"Liberté pour nous tous – souvenirs de '56" : une vague de protestation de plus de dix mille personnes en soutien à SZFE

"Liberté pour nous tous – souvenirs de '56" : une vague de protestation de plus de dix mille personnes en soutien à SZFE

23 octobre

23 octobre – 10 novembre 1956 : l'insurrection de Budapest et la révolte hongroise

Il y a 64 ans de cela, une vague de protestation déferlait sur Budapest et la Hongrie pour réclamer un assouplissement du régime. En effet, la Hongrie était alors considérée comme une démocratie populaire sous contrôle communiste. La mort de Staline, en mars 1953, entraîne une période d'assouplissement lors de laquelle les partis communistes européens deviennent plus modérés. En juin 1955, des revendications ouvrières à Poznan, en Pologne, débouchent sur de violentes émeutes amenant les soviétiques à nommer un réformateur à la tête du pays. Ce soulèvement polonais encourage les hongrois à espérer des concessions similaires. Le départ définitif de Rákosi – un dirigeant stalinien – en juillet 1956 permet aux étudiants, journalistes, écrivains et autres intellectuels de critiquer plus activement la politique nationale. Des forums citoyens – les cercles Petőfi – deviennent très populaires. Début octobre, lors d'une commémoration symbolique d'un communiste exécuté par le gouvernement Rákosi, les dirigeants de l'opposition se rassemblent. Mi-octobre, les étudiants désavouent l'association étudiante communiste officielle et rétablissent l'Union des étudiants universitaires hongrois autrefois interdite. Les étudiants de l'université polytechnique de Budapest rédigent une liste de revendications réformistes et, inspirés par un projet de commémoration des syndicats, les étudiants organisent la manifestation du 23 octobre.

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Ainsi, dans l'après-midi du 23 octobre 1956, environ vingt mille protestataires se rassemblent près de la statue de Josef Bem, un héros de la révolution de 1848. Des manifestes sont lus à la foule et le poème patriotique interdit, Nemzeti dal, est scandé. Son refrain affirme : "Nous le jurons, nous le jurons, que nous ne serons plus esclaves longtemps !". Les armoiries communistes au centre du drapeau national sont découpées et ce drapeau percé devient le symbole de la révolte, la statue de Staline est également renversée. La foule traverse ensuite le Pont Margit (ou Pont Marguerite) pour rejoindre le Parlement, plus de deux cent mille personnes sont alors présentes dans une manifestation pacifique historique. Mais vers 21h, une partie de la foule se rassemble devant le bâtiment de la radio nationale lourdement gardé par la police du régime (la Államvédelmi Hatóság ou ÁVH). Une délégation étudiante voulant diffuser ses revendications est arrêtée et l'ÁVH ouvre le feu sur la foule. Les soldats hongrois envoyés en renfort arrachent leur insigne et rejoignent les protestataires. La manifestation pacifique se transforme en émeute et la révolte s'étend rapidement au reste du pays. Un nouveau gouvernement se met finalement en place et promet d'organiser des élections libres, néanmoins, le Politburo change d'avis et décide d'écraser la révolution. Le 4 novembre, l'armée soviétique envahit Budapest et les arrestations se poursuivent dans tout le pays pendant plusieurs mois. En janvier 1957, le nouveau gouvernement pro-soviétique a supprimé toute opposition et le débat public est interdit en Hongrie pendant plus de trente ans. Il faudra attendre les années 1980 et le changement de régime pour que le 23 octobre devienne une fête nationale hongroise.

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Octobre 2020 : la jeunesse hongroise se réveille de nouveau

Comme nous avons déjà eu l'occasion de l'évoquer, les étudiants de l'Université d'art dramatique et cinématographique (SZFE) sont en lutte contre le gouvernement pour l'indépendance de leur institution et plus largement pour défendre la liberté d'expression et la liberté académique. Le mouvement se caractérise par l'occupation des bâtiments de l'université, une grève générale des personnels et professeurs et divers événements symboliques. Le 23 octobre était l'occasion parfaite d'envoyer un message fort au gouvernement et au chancelier Gábor Szarka, les étudiants ont ainsi organisé un événement intitulé Liberté pour nous tous – souvenirs de '56 (Mindannyiunk szabadsága - megemlékezés '56-ról).

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Il est seize heures et les transports en commun sont bondés de personnes portant un masque à l'effigie du mouvement #FreeSZFE. Devant l'université polytechnique, les organisateurs doivent régulièrement demander à la foule de reculer vers le pont Petőfi pour accueillir les nouveaux arrivants du côté de Gellért. La manifestation est officiellement lancée par la comédienne Andrea Fullajtár qui récite le fameux "hymne interdit" Nemzeti dal. La foule se met ensuite en marche vers la place du 15 mars (Március 15. tér) en chantant l'Université secrète (a Titkos egyetem), hymne des manifestations de ces derniers mois. La foule, déjà nombreuse, traverse le Pont de la liberté tandis qu'un symbolique drapeau percé flotte au sommet du camion d'ouverture. Dans le cortège, on aperçoit des pancartes de SZFE mais aussi d'ELTE, de Metropolitan, de BME, du MOME et même des universités de Pécs et Debrecen. Au milieu du pont, la foule entonne la chanson de Kossuth, figure de la révolution de 1848. Bien que les étudiants aient insisté sur le caractère indépendant et détaché de tout parti de la manifestation, le maire de Budapest, Gergely Karácsony, a personnellement apporté son soutien au mouvement en étant humblement présent dans le défilé. Alors que le Pont de la liberté est encore noir de monde, la tête de la procession atteint le Pont Elizabeth remplit lui aussi de personnes venues soutenir la manifestation. On commence à réaliser l'ampleur de l'événement.

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A l'université Corvinus, le défilé est accueilli par des applaudissements et ses rangs s'élargissent encore. Alors que les premiers manifestants atteignent la place du 15 mars, la queue est toujours à l'université polytechnique. Des torches commencent à être distribuées alors que les premières estimations font état d'environ dix mille participants. Les torches allumées, on réalise grâce à cette multitude de points lumineux l'ampleur de la foule. L'ambiance est à la fois électrique et conviviale, les chants continuent et un rappel historique du rôle des étudiants en 1956 est offert au magnétophone. Des enceintes ont été disposées sur un camion en tête de cortège mais également sur différents lampadaires, permettant à l'intégralité des personnes présentes de profiter du discours. Suite à ces mots et après avoir scandé le célèbre slogan "Pays libre, université libre !" (Szabad ország, szabad egyetem !), la procession avance dans un silence respectueux vers Uránia. De nouveaux applaudissements accueillent la procession silencieuse sur la place Ferenciek. Rákóczi út est bondée et, tandis que la tête atteint Astoria, la fin de la procession est encore sur les quais de Pest. La foule se rassemble progressivement à Uránia et, dès lors, le reste de la ville semble entièrement vide, comme retenant son souffle. A dix-huit heures, une retransmission d'un concert du groupe étudiant a Független Zeneakadémisták (les étudiants indépendants de l'académie de musique) est projetée sur l'écran géant installé pour l'occasion.

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A l'annonce de la décision du tribunal de déclarer illégale la grève des personnels de SZFE, les étudiants affirment : "Nous considérons la démonstration d'un abus de pouvoir par les employeurs un jour férié national, alors que nous commémorons les hongrois qui ont combattu lors d'une révolution héroïque contre un système répressif arbitraire, non seulement ironique mais aussi indigne". Dans le discours d'ouverture de la cérémonie, l'étudiant de SZFE Noémi Vilmos interpelle Viktor Orbán : "Il est possible de faire la révolution. Si vous voulez diriger un pays performant, il serait important de ne pas le quitter des yeux." L'étudiante à l'université des Beaux-Arts Mira Simonyi Lengyel ajoute : "En tant que recrue à l'université, je ne devrais pas assister à des forums étudiants mais assister à des cours pour lesquels j'ai été admise. Et surtout, je ne devrais pas être amenée à signaler une manifestation au poste de police. Mais nous serons tous ici jusqu'à ce que nous ayons à apprendre et à enseigner à la hauteur de l'héritage des grands artistes. Nous serons ici parce que nous voulons un enseignement supérieur de qualité et cela n'est possible que dans un établissement autonome. Cela n'est pas garanti par le pouvoir actuel." L'étudiant à ELTE Barnabás Fülöp complète enfin : "Le gouvernement veut mettre l'enseignement supérieur sous un contrôle encore plus strict. Ne le croyez pas quand il veut attribuer le changement de modèle à la volonté de modernisation. C'est une expansion du pouvoir. Ne vous faites pas d'illusion, le changement de modèle touchera tout le monde et nous ne pouvons l'empêcher qu'ensemble. C'est une responsabilité sociale collective."

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Selon Tamás Székely, président de la Confédération hongroise des syndicats, les membres de SZFE sont "intimidés par le chantage et les paroles de pouvoir" mais "nous donnent l'exemple à tous". Il a ajouté : "Je m'incline devant vous et je vous dis merci : si la jeunesse hongroise est ainsi, si toute une profession peut se mobiliser, alors il y a de l'espoir. Nous sommes solidaires avec vous car ce n'est qu'ensemble que nous pourrons retrouver ce que le pouvoir nous a enlevé. Aujourd'hui, les étudiants protègent notre avenir, aujourd'hui nous devons les protéger". Mais la manifestation pour la liberté académique a aussi été l'occasion d'exprimer un ras-le-bol plus général et d'exprimer des mécontentements jusqu'alors silenciés. Ágnes Kós, assistante chirurgicale, a par exemple pris la parole au nom des personnels de santé contre la récente loi sur la santé. Aladár Horváth, représentant du Parlement Rom, a également rappelé le rôle de sa communauté lors de 1956 et les stigmatisations qu'elle vit encore aujourd'hui.

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La manifestation est clôturée par Noémi Vilmos qui déclare : "Cet événement touche à sa fin mais ce qui s'est passé ici aujourd'hui peut être le début de quelque chose. Nous, membres de SZFE, continuerons à défendre l'indépendance de notre université mais aussi celle des autres, parce que nous sommes convaincus que nous ne pouvons être vraiment libres que si les personnes à nos côtés le sont aussi." On continue donc à suivre de près ce mouvement qui semble prendre des proportions débordant le simple cadre de l'Université d'art dramatique et cinématographique.

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