Budapest: Joseph Haydn et un prince Esterházy réunis dans un même concert
Fondé en 1999 par le flûtiste hongrois Pál Németh, son chef actuel, l’orchestre baroque Savaria est spécialisé dans la musique des XVIIème et XVIIIème siècles. Il s’agit d’une formation d’effectif réduit jouant sur instruments d’époque. L’orchestre et son chef se sont depuis taillés une belle réputation, tant en Hongrie qu’à l’étranger, notamment par les nombreux enregistrements qu’ils nous ont laissés (1). Fondé en 1998, le chœur Octovoice offre également un effectif limité (8 chanteurs).
Au programme de ce concert donné dans la salle des Fêtes de l’Académie des Sciences: Joseph Haydn (Messe Nelson, Symphonie en ré mineur) et Pál Esterházy (Harmonia caelestis).
On sait les liens étroits qui unissaient Joseph Haydn à la famille des princes Esterházy, famille de mécènes hongrois au service desquels il entra à l’âge de 29 ans pour ne pratiquement plus les quitter.
L’idée d’associer les deux noms dans un même concert était donc particulièrement bienvenue. Des princes Esterházy non seulement grands amateurs de musique, voire excellents instrumentistes pour certains, mais dont un ancêtre s’adonna également à la composition: Pál Esterházy (2). Une personnalité d’exception, militaire de talent (maréchal à 30 ans, il s’était notamment illustré en 1683 à la bataille de Vienne contre les Turcs) et Palatin (3). Parmi ses compositions: un recueil de 55 cantates intitulé „Harmonia caelestis”. Cinq d’entre elles figuraient au programme de ce concert.
Il s’agit d’un recueil de pièces brèves de caractère très varié, de facture assez simple, pour la plupart des adaptations de chants populaires religieux hongrois, allemands et tchèques (le tout écrit en latin), mais avec ajout d’éléments inspirés de la musique savante viennoise. Tout porte à penser que le prince Pál se fit aider dans l’écriture de ces pièces. Il n’en demeure pas moins qu’elles présentent un charme évident, notamment, pour certaines, par leur caractère dansant.
La Messe Nelson de Hadyn, par contre, n’est plus à présenter. Composée en 1798 sous le nom de Missa in Augustiis (4), elle fut légèrement revue en 1803, l’effectif initial se voyant alors complété par l’ajout de vents (au départ remplacés par un orgue, par souci d’économie). Pratiquement contemporaine de la Création, elle constitue comme cette dernière l’un des chefs d’œuvre du maître d’Eszterháza, devenue de nos jours un bestseller. Composée dans la tonalité de ré mineur, il s’agit, à la différence des autres messes, d’un œuvre sombre, à l’ambiance par moments tragique, particulièrement émouvante. Une œuvre majestueuse et impressionnante, notamment par le rôle dévolu aux trompettes et aux timbales. Son nom Nelson, ajouté après coup, est apocryphe. (Nelson qui allait rencontrer Haydn lors d’une visite qu’il effectua chez les Esterházy en 1800)
Pour clore le concert, Pál Németh et son ensemble nous interpréta une symphonie de jeunesse de Haydn, également en ré mineur. Un choix fait non seulement pour sa tonalité commune avec celle de la messe, mais aussi pour son délicieux dernier mouvement (presto?) „alla ungherese”. Une symphonie en trois mouvements de facture assez simple, que je qualifierais davantage de sonate pour cordes. Car elle nous fait déjà penser aux sonates pour cordes que le tout jeune Rossini, alors âgé de 11 ans, allait composer en 1803: même fraicheur, même entrain, même impression de légèreté avec ce même dessin mélodique clair (d’où l’on pourrait presque tirer un quatuor). Une touche de fraicheur bienvenue pour ponctuer le concert, un peu à la façon d’un sorbet...
Mais c’est avec la Messe Nelson que Pál Németh, son orchestre et le chœur nous démontrèrent tout leur art. Une messe mille fois entendue - interprétée par les plus grands - et pourtant, qui n’avait encore jamais sonné comme ici: orchestre et chœur d’une clarté, d’une limpidité admirables, de plus, pour la partie de trompettes et timbales, sonnant avec brillance, mais sans aucune agressivité. Un résultat dû, bien sûr, à direction extrêmement précise et vive du chef (qui dirigeait assis), mais aussi au faible effectif: chœur limité à 12 voix et orchestre de 9 cordes (5) auxquelles étaient adjoints deux trompettes, une timbale et un clavecin. Sans oublier les solistes, quatuor irréprochable (6), avec une mention spéciale pour la soprano Krisztina Jónás, particulièrement sollicitée: voix d’une grande pureté au timbre agréable, nuancée, à l’aise dans les aigus. Cette même chanteuse qui allait interpréter après l’entracte les 5 pièces d’Esterházy, toujours avec le même succès.
Un entracte au cours duquel les musiciens se mélangèrent volontiers au public. Convivialité qui est bien dans l’esprit imprimé par Pál Németh à son ensemble.
Une de ces soirées comme nous les aimons, et, fort heureusement, comme la place de Budapest nous en offre souvent....
Pierre Waline
(1): enregistrements publiés sous le label Hungaroton, dont plusieurs opéras, oratorios et œuvres de la musique baroque française (Boismortier, Corette, Charpentier, etc.)
(2): premier Prince de la lignée, Pál, ou Paul 1er (1635-1713) était le grand-père de Nicolas 1er (Miklós, 1714-1790) qui fut l’employeur de Haydn.
(3): représentant de l’empereur en Hongrie.
(4): le titre Missa in Augsutiis pose une énigme par sa signification curieuse: „Messe en temps de rigueur”. L’une des hypothèses veut que ce fût une allusion aux économies alors pratiquées à la Cour des Esterházy. Quant à Nelson, même si le hasard veut qu’il défit la flotte française à Aboukir précisément au moment de sa parution, Haydn ne le cita jamais et ce n’est qu’ultérieurement que son nom fut joint au titre par d’autres mains.
(5): 5 violons, 1 alto, 2 violoncelles, 1 contrebasse
(6): Krisztina Jónás, soprano, Kornélia Bakos, alto, János Szerekován, ténor, László Jeki, basse
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