Budapest parcours

Budapest parcours

Image retirée.

Rendez-vous avec île et elle

 

Tant qu’Óbuda ne périra

Gaîté du monde existera

Ces bons mots de 1555 empruntés à Nostradamus voient Paris devenir Óbuda ; et pourquoi pas ? Gaîté toujours il y a là l’idée d’arpenter la ville, le cœur un peu battant comme pour un rendez-vous. Celui avec une île à Óbuda et exceptionnellement avec elle, cette amie, Fanfan la tulipe au féminin.

Arpenter par un jour brumeux l’île d’Óbuda désertée de ses activités estivales paraît plus saugrenu que gai, et pourtant… En prenant le temps de poser un regard neuf sur ce que l’on croit connaître, il y a toujours quelque découverte et aventure à qui veut bien en vivre ! Et c’est justement parce qu’il n’y a rien à y faire qu’il faut se rendre sur cette île qui sait si bien changer de nom. Elle est l’île industrielle Hajógyári, l’île de la fête réduite à Sziget, l’île d’Óbuda sur la carte et bientôt sera Álom-sziget, l’île de rêve. Et oui, il n’y a qu’à se rendre sur le site hongrois www.dreamisland.hu et regarder les aquarelles d’un avenir édulcoré où justement, il est question de gaîté. Un “vidámpark” à elle toute seule, du moins dans toute la partie sud de l’île : promenades aménagées, marina, hôtels, musées, piscines, salles de sport ou de conférences. Un plan de construction qui paraît bien lourd pour une petite île si plate, sujette à la moindre crue d’un Danube farceur comme s’en sont rendues compte nos bottes engluées dans la vase. Les noceurs impénitents du Festival Sziget commentent déjà sur les forums de discussions la drôle d’idée de troquer leurs toiles de tentes contre un « resort » bien aménagé. Mais gageons que cela prendra. Après tout, il n’y a pas que les 400 000 aoûtiens épris de musique.

 

Bien que la promenade en binôme soit agréable, notre ratissage des lieux rapporte une maigre moisson insulaire: une voiture d’auto-école, deux chevaux, son cow-boy se prélassant sur un banc, trois dressages de chiens, un joggeur aux yeux noirs, un minigolf abandonné, quelques infrastructures signées de sponsors, une misérable reproduction d’une colonne du deuxième siècle à l’époque du règne d’Hadrien, un parc au doux nom du 9 mai (écho à nos places du 8 mai 1945), un jeune homme dans une toile de tente, une équipe technique occupée à démonter une guinguette restée du Sziget… Les 120 hectares de pelouse et sous-bois sont bien calmes et silencieux, presque désespérément vides face à la ville qui gronde tout près. La vacuité dérange si ce n’est l’inutilité ; alors on trouve des idées pour combler ce que l’on prend pour un vide et un manque à gagner.

C’est vrai que l’île est délestée de ses prouesses industrielles du temps où l’on en sortait de fiers bateaux. Le comte Széchenyi, encore lui, est l’instigateur de la première compagnie de bateaux à vapeur sur le Danube. Árpád fut le premier navire construit dans les docks d’Óbuda en 1836. Kossuth Lajos rêva même d’une flotte armée lors de l’insurrection de 1848. L’usine devint la propriété de l’Etat en 1954 qui continua la production de bateaux jusqu’au dernier bâtiment de 1988, le Széchenyi, symbolique brise-glace.

Si les ersatz industriels sont bien évanouis, le fleuron de l’usine à gaz n’a pas été anéanti. En effet, sur la pointe Nord de l’île on aperçoit les silhouettes magnifiques de trois tours curieusement chapeautées, vestiges de la Gázgyár müvék. Quand en 1909 on décida d’équiper Budapest en becs de gaz, la construction d’une usine sur le site antique d’Óbuda s’imposa. Du fait de l’industrialisation tardive de Budapest, cette usine construite par Albert Weiss fut un temps la plus moderne au monde. En 1988, elle cessera définitivement ses activités de production de gaz et de produits dérivés. Les deux gazomètres d’une capacité de 200 000 m3, la halle de nettoyage humide et les mécanismes d’acheminement des matières premières sont alors détruits. Restent deux grandes halles et les fameuses tours. Sur la plus haute, les aiguilles des horloges se sont arrêtées chacune à une heure différente, comme une ultime querelle de clochers.

Les tentatives pour approcher l’usine entourée d’un vieux mur barbelé sont aussi vaines que périlleuses : escalade d’un mirador, passage en force des nouveaux locaux de bureaux high-tech du graphisoft park (installés sur les terrains dépollués de l’ancienne usine), parcours le long du chemin de hallage du Danube bordé de chiens aux dents pointues… Finalement, c’est depuis le pont de fer rouillé Újpestivasút qu’on embrasse au mieux le paysage de l’usine, en évitant juste au passage le train rouge venant de Nyugati. La féerie des lieux abandonnés et l’imagination apportent vite la musique industrielle des bielles coulissantes, des arbres métalliques et l’odeur de l’huile chaude.

Pour réaliser l’importance des lieux, le plus simple est de se rendre à la cité ouvrière juste en face, la vraie découverte du jour. On doit sa remarquable unité architecturale à Almási Balogh Lóránd. Construit simultanément avec l’usine à gaz en 1914, cet ensemble qui n’est pas sans rappeler la cité ouvrière de Wekerle est la plus grande réalisation à Budapest de jardin à l’anglaise. Les bâtiments et maisonnettes jaunes dont les fenêtres vertes et les toits rappellent un goût transylvain prononcé s’organisent autour d’un parc. Autrefois indépendante, la cité bénéficiait de bâtiments administratifs mais aussi d’une salle de spectacles, d’un restaurant, d’un casino, d’un terrain de sport et d’une école qui est d’ailleurs toujours en activité. Un peu plus loin, en bord de Danube, les majestueuses maisons des directeurs ont été depuis longtemps divisées en appartements.

Aujourd’hui, les petits pavillons aux jardinets sont tous soignés d’un même respect. Rencontrer leurs protagonistes, héros fatigués alanguis sur les bancs est même assez émouvant. En poussant instinctivement les portes des cours, nous tombons sur une succession de jardins et de bâtiments jusqu’aux murs de l’usine. Dans la friche qui nous en sépare, c’est à peine si l’on devine encore le sillon obtenu par la force de l’habitude. Ces traces-là aussi tendent à disparaître. Mais une bonne nouvelle : au début des années 1990, l’ensemble de la cité jardin ainsi que ce qu’il reste de l’usine ont été inscrits sur la liste des Bâtiments Sauvegardés de Budapest.

Dans ce no man’s land de banlieue, au sortir du Hév, à l’endroit même où le tissu urbain peine à prendre ses marques, réapparaissent les vestiges deux fois millénaires fondateurs de la ville toute entière. La cité ouvrière jouxte littéralement le site romain d’Aquincum. Au pied de ces deux sites préservés, l’économie contemporaine tente sa chance : un hypermarché est sorti de terre. La vie continue ! La nôtre aussi et si vous êtes curieux, vous aurez peut-être la suite dans un prochain article.

budapestparcours@yahoo.fr

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