Budapest : La Gioconda de Ponchielli en première au Théâtre Erkel (1)

Budapest : La Gioconda de Ponchielli en première au Théâtre Erkel (1)

De Ponchielli, j´avoue avoir jusqu´ici pratiquement tout ignoré, sinon qu´il compta Puccini parmi ses élèves et qu´il est resté connu pour avoir composé La Gioconda, son seul opéra qui passa à la postérité. Une œuvre rarement jouée, actuellement donnée sur la scène de Budapest (1). Une bonne occasion pour la découvrir et nous en forger une opinion personnelle.

 

Sur un livret confié à Arrigo Boito, l´œuvre est inspirée d´un drame de Victor Hugo, Angelo, tyran de Padoue (2). Moyennant de nombreuses modifications, l´action se voyant notamment transposée au 17ème siècle dans la République de Venise. Un opéra écrit sur commande qui fut créé en octobre 1876 à Venise où il obtint un triomphe. Malgré l´accueil enthousiaste du public, Ponchielli le remania à plusieurs reprises pour le voir repris à Gênes puis à la Scala en 1880 (3). Toujours avec le même succès, de sorte qu´il fut rapidement relayé sur les scènes étrangères (Budapest en 1883, curieusement jamais à Paris). Ce qu´en disent généralement les critiques : une œuvre conçue dans le style du grand opéra, à mi-chemin entre Verdi (Aïda, Otello) et Puccini. Pour citer l´un de ses plus brillants critiques : „La quintessence du drame romantique, ‹‹ Cinémascope et Technicolore ››, d´une force et d´une construction somme toute remarquables” Pour conclure, bien que reconnaissant à l´œuvre quelques faiblesses:  „La Gioconda ne manque jamais son effet. Quiconque lui résiste est un menteur ou n´aime pas l´opéra.” (Piotr Kaminski (4)). Après un tel éloge, bien que probablement excessif, comment pourrait-on manquer une telle occasion ? Ce que l´on en dit enfin : une partition exigeante qui nécessite le concours de six chanteurs de haut niveau (5).

 

 

L´intrigue ? Difficile à résumer, car riche en drames et rebondissements. En deux mots : Enzo Grimaldi, noble banni revenu à Venise sous un déguisement, est aimé par la chanteuse Gioconda, mais c´est Laura, épouse du Grand Inquisiteur Alvise Badoero, qu´il aime. Barnaba, espion amoureux de Gioconda, dénonce Enzo. Suit une rencontre secrète entre Enzo et Laura, surpris par Gioconda. Gioconda qui, du même coup, reconnaît en Laura celle qui avait sauvé sa mère aveugle, La Cieca, accusée par Barnaba de sorcellerie. Avant l´arrivée de ce dernier pour les arrêter, tous s´enfuient. Ayant découvert l´infidélité de son épouse Laura, Alvise décide de l´empoisonner, mais Gioconda, bien que folle de jalousie envers sa rivale, se résoud à la sauver en remplaçant le poison par un somnifère. Laura, que le pauvre Enzo, désespéré, croit morte. Pour finir, Gioconda fait mine de se soumettre à Barnaba pour l´amadouer, mais se poignarde. Pour se venger, Barnaba, fou de rage, lui crie qu´il a fait tuer sa mère. Pas particulièrement réjouissant. Mais somme toute une intrigue a priori propice au genre du grand opéra.

 

 

Avant de parler des chanteurs, un mot sur la mise-en-scène (András Almási-Tóth), les décors (Éva Szendrényi) et les costumes (Bori Tóth). Première remarque : cette présence sur l´avant-scène d´un grand bassin rempli d´eau. Je sais que l´on est à Venise, mais bon…  On ne peut tout de même pas demander aux chanteurs et aux danseurs de posséder un brevet de natation... Cette (légère) réserve mise à part, décors simples, avec une grande toile de fond représentant Venise. Et par moments l´apparition d´un espace (sorte d´encadré) isolé sur le côté pour représenter simultanément une scène éloignée, plus intime. Idée bienvenue pour ne pas alourdir un spectacle qui pourrait facilement tomber dans le grand show un peu kitsch. Et de beaux costumes. Le tout très coloré, servi par de beaux éclairages. Dans l´ensemble un fort beau spectacle, conçu dans une mise-en-scène sobre (mis à part le plan d´eau auquel on finit par s´habituer).

 

 

Le tout servi, à une exception près, par une équipe de haut niveau. A commencer par Eszter Sümegi (soprano), émouvante dans le rôle-titre, littéralement acclamée à la fin de la représentation. Au même niveau est à placer Bernadett Wiedemann (alto) dans le rôle de sa mère aveugle, tout aussi émouvante. Toutes deux maîtrisant parfaitement leur voix. Il faut les avoir entendues en duo ! Nous citerons ensuite le baryton roumain Alexandru Agache, verdiste réputé, qui campe un Barnaba machiavélique à souhait. A citer également Krisztián Cser (basse), bien connu du public, incarnant un Alvise au timbre merveilleux, parfait en inquisiteur dur et implacable (à l´exception de la violente scène de jalousie où il nous a semblé manquer de vigueur). Un bon point également pour Erika Gál (mezzo-soprano) incarnant ce soir une Laura fragile et touchante, malgré une voix par moments un peu épaisse. L´exception : Gergely Boncsér (ténor) qui nous a déçus dans le rôle d´Enzo. Non par son jeu, excellent, mais par ce timbre aigu, désagréable, donnant presque dans le fausset, et peu assuré dans les notes élevées. Par contre tous irréprochables dans le jeu. Enfin, comment ne pas mentionner la chorégraphie dont Dóra Barta nous a régalés dans le fameux ballet qui ouvre le 4ème acte. Une chorégraphie moderne et expressive, mais raffinée et fort bien dansée. A mentionner enfin : les musiciens de l´orchestre ce soir heureusement inspirés sous la baguette de Gergely Kesselyák.

 

 

Voilà pour l´interprétation. Mais que dire de l´œuvre elle-même ? Enclins à partager l´enthousiasme de Piotr Kaminski (cf. supra), nous pensons effectivement comme lui que l´opéra de Ponchielli „ne manque pas son effet”. Impossible d´y rester insensible. Rien d´étonnant à ce qu´il fût bien accueilli lors de sa création. Une œuvre forte, puissante, qui vous tient d´un bout à l´autre en haleine. Un grand mérite en revenant à Boito qui a ici offert au compositeur un livret idéal, taillé sur mesure. Le tout poignant, donc, mais sans pour autant tomber dans les effets trop faciles. Une partition bien équilibrée entre temps forts et passages plus intimes, et soulignant habilement les caractères des différents personnages. Avec une fréquente intervention, bienvenue, des chœurs.  Une œuvre digne figurer au répertoire des grands opéras de l´époque. Et ce soir admirablement servie (6).

 

 

La Gioconda, un opéra que nous avions jusqu´ici totalement ignoré. Qu´il était donc grand temps de découvrir … et d´apprécier. Voilà qui est fait.

 

 

Pierre Waline

 

 

(1): représentation signalée par ses organisateurs comme une première. Mais non une création, puisque l´opéra fut produit à Budapest dès 1883.

 

 

(2): à noter que le sujet avait déjà inspiré à Mercadante son opéra Il Giuramento (1837). Boito, qui fut le librettiste de Verdi et composa lui-même deux excellents opéras, Nerone et Méfistofele, dont nous avons rendu compte dans ces colonnes.

 

 

(3): peu sûr de lui, Ponchielli avait au départ publié son opéra sous un pseudonyme.

 

 

(4): P. Kaminski: „Mille et un opéras”, Fayard

 

 

(5): servie entre autres par Maria Callas, Montserrat Caballé, Renata Tebaldi, Fiorenza Cossotto, Giuseppe di Stefano et Mario del Monaco.

(6): moyennant toutefois une remarque: pourquoi, dans le dénouement, avoir inversé les rôles en faisant de Barnaba, tué par Gioconda, la victime, et non cette dernière (qui aurait dû se donner la mort)? Ce qui dénature en partie l´esprit d´une œuvre censée tourner autour du sacrifice de Gioconda.

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédit photos : Magyar Állami Operaház

 

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