Budapest: un concert Mozart placé sous le signe de la jeunesse

Budapest: un concert Mozart placé sous le signe de la jeunesse

Parler de jeunesse lorsque l’on évoque le nom de Mozart constitue un pléonasme. Mais c’est ici aux interprètes qu’est faite l’allusion, s’agissant de deux jeunes ayant tout juste 20 ans: Krisztián Kocsis et Ádám Balogh, tous deux pianistes. Qui, apparemment, disposeraient déjà de bonnes références, du moins à en croire ce qui est écrit à leur sujet. Le premier, fils du pianiste Zoltán Kocsis, révélé en France en 2013, après y avoir remporté un prix (1). Le second, lui-même fils de musiciens, n’étant pas en reste, puisqu’il remporta cette même année 2013 le concours international „Piano talents” de Rome et se vit invité dès l’âge de 13 ans par Iván Fischer à accompagner l’Orchestre du Festival - précisément dans des concertos de Mozart -, pour se produire deux ans plus tard aux États-Unis. Ce qui devrait constituer a priori une solide référence. Mais bon, nous avons tendance à nous méfier des enfants prodiges, aussi étions-nous curieux de pouvoir juger par nous-mêmes. Au programme: les concertos pour piano en ut K 415 (le 13ème) et en ré mineur K 466 (le 20ème), précédés d’un divertimento (K 138). L’accompagnement étant assuré par l’Orchestre de Chambre Franz Liszt (Liszt Ferenc Kamarazenekar), formation qui, par contre, n’a plus à être présentée.

 

 

 

Tout d’abord un bref mot sur les trois œuvres inscrites au programme.

 

 

Pour ouvrir le concert, un hors d’œuvre léger, s’agissant - que l’on nous pardonne l’expression - d’une œuvre de jeunesse que Mozart composa à l’âge de 16 ans, le Divertimento en fa majeur. Une œuvre légère, sans grande originalité, certes, mais agréable à l’écoute. Dont le deuxième mouvement annonce déjà de loin l’andante de la  Petite musique de nuit. Ponctué par un presto enlevé, presque sur un rythme de danse.

 

 

S’il ne figure pas parmi les grands concertos de Mozart, le 13ème en ut majeur n’en constitue pas moins une œuvre séduisante, vivante, voire vivifiante. Qu’Olivier Messiaen alla jusqu’à placer, par „l’originalité” de son dernier mouvement, parmi les „sommets de l’œuvre de Mozart”. Jugement quelque peu excessif... Un concerto qu’il composa peu de temps après son mariage, a priori dans une période heureuse. De l’aveu même de Mozart, il s’agit ici d’une œuvre par laquelle, alors qu’il venait de s’installer à Vienne, il cherchait avant tout à séduire le public. „Ces concertos tiennent le milieu entre le trop difficile et le trop facile. Ils sont brillants, agréables aux oreilles, naturels, sans pour autant  tomber dans la pauvreté” (à propos des trois concertos K 413, 414 et 415 écrits dans la même lancée) (2).   

 

 

Mais c’est avec le 20ème que nous attendions le temps fort de la soirée. Un concerto qui, par sa tonalité sombre en ré mineur, constitue une œuvre à part dans le répertoire des concertos. Par sa longueur, mais aussi et surtout par son ambiance dramatique. Le premier de la série des „grands concertos”. Composé alors qu’il avait 29 ans, on peut dire qu’il s’agit là pour le coup d’une véritable œuvre de maturité. Un concerto pour lequel Beethoven allait écrire deux cadences, ce qui constitue une référence.

 

 

Et les interprètes, dans tout cela?     

 

 

Krisztián Kocsis dans le 13ème, Ádám Balogh dans le 20ème, chacun ayant à sa façon séduit son public, dans deux registres et deux styles totalement différents. Avec toutefois un léger avantage pour le second. Si Kocsis a, certes, fort joliment servi sa partition, nous y avons moins senti cette aisance dont a fait preuve son compagnon. Il faut dire que la barre était haut placée, ce soir-là. Un Kocsis qui s’est révélé plus à son affaire dans les passages recueillis (2ème mouvement, passages ralentis du 3ème mouvement). Un partition fort bien rendue, répétons-le, mais avec par moments (dans les passages rapides) un piano légèrement résonant, par trop sonore (usage de la pédale?). Face à un Ádám Balogh, il faut le dire, époustouflant. Faisant preuve d’une assurance, d’une aisance surprenantes pour un jeune encore élève au Conservatoire (Académie de Musique Franz Liszt). Paradoxalement, c’est lui qui nous rappelerait Zoltán Kocsis, le père de Krisztián, dont nous avions assisté jadis aux débuts, précisément au même âge (c’était en 1972). Un jeune promis à une belle carrière et dont on reparlera assurément. Parfaitement à l’aise dans ce si beau et touchant concerto en ré qu’il a admirablement rendu par un jeu clair, limpide, tout en même temps recueilli. Et ces deux cadences où il nous a épatés! Sans toutefois tomber dans l’ostentatoire, jouées avec simplicité et naturel. Bref, une révélation. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si, encouragé par les applaudissements, il nous servit deux bis. Suivis d’un troisième joué en commun à quatre mains.

 

 

Pour terminer, c’est peut-être, en définitive, à l’orchestre que revient la palme de cette soirée. Un Orchestre de Chambre Franz Liszt, animé par son premier violon Péter Tfirst, que nous avions déjà mille fois entendu et qui, ce soir encore, n’a fait que nous confirmer la justesse de la réputation dont il jouit sur la scène internationale. Fondé en 1963, l’ensemble n’a pas pris un ride. Que dire? Fraîcheur, clarté, limpidité, et cet élan, ce jeu plein de vie! Ce qui s’est fait ressentir dès l’ouverture du concert avec le Divertimento si bien  rendu qu’il en serait presque devenu - en exagérant un peu, mais pas trop... - une œuvre majeure.   

 

 

Une belle soirée, donc, qui nous aura permis de découvrir deux jeunes dont on reparlera.

 

 

Pierre Waline

 

 

(1): Concours international de piano d’Île-de-France parrainé par Anne Queffélec.

 

 

(2): créée par Mozart lui-même devant une salle comble, l’œuvre obtint effectivement le succès escompté, mais sans pour autant lui rapporter les recettes espérées...

 

 

 

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