Anniversaires
Échos de la francophonie
La chronique de Dénes Baracs
J’ai vécu le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin en direct, grâce à la chaîne publique française France 2 qui en a fait un événement médiatique de premier ordre. Les rédacteurs du journal du matin ont tous fait le voyage pour nous présenter les nouvelles en direct de la capitale de l’Allemagne, aujourd’hui réunifiée, mais qui, le matin du 9 novembre 1989, était encore divisée par ce fameux mur en place depuis 28 ans dont nul ne pouvait prévoir qu’il tomberait le jour même.
Je trouve extraordinaire l'effort médiatique qui a transformé la commémoration d’un autre pays en fête partagée et en leçon d’histoire contemporaine. C’est ainsi que la construction d’une Europe unifiée doit se réaliser – surtout par les temps qui courent, où la perte de mémoire – ou l’ignorance tout court – devient endémique. Le Mur, ce n’était pas uniquement la division de l’Allemagne, mais aussi celle de tout un continent, sa disparition était le début de la reconstitution de son unité.
Détail intéressant : Si le 9 novembre était entré dans l’histoire, c’est grâce à un – ou plutôt deux – de mes collègues.
Peut-être avez-vous également assisté aux rediffusions de cette scène historique. Günther Schabowski, fonctionnaire du parti communiste et porte-parole du parti-état est-allemand, ne se doutait pas qu’il allait annoncer la nouvelle qui changerait le sort du monde en répondant à la question d’un journaliste italien, Riccardo Ehrmann, qui s’intéressait aux détails d’une nouvelle réglementation de la circulation entre les deux Allemagnes. C’était le 9 novembre 1989 à 18 heures 53. Schabowski, lui-même mal informé, croyait que les participants de sa conférence de presse avaient déjà en main le texte de la nouvelle réglementation et il croyait répéter un détail connu en expliquant qu’il serait possible de sortir de la RDA par n’importe quel poste frontière sans avoir obtenu préalablement un permis spécial.
Sa réponse a galvanisé son public, mais en fait la question décisive fut posée par Peter Brinkmann, correspondant au Bild à cette époque. Il a demandé: Quand cela prend-t-il effet? Immédiatement? Schabowski a répondu, hésitant: Cela prend effet – selon moi – immédiatement. Brinkmann a continué: Également pour Berlin-Ouest? Réponse improvisée de Schabowski: Oui, les gens peuvent également quitter la RDA directement par Berlin-Ouest. C’est alors que le Mur cessa d’exister quoiqu’il ait fallu encore quelques heures pour qu’un lieutenant-colonel de la garde frontière ordonne l’ouverture du poste frontalier de la Bornholmer Strasse sous la pression de la foule impatiente.
L’histoire est ingrate: 19 ans plus tard, Riccardo Ehrmann recevait un prix remis par le président de l’Allemagne Horst Köhler pour avoir posé la question décisive ayant ouvert le Mur. Brinkmann n’a rien reçu. Pourtant l’Italien décoré ne croit pas non plus que sa question seule ait ouvert quoi que ce soit. «Ce qui comptait, ce n’était pas la question, mais la réponse» – rappelle-t-il.
Mais en fait, il y a 20 ans ce sont surtout les Allemands de l’Est qui ont démoli le Mur en fuyant le pays, en partant par dizaines de milliers pour trouver une brèche – par exemple en Hongrie. Celle-là était ouverte depuis plusieurs semaines, donc les Hongrois faisaient également parti des tombeurs du Mur.
En tout cas, c’est à la télévision française que j’ai pu assister à la promenade commémorative effectuée sur les lieux de cette nuit historique à Berlin. On a revu beaucoup de participants d’antan, y compris Angela Merkel, aujourd’hui chancelière allemande mais à l’époque simple citoyenne de la RDA, qui a expliqué comment elle s’était rendue à l’Ouest après que l’incroyable nouvelle de l’ouverture se soit répandue.
Deux jours plus tard, autre transmission que je trouvais tout aussi lourde d’implications historiques: Angela Merkel à Paris, devant l’Arc de Triomphe, s’inclinant avec le président français Nicolas Sarkozy devant le monument du soldat inconnu, à l’occasion de la célébration de l’anniversaire de l’armistice de 1918 – la fin de la Grande Guerre.
Après 1945 ce fut la première occasion d’une présence allemande du plus haut niveau sur ce lieu sacré. Leurs prédécesseurs ont fait les pas décisifs vers la réconciliation historique, en commençant par la création du Marché commun, et jusqu’à la rencontre Mitterrand-Kohl à Verdun et leur hommage commun aux millions de morts de ces guerres sanglantes. L’exercice du 11 novembre était doublement difficile. Du point de vue allemand: parce que l’armistice de 1918 signifia la défaite et la fin de l’empire. Mais aussi du point de vue français parce que la précédente “visite” d’un chancelier allemand à l’Arc de Triomphe fût celle d’un certain Adolf Hitler en 1940, glorifiant la revanche – éphémère – des Nazis.
Pour que cette célébration commune à Paris puisse avoir lieu, il fallait aussi que le Mur disparaisse: parce qu’en fin de compte son existence était aussi liée aux terribles guerres du XXe siècle. La Grande Guerre a pris fin avec une paix mal ficelée qui a engendré la Seconde Guerre Mondiale – qui mena à la division de l’Allemagne et celle de Berlin, ce qui ultérieurement a eu comme conséquence l’érection du Mur avec la guerre froide.
Et nous savons maintenant a quel point il fut à la fois difficile et facile de démolir ce Mur. Difficile car, pour y parvenir, il fallut beaucoup d'efforts et de sacrifices de la part des Allemands des deux côtés du Mur, toute la puissance défensive et tous les succès économiques de l’Ouest, tous les échecs du communisme et toutes ces brèches qui s’ouvraient aux confins de l’empire soviétique. Mais facile aussi car après 28 ans d'érosion, le Mur ne résista pas longtemps aux simples questions de mes confrères.