Budapest rêvée ou la fièvre au corps
Budapest parcours
Par Emmanuelle Sacchet et l’œil regarde
Quel est le rapport entre Budapest, les virus et les rêves ? Cet article onirique. Tout commence par l’impossibilité de sortir dans les rues pour un nouveau sujet. Tête, nez, pieds et mains liés par les microbes ensorceleurs, une nuit agitée et fiévreuse me donne l’idée de sortir mon carnet des rêves. La fièvre apporte son côté "connaissance par les gouffres", bien adéquat à la lecture de mes pages invraisemblables. Vrai de vrai, il y a encore du Budapest là-dedans : je rêve la ville ! Sans l’avoir jamais vraiment remarqué. Vérification alentours : cela semble un cas isolé des plus sérieux. Quand vais-je donc guérir de ce feu dévorant qu’est la ville dans mes mots les plus maux ?
Si ce n’est un voyage intime pour certains, c’est sûrement pour d’autres l’occasion de lire Budapest comme jamais… dans ses plus mystérieux méandres.
15 juillet : Bonnes affaires
Chez un antiquaire du Parlement j’achète à un accessoiriste un parapluie trop lourd avec des empiècements en fleurs fraîches cousues. Un interrupteur donne de la lumière de soleil à la demande. Dans la foulée j’achète une combinaison de moto très utile pour le Hungaroring.
23 juillet : Art sans fin
Aux journées portes ouvertes de l’école des arts appliqués de Zugligeti út. Dans les jardins, au pied du bâtiment au bon style socialiste, une grande roue permet de voir les travaux dans leur ensemble. Elle se transforme soudain en ascenseur qui tombe sans jamais s’arrêter. Je mange une saucisse en disant que je suis scénographe.
9 août : Mauvais bus
Je fais visiter les collines de Buda à un petit garçon. Le minibus de l’école vient le chercher. J’accepte de monter également afin de descendre au bout de la rue. Je me retrouve devant ma maison d’enfance à Dijon.
27 août : Façon David Lynch
Course-poursuite dans un immense bâtiment : un paquebot plat, qui est en fait l’A 38, est posé dans l’herbe de la Citadelle. En poussant trop de portes je me retrouve dans un film de David Lynch. C’est certainement vrai car il y en a les personnages : de belles femmes à la voix langoureuse maquillées et habillées de paillettes et un joker qui me demande si j’ai bien reçu ses messages. Je ne veux pas lui faire confiance et préfère suivre un enfant apathique avec qui je porte trop de valises. On marche sur des violettes qui se redressent après nos pas. La poursuite continue dans les manèges de l’ère communiste du parc d’attractions du Vidámpark.
17 octobre : Gozsdu sauvé des eaux
Le quartier juif de Budapest, magnifique mais tout délabré, a été déposé sur le Danube sur des pilotis en béton. La mer arrive, tombe à fleur d’eau au pied des bâtiments, comme à Venise. C’est étrange mais ça lui va bien. Le reste de la ville disparaît.
20 novembre : Exil
Une famille tsigane quitte la Hongrie pour s’installer dans une HLM en France. De leur rez-de-chaussée il y a un terrain vague qui, en hiver, devient patinoire ; à l’autre bout elle rejoint celle du Városliget. Le père patine habillé en bibendum Michelin, je lui hurle qu’il n’a pas de freins. Je dois payer très cher une pause-pipi à un monsieur qui se plaint de ne pas connaître la langue qu’il parle. Je reconnais le hongrois avec émotion. Quand je ressors la patinoire est devenue un marché aux puces car c’est déjà le printemps.
29 novembre : Les rêves sont-ils en couleurs ?
Le Budapest de Sunshine. Le réalisateur Szabo István prétend qu’il lui faut boire pour que ses rêves soient en couleurs. «Car les femmes rêvent en versicolore et les hommes en noir et blanc.» Je suis ainsi la seule à savoir pourquoi il mélange la couleur et le noir & blanc dans ses films.
16 décembre : Trop petit LFB
Avec une amie dans le lycée français de Budapest où elle travaillait. Elle veut me dire quelque chose de crucial mais ne me dit qu’un mot par lieu. Je la suis partout pour savoir, jusque dans le gymnase, la piscine et le centre médical. Horreur, le Lycée est trop petit je ne saurai jamais rien. Elle déménage.
28 décembre : Destins croisés
Dans la colline des roses l’on peut essayer les maisons à louer. Comme c’est le soir je m’endors dans une maison blanche pendant que mon frère s’assoit pour écrire une lettre d’amour à une nommée Chalata. D’autres familles continuent de visiter. Je croise ma mère exaltée par son expérience de marche le long des rails d’un travelling de cinéma. Je lui assure qu’elle réussira son aquarelle. La vue est splendide, au dessus des nuages. Tout a l’air parfait. Mais quelqu’un montre un flux de graisse noire qui s’échappe sans discontinuer du four. Par la fenêtre, dans une rue oblique, des travailleurs démontent un arrêt de bus rouge. Je pense aux gens qui ne pourront plus aller travailler. La ville a décidé de changer la liaison des stations pour inventer de nouvelles vies ! Dans le rêve de mon rêve, je vois la carte de Paris où une main raye la station “place des fêtes” pour mettre le tombeau de Gul Baba.
10 janvier : Usurpation
Un grand boulevard bruyant genre le grand körút. Un taxi s’arrête avec une amie à son bord, trop contente de me présenter Matthieu son bébé : c’est ma fille ! Elles repartent sans moi, mes doigts sont trop mous pour composer son numéro pour les faire revenir.
23 janvier : Tous en scène
Un boulot sur la méga production d’un spectacle à Budapest. Ce n’est pas pratique car les coulisses sont à Montpellier. Mon assistante chipote sur le fait qu’elle soit stagiaire ou sauterelle - l’un devant travailler moins que l’autre. Nous nous déplaçons sur un vélo pliant au milieu du matériel stocké : cages en osier en forme d’animaux, roues de toutes tailles, peintures jusqu’au ciel. Autour, des comédiens sans texte apprennent leurs dialogues avec des casques infrarouges. On dirait Fahrenheit 911. C’est soudain la première. Je m’énerve car je n’ai pas le temps de prendre mon appareil photo, ma montre s’est bloquée à 19h73. Et mon amoureux a voulu avant aller voir Simone Weil en visite à Super U.
Le spectacle est irréel, magnifique : des dizaines de personnes marchent dans les rues de Budapest devant des gradins en bi frontal ; ce sont en fait les comédiens qui y sont assis, regardant le public, les gens ! Ravi, János Szikora le metteur en scène fait visiter sa maison dépliante en bois peint. Le sol est en terre battue.
Avant-hier : Sacré Zidane
Je visite le château de Sissi à Gödöllô à moins que ce ne soit le Parlement. Il y a une exposition Zidane. J’hésite à acheter une fortune un sandwich congelé où il a croqué dedans. J’opte finalement pour une de ses interrogations écrites d’enfant. Il y a des grands types costauds un peu crasseux, la bouche déformée par de la guimauve blanche qui regardent les fresques au plafond. Sont représentés des dictateurs de l’ère communiste, m’explique un Ukrainien tendance arménienne. C’est mon père avec sa trousse de toilette offerte au Noël 2002.
Ne riez jamais des rêves d’un autre. Les gens qui n’ont pas de rêves n’ont pas grand-chose. (Proverbe chinois anti-mauvaise langue !)
budapestparcours@yahoo.fr
(Si vous aviez quelque rêve citadin à confier à mon carnet bavard.)
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