Boulevard de la mort de Quentin Tarantino: ça roule !
Cinéma
Dans ces cinémas populaires américains - “Grindhouse” en argot - on allait, dans les années 70', voir deux films pour le prix d’un. De ces films dits “d’exploitation” avec zombies, cannibales, tueurs psychopates ou autres femmes en prison... Dans les années 80', avec l’explosion du marché de la vidéo, ces lieux de perdition cinématographique disparurent. Hommage à cette époque, le film de Tarantino “Grindhouse” Death Proof (littéralement “à l’épreuve de la mort”) est présenté en français sous le titre Boulevard de la mort. Il était diffusé, aux États-Unis, accompagné de Planet Terror, réalisé par Roberto Rodriguez (Sin city) et de quatre fausses bandes-annonces de films d’exploitation. En passant l’Atlantique, et vraisemblablement à cause du flop de sa sortie aux États-Unis, le programme “Grindhouse” a été scindé en deux films rallongés et exploités indépendamment dans toute l’Europe.
A la différence de Reservoir Dogs, ou de Pulp fiction, la narration de Boulevard de la mort est linéaire comme une voie rapide. Jungle Julia, DJ sexy à Austin, Texas, part en week-end avec ses copines pour un lac des environs. Sur la route, on parle sexe en buvant de la gnôle et des bières. Mais une seule règle : quoi qu’il arrive, pas de mecs ! Le premier groupe d’amazones s’arrête dans un bar tenu par Quentin, qui leur fait boire de la Chartreuse. Là, elles rencontrent un cascadeur sur le retour répondant au nom approprié de Mike Le Cascadeur. C’est Kurt Russell ! (New York 1997). Son bolide noir, stationné devant le bar, arbore une tête de mort sur le capot... Après une lap-dance gagnée en récitant un poème, Mike embarque une blondinette à bord de son bolide et lui explique, avant que les ennuis ne commencent vraiment, que son véhicule est à l’épreuve de la mort, mais seulement côté conducteur...Coup de frein. Nous sommes en plein film de genre “slasher”, avec un tueur occupé à éliminer un groupes de gens. Mais ici, il rencontre deux groupes de filles, et le deuxième est aussi du genre cascadeur...
Vous vous demandez certainement si l’on s’embarque avec Boulevard de la mort à bord d’une rutilante machine (auto-)référentielle brillamment conduite, pleine de dialogues étirés, l’autoradio égrénant des super chansons seventies, et au moins un acteur (conducteur) en excellent contre-emploi ? La réponse est : oui ! Tarantino fait bien ici, sur la forme, du Tarantino. L’insistance assumée sur les dialogues pourrait lasser, mais elle maximise en fait par contraste l’effet des scènes d’action et donne son rythme au film. Nous avons Kurt Russell dans un rôle de tueur pleurnichard à l’opposé de presque tous ses rôles antérieurs. Il y a encore de ces chansons appelées à devenir cultes parmi lesquelles l’ultime Chick habit de April March qui vous fera, avec raison, penser à du Gainsbourg : c’est une reprise de Laisse tomber les filles chantée par France Gall en 1964.
Apparemment fidèle, sur la forme, aux films d’exploitation, jusqu’à imiter l’aspect déplorable du film et de ses conditions de projection (rayures, sautes, faux raccord…) Boulevard de la mort n’en reprend cependant pas les valeurs. Alors que les films “Grindhouse” d’époque étaient crûment misogynes, Tarantino semble ravi de laisser le volant aux demoiselles. On sent une joie évidente à les filmer, discutant, les hommes exclus ou instrumentalisés...
Réciproquement, la caractérisation du méchant, Mike Le Cascadeur, tourne en dérision son côté «masculin agressif» (le canard sur le capot, formidable…). Pour autant, le film ne tombe pas dans le féminisme militant, se contentant de jouer avec le cliché du « girl power». Car ces demoiselles ont toutes les tares du mâle : elles picolent, aiment les grosses bagnoles, et ne parlent que de sexe ou d’argent. Renvoyés dos à dos, le super mâle et les amazones se révéleront finalement étrangement semblables et leur confrontation sera peut-être pour cette raison une collision.
Alexis Courtial
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