20-21 août 1968, invasion de la Tchécoslovaquie : l´envers du décor

20-21 août 1968, invasion de la Tchécoslovaquie : l´envers du décor

A peine retombées les fusées du feu d´artifice, au demeurant splendide, donné à Budapest en cette soirée du 20 août qu´un tout autre évènement, bien triste, celui-ci, allait être commémoré : dans la nuit du 20 au 21 août 1968, 200 000 hommes des troupes du Pacte de Varsovie accompagnant 2 000 blindés (1) envahissaient la Tchécoslovaquie, mettant brutalement fin au Printemps de Prague. On connaît la suite avec la destitution de Dubček (convoqué à Moscou) et l´immolation du jeune étudiant Jan Palack (20 ans) qui frappa le monde de stupeur.

Si je rappelle cette date, c´est pour évoquer un souvenir personnel qui s´y rattache. Tout d´abord cette merveilleuse après-midi passée un dimanche de juillet dans une Prague littéralement en fête : foule bon enfant dans des parcs archibondés, ambiance détendue et conviviale. Rarement je me serai senti aussi bien. Le Printemps de Prague : oui, on peut le dire ! J´étais alors à mille lieues de me douter de la suite.

Me trouvant en Hongrie le mois suivant, en visite chez des amis de Szeged dans le Sud du pays, nous décidâmes de faire ensemble un grand périple dans le Nord-Ouest (Transdanubie).

Devant nous rendre dans la région frontalière de Sopron, aux confins de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie, mes amis durent se rendre au commissariat pour signaler leur intention et se procurer un laisser-passer. Car, à l’époque, les Hongrois non-résidents dans les zones frontalières devaient se procurer un laisser-passer pour pouvoir se rendre dans lesdites zones.  Quant à moi, pas de problème, vu que je disposais de mon passeport français, de plus, muni d’un visa tchèque.

Nous voilà donc partis pour un périple qui devait nous mener dans la nuit à Sopron.  C’était le soir du 20 août, jour de la fête nationale.

Après mille détours, nous parvînmes tard dans la soirée non loin des frontières autrichienne et tchécoslovaque. Là, nous fûmes arrêtés par un barrage de militaires…. Nous leur montrons donc les laissez-passer et moi, mon passeport ouvert à la page du visa tchèque. A la vue de mon passeport, le soldat devint nerveux et m’intima l’ordre de rebrousser chemin. Nous nous fâchâmes, le considérant comme ne sachant pas lire. Notre homme devint alors un peu plus nerveux et menaçant, au point que nous fûmes contraints de rebrousser chemin. Un peu écœurés, nous décidâmes de rentrer directement à Szeged, qui se trouvait à l’autre bout du pays. Il y en avait pour au moins cinq heures de route la nuit.

Second fait, qui ne nous a pas frappés outre mesure sur le moment, mais dont je n’ai réalisé l’importance qu’a posteriori : à un passage à niveau, nous dûmes attendre une éternité pour laisser passer un train qui n’en finissait pas, transportant des chars. La vue de chars sur un train, bien que peu fréquente, n’était pas non plus si exceptionnelle, les Russes occupant dans le pays des immenses casernes d’où ils pouvaient parfois sortir effectuer des manœuvres ou simplement transporter du matériel. Mais là, le convoi était long et (je ne le réalisai qu’après) il se dirigeait vers le Nord.

Le lendemain matin, alors que j’étais sous la douche, mon hôte rentra précipitamment dans la salle de bains pour me crier, affolé « Nous avons occupé Prague cette nuit ! ».

Et alors, je compris tout : les chars, la patrouille. Bien évidemment, la frontière avait été fermée. Quant aux chars, je me suis après coup posé des questions sur la fiabilité de notre presse décrivant des convois de chars défonçant les chaussées… Mais non, c’est tellement plus simple et rapide sur un train ! Bon, peut-être extrapolé-je trop hâtivement.

Bien plus tard, il m’a été donné d’entendre le témoignage de soldats du contingent alors mobilisés. Pour eux, le traumatisme fut considérable, encore aujourd’hui rongés de remords pour certains. Ceci dit, cette intervention de troupes hongroises, au nombre limité, resta symbolique, sans comparaison avec celle des troupes russes (1).

L’Histoire jugera.

Pierre Waline

(1): en immense majorité russes, la Pologne ayant fourni 28 000 hommes et la Hongrie à peine quelques milliers. La Roumanie n´ayant pas participé.

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