Budapest. Cendrillon de Prokofiev par la troupe du Théâtre Mariinsky : un pur ravissement

Budapest. Cendrillon de Prokofiev par la troupe du Théâtre Mariinsky : un pur ravissement

S´il est un conte pour enfants qui inspira les compositeurs, c´est bien Cendrillon. Tel un certain Nicolas Isouard qui en tira un opéra, paraît-il donné avec succès, douze ans avant la Cenerentola de Rossini. Ou encore Massenet dont l´opéra, créé à Paris en 1899, est malheureusement tombé dans l´oubli. Mais c´est surtout par les ballets que Cendrillon fut révélé au public, tel celui écrit par Louis Duport en 1813 pour la scène de Vienne ou encore le ballet composé par Fernando Sor, donné à Londres en 1822 et, pour la Russie, celui donné en 1893 sur une chorégraphie de Petipa au théâtre Mariinsky, composé par Boris Schell. Tous présentant de nombreuses variantes par rapport au conte de Perrault.

C´est également sur une commande du théâtre Mariinsky que Prokofiev composa son ballet Cendrillon. Composition entamée en 1941, interrompue par les hostilités et l´écriture de Guerre et Paix, puis reprise en 1943 pour être créée en novembre 1945 sur la scène du Bolchoï. Une création accueillie par un triomphe. Une partition que, contrairement à ses autres productions, l´on dit généralement d´inspiration plus occidentale que vraiment russe. Une œuvre qu´en tous les cas, Prokofiev semblait avoir à cœur. Une partition souvent qualifiée de brillante et virtuose, mais aussi par certains de très inégale (P. Kaminski, J.Ch. Hoffelé). Un ballet que nous n´avions encore jamais vu et que nous étions donc curieux de découvrir. D´autant qu´il était ici produit par la troupe du Théâtre Mariisnky (1). Occasion rarissime à ne pas manquer.  Dans une chorégraphie conçue en 2002 par Alekseï Ratmansky, ancien directeur des ballets du Bolchoï (2), l´orchestre de St Petersbourg étant placé sous la baguette de Valery Gergiev.

„Je vois en Cendrillon, au-delà du personnage de conte de fées, une femme en chair et en os qui ressent et vit parmi nous. J'ai voulu avant tout exprimer par la musique l'amour poétique de Cendrillon et du Prince, la naissance et l'éclosion de cet amour, les obstacles dressés sur son chemin et, finalement, l'accomplissement d'un rêve. » (Prokofiev). Conçu „comme un ballet classique avec ses variations, adagios et pas de deux”, ce qui fait l´originalité et l´attrait de Cendrillon est que Prokofiev y associe à un style très classique, quasi conventionnel, des innovations audacieuses.

C´est dans cet esprit qu´Alekseï Ratmansky a conçu sa chorégraphie, en cela fidèle aux souhaits du compositeur. Chorégraphie enlevée, animée et bien rythmée, parfaitement en phase avec la partition. De forme assez classique, mais en même temps moderne avec des trouvailles innovantes, mais toujours de bon goût.

Tout d´abord un mot sur l´orchestre et son chef. Valery Gergiev n´est pas n´importe qui. Personnage parfois contesté pour son fort tempérament, Gergiev figure sans conteste parmi les chefs les plus réputés sur la scène internationale. Depuis plus de trente ans chef principal du Théâtre Mariinsky dont il est aujourd´hui le directeur, premier chef invité du Met de New York, il succéda entre autres à Colin Davis à la tête du London Symphony Orchestra et à Lorin Maazel à la tête de l´Orchestre philharmonique de Munich. Gergiev n´est pas non plus inconnu du public parisien pour avoir dirigé en 2017 le concert traditionnel du 14 juillet au Champ de Mars. A priori de bonnes références, donc (3).

Emmmené par un Gergiev particulièrement inspiré, l´orchestre a su merveilleusement rendre ces riches sonorités et ce rythme très particulier propres à Prokofiev. Ce qui ne surprendra pas, les devinant parfaitement rôdés à ce type de musique. La partition ? „Très inégale”, en avaient dit certains ? Telle n´est pas notre impression. Bien au contraire. Nous serions même enclins à penser que Prokofiev nous a laissé là une de ses plus belles partitions. Une œuvre forte, mais sans brusquerie. Où l´on retrouve cette sorte de tempo di marcia immuable si typique, ce lyrisme des cordes et ces merveilleuses couleurs rendues par les bois et les cuivres, si caractéristiques. Mais le tout avec élégance et en finesse, sans recherche d´effets superflus. A titre d´exemple : l´œuvre se ponctue, non sur des accords triomphants, mais au contraire tout en douceur, presque pianissimo. Comme pour laisser pudiquement les amants se retirer vers leur nouvelle destinée, promis au bonheur. Le tout admirablement servi par un orchestre aux timbres clairs et sonnant à merveille sans jamais heurter l´oreille, même dans les passages forts.

Mais c´est en premier lieu au chorégraphe que reviennent les éloges. Ratmansky nous offre ici un Cendrillon à la fois classique et moderne et, surtout, non dépourvu d´humour. Bref, désacralisant, rajeunissant une œuvre-fétiche qui, malgré tout, avait pris quelques rides. Plus de carrosse, plus de citrouille, plus de baguette magique. De simples êtres humains „en chair et en os”, comme le voulait Prokofiev, avec leurs réactions et impulsions propres. Moderne au point que nous nous serions presque crus par moments assister à un spectacle de Broadway, mais du bon Broadway. Le tout dans de beaux costumes classiques et dans un décor sobre : simple toile de fond habillée par des éclairages en constant changement. Seul accessoire : deux petits escaliers métalliques sur les côtés pour représenter le modeste logis de la marâtre et de ses filles. Une chorégraphie servie par une troupe de haute volée, visiblement parfaitement rôdée. Avec une mention spéciale pour Nadejda Gonchar et Tatiana Katchenko dans le rôle des deux belles-sœurs acariâtres, impayables en bécasses maladroites et empêtrées dans leurs mouvements - ce qui n´est pas évident à rendre.

Mais à citer encore Alexandra Isofidi dans le rôle de la marâtre et, sur un tout autre registre, les danseurs étoile Maria Chirinkina et Alexander Sergueiev en Cendrillon et son prince charmant.

S´il fallait résumer en quelques mots notre impression, nous dirions : fraîcheur, légèreté, respiration. Bref, un vrai bol d´air bienvenu. Il nous souvient d´avoir jadis assisté sur la scène de Budapest à l´autre grand ballet de Prokofiev, Roméo et Juliette. Ballet dont nous gardons aujourd´hui a posteriori le souvenir d´un spectacle un peu lourd, poussiéreux, encombré. Quel contraste ! Peut-être nos goûts ont-ils changé. En tous les cas, c´est une belle soirée que nous venons de passer, à la fois charmante et divertissante. La perfection.

Il paraît que ce ballet constitue le fleuron de leur répertoire en Russie. Rien d´étonnant à cela.

Pierre Waline

crédit photos: Théâtre Mariinsky

(1): donné sur la scène du Théâtre Erkel dans le cadre du Festival de Printemps de Budapest.

(2): membre de l´American Ballet Theater, A. Ratmansky est bien connu du public parisien pour avoir créé plusieurs productions sur la scène du Palais Garnier.

(3): V.Gergiev est entre autres officier de la Légion d´Honneur.

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