ALLEZ MAINTENANT ON ARRÊTE LES CHANDELLES…ON MARCHE !
Je vous avais préparé cette semaine un tout autre billet, mais en ce samedi soir de demi-finale de coupe du monde où la France joue au rugby contre son meilleur ennemi l’Angleterre, mon sang du Sud-Ouest ne fait qu’un tour car…
Pour peu qu’on vienne d’un pays où rugby, corrida et foie gras forment toute une sainte trinité, un match avec cet enjeu-là, ça ne se loupe pas. Ce sport, on tombe dedans quand on est petit, un peu comme Obélix dans la potion magique. On y apprend le sens du combat solidaire, on y attrape le goût de la mêlée et des échappées belles. C’est comme ça.
Dimanche dernier déjà, après la victoire des Bleus contre les Blacks, j’avais reçu un mail guerrier de ma sœur qui me racontait la folle nuit passée chez nous dans le Lauraguais. Toute la famille y avait convergé pour cette rencontre où, les New Zélandais allaient, paraît-il, nous faire manger la pelouse par les racines. Je la cite «On a enfin réussi à coucher Papa et les frangins déchaînés vers deux heures du matin avec trois grammes d’alcoolémie dans le sang et seulement après qu’ils aient arrosé le jardin sous le ciel étoilé, bien campés face aux Pyrénées. Heureusement…la piscine était bâchée.» Et oui, vous connaîtriez mon père, qui est par ailleurs un homme plutôt austère, vous auriez bien du mal à l’imaginer, mais moi ça m’a fait doucement rigoler comme un signe d’excellente santé. Car c’est ça aussi l’effet rugby : la troisième mi-temps où la famille et les amis se regroupent en grande mêlée ouverte.
Et me voilà ce soir à Wien où l’on se moque bien du ballon ovale comme de son premier “apfelstrudel”. Dans le sous-sol borgne d’un pub anglais j’attends le début de la rencontre. Les footeux, quant à eux, culture locale oblige, sont à l’air pur au-dessus de nos têtes. Leur programme : un de ces innombrables matchs de qualification pour l’Euro 2008 - Allemagne/Irlande, je crois. À chacun sa grand-messe du ballon, mais ce soir, pas moins de cinq nationalités européennes réunies éclusent ici pintes sur pintes. De haut en bas, c’est bourré à craquer. Les Français, d’entrée de jeu, se font remarquer. Ils occupent en rangs serrés le devant de l’écran sous lequel ils ont accroché un drapeau tricolore un brin provocateur et franchement prématuré. Ils en font souvent un peu trop nos chers compatriotes avec leur esprit cocardier sur lequel, à l’étranger, on ne cesse de nous épingler.
Ils entrent enfin nos chers Beaux Bébés avec leurs nuques de taureaux et ces nouveaux maillots collants qui ne laissent plus rien ignorer de leurs pectoraux. Les filles crient comme des groupies et les hymnes résonnent. J’ai comme un mauvais pressentiment et ça ne loupe pas : on se prend immédiatement un essai dans les dents. Les Anglais parmi nous, bien plus discrets depuis le début de la rencontre, s’infiltrent progressivement dans nos lignes et lâchent des «C’mon Wilkinson !» auxquels les Français répondent par «Vous allez voir comment on va lui faire la barbe à votre rasoir». Et jusqu’à la mi-temps, l’équipe de France tient à peu près bon en rentrant deux coups de pied de pénalité. Pas de quoi pavoiser pourtant.
Rostbeef et Grenouilles unis, nous mettons tous à profit l’arrêt de jeu pour aller nous ravitailler en carburants frais dans une joyeuse cohue de langues entremêlées. Et c’est dans un espace saturé d’adrénaline, de bière et de fumée que s’ouvre la deuxième mi-temps. Et je me surprends à ordonner : «Allez les Petits. Maintenant, il faut Marcher ! On ne va pas se faire battre chez nous. Mettez leur pack à genoux et plantez leur un essai.» En vain ! Nous venons nous exploser sur leur défense en enchaînant quelques actions déroulées qui n’ont pas de quoi fouetter une crème anglaise ! On rentre pourtant assez vite un coup de pied de pénalité, ils nous rendent la politesse et nous continuons à labourer lourdement le gazon en faisant valser le ballon de chandelles en chandelles. On commence à en voir de toutes les couleurs. Les Anglais donnent du poumon autour de moi. Ils y croient et ils ont raison. Pour finir, on se fait repasser comme des Bleus dans les dix dernières minutes sur une faute que l’on commet devant leurs poteaux et sur un long drop que rentre Johnny Wilkinson, (vous vous rappelez, celui que l’on devait raser tout cru en première mi-temps). On prend 5 points dans la vue. On est bel et bien battu.
Signe des temps, les jeunes Français que j’avais vu fanfaronner en début de rencontre, ont plié le drapeau et levé le camp avec une célérité sans grâce qui laisse deviner l’impact de la raclée. D’autres, n’ont pas abandonné le terrain à nos vainqueurs si rapidement. En rugby, quand son équipe s’est bien battue, la défaite en chantant c’est une tradition qui s’appelle troisième mi-temps et fair-play. La prochaine fois, croyez- moi, on va en faire du rostbeef hâché…
Marie-Pia Garnier