Budapest retour
C’est une expérience que de revenir dans une ville longtemps habitée ; de croire qu’elle a changé, si ce n’est soi en vérité. Mais force est de reconnaître qu’elle est restée la même. C’est là où le bat blesse car on est loin du compte de la terre promise du début des années 2000. La Hongrie est revenue à son rythme de croisière ancestral de lenteur, fidèle à sa patience héroïque devant l’envahisseur : ils finiront bien par partir. En d’autres temps : cela finira bien par aller mieux. Il n’y a eu qu’un pas entre l’état du work in progress à celui de l’attente, franchi à la vitesse de la crise. Attente de quoi ? De jours meilleurs, des akcio, du loto gagnant, des élections nationales, du FMI, du père Noël ou du bon Dieu, de la mort en y allant un peu fort, mais les complaintes hongroises sont plus fortes que jamais. On chuchote même ici à «l’Ouest» que la Hongrie participe au risque systémique en Europe de l’Est. Mais qui parle des blessures engendrées, des espoirs déçus, des désillusions de l’entrée dans l’U.E, des malversations en tout – mauvais – genres, du profit crasseux des peu scrupuleux, de l’avortement de la classe moyenne, de l’oubli des plus démunis et des minorités ? Avec la conjoncture, tout resurgit.
Je sais que de ces quatre millions d’actifs Hongrois à peine déclarés au smic mais abonnés à double charge, 700 000 personnes en quasi faillite personnelle attendent elles aussi de se refaire une santé. Les banques ont pris froid et restent frileuses tandis que l’on fait la queue à ELMÜ et GázMűvek pour échelonner ses factures. Il y a du coup d’affreux jojos qui vous mettent la main au sac. Même la dissolution de ma KFT est épique (une heure pour l’ouvrir, un an pour la fermer) sans parler de la mise en vente de mon royaume en dessous de son prix d’achat. Avec le regard du revenant, les façades cabossées de Budapest qui nous plaisaient tant apparaissent comme un profil de cicatrices. Et la dichotomie devient douloureuse avec la bombance provocante des collines de Buda…
ISTENEM ! Nous sommes loin d’un Budapest Parcours idéaliste de la vie quotidienne ; plus proches d’une réalité galopante. Attention, il n’y a ni tristesse, ni aigreur, ni plainte. Un constat, encore une fois. Et surtout cette immense envie de dire tout haut aux autochtones ce qu’ils ont pensé, écrit et chanté en chœur avec Petôfi : DEBOUT, HONGROIS ! Parce que vous le valez tant. Fi de votre saudade de l’Est, votre nation s’est toujours sortie du tragique à travers une fatale ironie. Demain il risque de faire beau. Si seulement quelqu’un avait eu l’idée de le rappeler à Krisztina Rády…
Budapest difficile à aimer, difficile à oublier. C’est sa force, son secret. Cette terre m’habitera pour la fin des temps car ma respiration s’est calée à la sienne sans même me demander mon avis. Et je me suis laissée faire, pour le meilleur et pour le pire, fidèle parmi les fidèles.
Hay que luchar et minden jót!
Emmanuelle Sacchet