Budapest Parcours
Marinas et île aux Moustiques
Par Emmanuelle Sacchet
et L’œil regarde
A force de dire que Budapest bouge très vite, on finit par assimiler ce cons-tat comme un fait accompli sans plus trop regarder comment la ville évolue. Or, il faut inlassablement revenir sur ses premiers pas, surtout dans les coins éloignés des cartes routières, difficiles à déplier.
Juste un exemple, très loin sur Váci út. Entre l’île d’Óbuda et le treizième arrondissement, Népsziget, la fine et longue île du peuple perd peu à peu ses cheminées d’usine. Tout un patrimoine industriel, dont la vie contemporaine n’a plus cure, disparaît peu à peu. Seuls subsistent les entrepôts et ateliers de réparation des bateaux de la compagnie Mahart, soigneusement impénétrables. Cela dit, aucune nouvelle infrastructure ne vient troubler aujourd’hui celle qu’on appelle communément l’île aux moustiques. Elle fut pendant longtemps une balade bien connue des prolétaires budapestois sous le communisme. Un lieu de villégiature où l’on accédait par ferry à l’arrêt Duna Kék. Puis la traversée du pont métallique donnait accès à la verdure et aux guinguettes de la petite île. On ressent encore ces plaisirs discrets du prolétariat dans cet air de campagne où chantent les oiseaux. Les installations des années socialistes sont toujours debout bien qu’absolument décaties : buvettes, bistrots, campings, bungalows, boîte de nuit dans un bateau échoué, baraques de pêcheurs et «tábor» (camp de vacances) pour les enfants. Le tout fonctionnant encore allégrement en été figurez-vous.
La meilleure façon de se rendre sur l’île est de traverser Váci út par ce pont ferroviaire (újpesti vasúti híd) dont on connaît plus le profil côté Buda depuis «l’île du Sziget», à deux pas du gazomètre d’Óbuda. Cette belle carcasse métallique post-Seconde Guerre mondiale est devenue un monument classé. La première chose que l’on voit est un vieil hôtel déprimé et surtout cet improbable élevage en plein air de boucs et de coqs tonitruants. Vente de fromage de biquette et lait de chèvre à la clé !
On est loin dans la ville et dans le temps.
Surgit l’évidence de planter sa vie au milieu de ces espaces verts, sur les rives du Danube, de construire sa bicoque et de vivre tel un Crusoé. La crainte subsistante des crues jadis dévastatrices du fleuve aura sans doute freiné tout projet, municipal ou privé.
Sur la pointe Sud aux arbres centenaires, l’île est si étroite qu’on a l’impression de commander un navire. La ville est un lointain panoramique de carte postale, dévoré par l’immensité du fleuve. [Sérénité assurée]. De là, une passerelle mène au métro du Duna Plaza qui fait face côté Pest. Et c’est là que le paysage s’est tourné vers un urbanisme effréné : voilà quatre ans que de gigantesques tours sortent de terre une à une. Ce projet pharaonique est la réponse des promoteurs aux longs bras pour investir les bords du Danube : une marina avec port privé ultra moderne. Prestige towers et Marina part pour les petits noms dont les concepteurs gèrent les plus gros projets immobiliers de la ville, à l’instar du Gozsdu Udvar rue Király. Une case de l’oncle Tom (un vieux club d’aviron) persiste pour quelques semaines encore le long de la promenade arborée. Pour mieux cacher cette ultime verrue, de grands panneaux annoncent la couleur d’Eden de ces paradis sur Danube. Le gardiennage 24/24 nous a laissé déambuler dans des rues privées désertes ponctuées d’infrastructures mirobolantes. La promenade sur le fleuve dévoile des kilomètres de baies vitrées dont on ima-gine le panorama langoureux.
Une magyare way of life doit être livrée d’un moment à l’autre…