Ágnes Polónyi, harpiste: “ La musique est pour moi une sorte de méditation”
Créé en 1983, l’Orchestre du Festival de Budapest jouit d’une réputation mondiale. Récompensé en 1998 d’un Gramophone Award (l’une des distinctions les plus prestigieuses récompensant un orchestre) suite à l’enregistrement du “ Mandarin Merveilleux ” de Bartók, il se produit à ce jour partout dans le monde, enchantant tous les amoureux de la musique classique. La harpiste de l’ensemble se confie au JFB.
JFB: À quel âge avez-vous commencé l’apprentissage de la harpe ? Vos parents étaient-ils eux aussi musiciens ?
AP: Dès l’âge de 7 ans je savais que je voulais devenir musicienne. Je me souviens d’avoir vu une fois à la télévision une émission avec un orchestre. On voyait souvent la partition à l’écran et cela m’a émerveillée. Voir toutes ces notes, c’était magnifique. Je voulais les déchiffrer. J’ai donc commencé mes études de musique la même année et je me souviens avoir affiché ma préférence pour la harpe. Je suis une fille de la campagne, on ne pouvait pas jouer de cet instrument dans la petite école de musique où je me rendais. À la place, j’ai joué du piano. Je n’arrêtais pas. C’est finalement à l’âge de 11 ans qu’une professeur de harpe est arrivée dans notre école. On m’a demandé si je ne souhaitais pas apprendre à jouer de la harpe, ce que j’ai tout de suite accepté. J’étais toute heureuse de pouvoir réaliser mon rêve d’enfance. Être devenue artiste fut une sorte “d’anomalie de naissance”. Il n’y avait pas de musiciens ni d’artistes dans la famille. Cela n’aurait jamais dû être ma vocation.
JFB: Pourquoi avoir choisi cet instrument si particulier ?
AP: Parce que tout m’attire dans la harpe et je ne saurais pas expliquer cet attrait plus en détails. Ceci étant dit, j’ai un profond attachement envers les instruments à cordes. Je suis une harpiste et je conserve encore un lien très fort avec le piano. J’ai beaucoup recours aux transcriptions du piano à la harpe par exemple.
JFB: Quelles sont pour vous les qualités nécessaires pour bien pratiquer d’un instrument de musique, et dans votre cas de la harpe ?
AP: Je dirais qu’il faut du respect pour l’instrument, presque “se soumettre” à la musique. Il faut évidemment bien travailler et être consciencieux, mais ce sont des qualités nécessaires pour tout type d’apprentissage. Je ne crois pas qu’il y ait quelque chose de spécifique pour la harpe. On me dit souvent que la harpe est très difficile. Selon moi, il faut faire beaucoup d’efforts avec tous les instruments.
JFB: Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre vie de musicienne ?
AP: Le fait d’être transportée vers un autre univers. J’aime les musiques où le temps est sans limite. Ce que je veux dire, c’est que j’aime oublier l’espace qui nous entoure et surtout oublier le temps qui s’écoule. Que j’écoute une musique pendant deux minutes, trente minutes ou bien une heure, le temps ne doit pas compter ou se compter. Je ne dois plus ressentir la notion du temps. La musique est une sorte de voyage. Un voyage qui nous emmène vers un autre univers, détaché de nos réalités quotidiennes. C’est ce qui me passionne le plus dans mon métier et c’est ce qui me rend heureuse. La musique est pour moi une sorte de méditation.
JFB: Pouvez-vous nous partager un des moments les plus marquants de votre carrière d’artiste, qui vous a le plus touché ou ému ?
AP: On joue souvent et on fait énormément de concerts dont on garde rarement un souvenir extrêmement précis. Cependant, je me rappelle d’une soirée où nous avons joué “Le château de Barbe-Bleue” composé par Béla Bartók. Il s’agit de mon compositeur préféré. Le concert se déroulait à Dortmund et le chef d’orchestre ce soir-là était Iván Fischer (co-fondateur et directeur de l’Orchestre du Festival, ndlr). J’étais sous le charme pendant les trois jours qui ont suivi. Si je devais absolument choisir un compositeur, ce serait lui.
JFB: Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’Orchestre du Festival de Budapest ?
AP: Un jour mon fils m’a demandé quels rapports j’entretenais avec mon chef. Je lui ai répondu que nous sommes en très bons termes.. Il m’a répondu que c’est ce qui lui semblait car jamais il ne m’avait entendu dire des choses méchantes à son sujet. Je dis ça pour montrer qu’il y a une excellente ambiance et que c’est un plaisir d’y jouer. En tant que musiciens, nous avons des tâches très différentes. Il y a bien sûr les concerts habituels avec tout l’orchestre et il y a aussi la possibilité de présenter des petites pièces en solo ou en musique de chambre. Ces dernières années nous nous sommes produits dans des églises, des synagogues mais aussi dans des foyers pour personnes âgées. Nous faisons régulièrement des concerts auprès des enfants. L’orchestre cherche vraiment à se produire partout, en qualité d’orchestre mondialement reconnu. Nous nous rendons quelques semaines par an à l’étranger que ce soit à New York, Montréal, Tokyo ou à de grands festivals comme ceux de Paris ou encore d’Amsterdam. Notre but est de toucher le plus de gens possible.
JFB: Quels sont les futurs projets de l’Orchestre ? Quels sont les vôtres ?
AP: C’est l’innovation qui compte. Cela ne veut pas dire que nous souhaitons créer forcément de nouvelles compositions. Ce que l’on recherche principalement, ce sont des idées pour jouer autrement une pièce que l’on joue pour la 36ème fois. Cela peut être une idée du chef d’orchestre ou d’un musicien. Tels sont nos buts futurs. Innover, créer encore ! J’ai plusieurs intérêts et projets. J’aime beaucoup un compositeur japonais nommé Tōru Takemitsu et je vais avoir l’occasion de jouer une de ces pièces,”Toward the Sea” en décembre avec le Concerto de Budapest et une seconde fois le 17 décembre dans la série musique de chambre de l’Orchestre du Festival. Beaucoup de choses m’attendent.
Propos recueillis par Éva Vámos et François Lalande
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