Au bonheur des dames I

Au bonheur des dames I

Si vous êtes l’heureux propriétaire décomplexé d’une Gold ou d’une Platinium, votre terrain de chasse le plus proche ne peut être que Vienne. En un tour de bolide sur l’A1 vous y êtes et l’opulente, la très crémeuse, saura bien vous délester de toute votre grosse monnaie. Pour ça, elle vous a concocté un petit paradis consumériste enchâssé comme un diamant dans son anneau scintillant : le premier arrondissement. Tout ce que les marques de luxe de masse promettent de ruineux y est concentré : Chanel, Hermès, Vuitton, Cartier…. avec deux bémols cependant : ces magasins ne sont pas très grands et offrent souvent la partie la plus tape-à-l’œil des collections ; l’accueil y est plutôt erratique et en définitive assez vulgaire comme la clientèle qu’on y croise parfois, le week-end notamment. 

Pourtant ne vous y trompez pas, ce quartier est absolument incontournable pour les Viennoises pur sucre qui ont développé une idée du chic qui puise beaucoup de son inspiration dans les vêtements autrichiens traditionnels et dans le faste des bals: des matières nobles, des gants, des sacs, des ceintures, des bijoux Art Nouveau, des chapeaux et des silhouettes souvent impeccables. Ainsi, çà et là sont semées d’authentiques adresses au luxe moins tapageur mais aux prix tout aussi exorbitants : Tossmann Habsbourg & Fürnkranz notamment, qui confectionnent encore du sur mesure et qui sont plus que jamais d’actualité. Pour la petite histoire, sachez que les héritiers Habsbourg sont effectivement propriétaires de la boutique qui porte leur nom sur la Habsbourgstrasse et que Fürnkranz sur la Kartnerstrasse est en fait depuis plus de 100 ans le couturier de celles qu’on regarde valser avec envie.

Alors c’est tout me direz-vous ? Et bien en fait pas tout à fait. Vienne est une petite ville qui ne connaît pas la crise et qui est constamment envahie de touristes. Elle veille donc jalousement sur sa vie privée. Elle s’est ainsi créé de petites enclaves de boutiques et restaurants d’un luxe beaucoup plus confidentiel. Je n’en connais que quatre pour l’instant, les guides étant incapables de m’indiquer si, après plus d’un an, je les ai bien toutes répertoriées. Tiens tiens, pour vivre heureux vivons donc retirés.

Et comme c’est bientôt Noël, je vais vous offrir la balade la plus cachée, la moins connue des expatriées et bien sur, ma préférée : la Freihaus. Cet ancien quartier populaire qui s’étend de Karlplatz à la Kettenbrücker gasse est en fait celui qui se déploie au sud du Nachtmarkt. Très abîmé par les bombardements durant la dernière guerre, ça n’est que depuis dix ans qu’il a progressivement repris vie bien à l’abri des circuits touristiques classiques. Bien sûr, ce n’est pas Notting Hill, mais entre échoppes poussiéreuses, galeries d’art et boutiques branchées, c’est aujourd’hui un doux mélange qui en fait l’endroit où traîner. Le soir, les bonnes adresses du coin sont blindées et une fois par mois environ, c’est vernissage collégial sur la Schleifmülhgasse. Si vous décidez de vous y promener, entrez chez le premier, antiquaire, café ou magasin qui vous fait de l’œil et saisissez-vous sans tarder de l’excellent petit guide du quartier édité par la municipalité. Vous y trouverez tous les renseignements dont vous avez besoin pour partir tranquillement à sa rencontre.

Car oui, le vrai luxe à Vienne c’est de faire comme ses habitants, de prendre son temps. Le temps d’un excellent déjeuner, le temps d’une promenade qui sort des sentiers battus, le temps de déguster une pâtisserie en lisant la presse…car,

Le luxe tapageur des marques qui s’affichent n’est en fait qu’une des expressions de cette nature viennoise tout aussi attachée à la très visible opulence de certains qu’à la tranquillité et à la qualité de vie de tous. Et si aujourd’hui dans une vraie capitale culturelle ce n’est pas ça le luxe ultime, parole de fashionista, je ne m’y connais pas.

Marie-pia Garnier

 

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