entretien avec M. Orbán, pour à nouveau soulever la contradiction entre la fameuse loi et la liberté de la presse, «principe sacré de l’UE». Le 10 janvier, le ministre des Affaires étrangères hongrois en visite à Paris, a tenté de calmer le climat en promettant que les éventuelles critiques de la Commission seraient «prises en compte puisque le gouvernement hongrois est ouvert à la discussion». Il a par ailleurs justifié la loi en disant qu’elle n’était que la transposition d’une directive européenne de 2010 sur les services audiovisuels qui prévoit « les limites de la liberté de la presse ». Pour M. Martonyi, les média hongrois tiennent régulièrement un langage inacceptable et violent ainsi la dignité humaine, ce qui mériterait de limiter la liberté de la presse.
La Hongrie sous la menace d’une procédure d’infraction ?
Le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois a prié M. Barroso d’engager une procédure d’infraction car il juge que la loi va «à l’encontre des valeurs européennes». Celle-ci constituerait un «danger pour la démocratie car l’Etat contrôlera l’opinion». Le ministre est même allé jusqu’à faire le parallèle avec la Biélorussie : «Alexandre Loukatchenko ne sera plus le seul dictateur en Europe une fois cette loi entrée en vigueur».
Si ces positions sont reprises par la Commission européenne, que risquerait la Hongrie ? L’article 258 du Traité de Fonctionnement de l’UE (TFEU) permet d’engager une action contre un Etat membre qui enfreint le droit de l’UE selon la Commission. Cette dernière peut négocier la fin de l’infraction avec l’Etat membre ou intenter une action devant la Cour de Justice des Communautés Européenne. D’autre part, l’article 7 du Traité sur l’UE (TEU) permet d’enclencher le mécanisme de suspension des droits de vote d’un Etat membre si les valeurs de la construction européenne mentionnée à l’article 2 du TEU ne sont pas respectées (ici, il serait question de la démocratie, de la liberté et de la dignité humaine). Bien que le ministre luxembourgeois ait exprimé un avis très tranché, les autres grands Etats ont fait preuve de plus de prudence. Il n’est donc pas évident qu’une de ces deux procédures soit entamée. Ce qui plus est probable, c’est que la Commission négocie avec la Hongrie les points les plus dérangeants. Notamment, il serait opportun d’introduire une pluralité ou neutralité politique dans la composition du MNHH (Autorité Nationale de Télécommunication et des Média) car c’est avec le montant démesuré des amendes le point le plus scandaleux de la loi.
La Hongrie, bouc émissaire?
Il faut souligner toute la maladresse du gouvernement hongrois d’avoir fait coïncider la promulgation de cette loi avec la présidence tournante, période au cours de laquelle beaucoup d’yeux sont rivés sur l’Etat membre président. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles cette loi a fait tant de bruit. La Commission a peur de voir l’Europe salie et que donc son image se dégrade encore plus. Il lui faut donc être ferme avec le gouvernement hongrois. Néanmoins, même si cette loi est bien un pas de plus du régime hongrois vers l’autoritarisme, la Hongrie est une parfaite cible et un excellent moyen pour que l’UE puisse se dégager de certaines responsabilités. Tout d’abord le tapage médiatique autour de cette loi est un scandale. La nouvelle loi prévoit de sanctionner les informations déséquilibrées. Le concert de réprimandes qui s’est abattu sur la Hongrie a lui-même été une information déséquilibrée. Le triste autoritarisme dont fait preuve le gouvernement hongrois a une origine rarement citée dans les média de masse. Les tenants de l’Europe qui donne la priorité au marché et se moque des objectifs sociaux sont ménagés. Cette Europe se coupe de la base, crée frustrations et ressentiments et est en grande partie responsable de la «droitisation» des peuples européens, «droitisation» d’autant plus forte dans les pays d’Europe centrale et orientale. Lyncher le gouvernement hongrois permet donc d’occulter ces aspects du problème. A-t-on vu M. Barroso s’indigner de la proximité entre M. Sarkozy et les actionnaires majoritaires des grands média français ou encore du fait qu’en Italie pouvoir politique et médiatique ne font qu’un ?
Yann Caspar
La loi sur les médias et Internet
Dans un interview accordé au site Touteleurope.eu, le journaliste Thomas Schreiber a déclaré : « Je pense aussi qu’Orbán a sous-estimé l’importance et l’impact d’Internet, et de ce qu’il rend désormais possible. Depuis huit jours fonctionne déjà une télévision libre, dont le contenu éditorial provient entièrement de Budapest mais qui est diffusée depuis New York, ce qui empêche de pouvoir arrêter la diffusion. D’ici quelques semaines, elle sera sans doute beaucoup plus populaire que la télévision hongroise locale. Et c’est seulement un exemple parmi mille autres ». Autrement dit, M. Orbán ne parviendra pas avec sa loi à contrôler Internet. D’ailleurs personne n’y est parvenu. Convenons-en, ce n’est pas lui qui sera le premier. Le chef du gouvernement paraît peu crédible pour contribuer à la construction d’un modèle économique pour Internet. Lui seul encore moins puisque dans ce domaine, toute mesure nationale est inefficace. Et pourtant, il l’affirme. Internet est bourré de ces propos qu’il juge scandaleux. Contrôler Internet n’est pas seulement une affaire de liberté de la presse mais aussi de liberté d’expression. Sanctionner des propos racistes tenus sur la toile par exemple peut apparaître comme étant une bonne intention. En fait, cela ne donnera que plus d’importance à ce type de propos et créera une frustration parmi leurs auteurs qui seront alors tentés de se manifester autrement, peut-être de manière plus violente.
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