Voix de femmes
Le film Les bureaux de Dieu de Claire Simon a inauguré le 10 février dernier un cycle de films, écrits et réalisés par des femmes, qui seront projetés tous les mardis soir à l’Institut français jusqu’au 17 mars. Claire Simon a campé sa caméra au cœur d’un planning parisien pour y filmer une confrontation originale entre actrices professionnelles et non-professionnelles qui y reproduisent, avec une étonnante justesse, des dialogues réels recueillis pendant plusieurs années dans ces lieux d’écoute pour femmes.
JFB : Pouvez-vous définir ce qu’est «le cinéma au féminin» ?
Claire Simon : Oui et non. Pour moi ce qui a compté c’est le jour où Jane Campion a eu la Palme d’or. A partir de là il n’y a plus de cinéma au féminin. C’est vrai que lorsque j’ai commencé il n’y avait qu’Agnès Varda que j’admire énormément. Il y avait Chantal Akerman, Nadine Trintignant, bref très peu de réalisatrices. Et encore la France est un pays où il y a beaucoup de femmes réalisatrices. Donc, non il n’y a pas de différences, mais en même temps il est certain que le regard d’une femme n’est sans doute pas le même, selon les âges qu’on a, les origines, etc. C’est une question de regard, comment je filme un homme, comment je filme une femme. Mais sur l’égalité, l’accès, je suis reçue avec le même sérieux par les producteurs et les chaînes que si j’étais un homme, ça j’en suis sûre.
Nathalie Baye : Moi je ne vois aucune différence. François Truffaut avait dit : «Le jour où on ne précisera plus cinéaste homme ou cinéaste femme, les femmes auront complètement pris leur place.» Je pense qu’on n’a plus à le préciser. D’abord je ne fais plus aucune différence entre travailler avec une femme ou avec un homme. La différence c’est de travailler avec un bon ou avec un moins bon réalisateur. Je vais vous donner un exemple : j’ai tourné un film il y a environ sept ou huit ans un film que j’aime beaucoup et qui s’appelle Une liaison pornographique. C’est un film écrit et réalisé par un homme, Frédéric Fontaine. S’il avait été écrit et réalisé par une femme, je suis certaine qu’on aurait dit : «Il n’y a qu’une femme qui peut écrire sur le caractère de cette femme». Il parlait de la sexualité des femmes avec en même temps beaucoup de pudeur et une justesse absolument incroyable donc je me suis rendue compte que ça ne voulait strictement rien dire.
JFB : Pourquoi ce titre?
C.S. : J’ai donné ce titre par paradoxe un peu parce que le planning en France est considéré comme un truc peu terne et vieillot, un truc de vieilles filles… Quand je suis allée repérer les lieux j’y suis moi-même allée à reculons. Mais après y avoir passé une semaine, je me suis rendue compte que tout ce que je voyais et entendais était magnifique, et que c’était important. Donc, Dieu c’est la création au sens du choix que fait la femme (de garder ou pas son bébé) et la puissance créatrice des femmes. C’est le lieu de la puissance des femmes. Je voulais aussi dire qu’il y a quarante ans on disait lorsqu’une fille qui faisait des études, puis qui, dans l’élan d’une surprise partie, tombait enceinte : « Et dieu en a décider autrement ! », le fatum, le destin.
JFB : Nathalie Baye, qu’est-ce qui vous a touché dans le personnage d’Anne, conseillère ou « écouteuse » au planning, que vous incarnez ?
N.B. : C’est le projet d’une part. Je connaissais le travail de Claire que j’admirais beaucoup pour sa cohérence et son talent. Et j’avoue très naïvement que j’ignorais qu’au XXIe siècle le planning familial était important. Donc ça m’a beaucoup touchée. Je me suis rendue compte qu’on a beau avoir l’IVG, différents moyens de contraception, la parole c’est en revanche toujours un peu la même chose. Et puis en réalité ce qui m’a emballée pendant ce tournage c’est qu’on a été, nous les actrices professionnelles, un peu mises en danger. Nous ne nous connaissions pas, nous n’avions jamais répété ensemble et on se retrouvait à jouer une scène en direct devant la caméra de Claire Simon. Chacun savait son texte à la perfection (contrairement à d’autres films où les non-professionnels en général improvisent, c’est à nous de nous adapter). Nous, on pouvait être beaucoup plus déstabilisées qu’elles. Je me suis surprise, une ou deux fois pendant les prises, à devenir spectatrice de la fille qui était en face de moi et qui jouait tellement bien que je me demandais comment elle faisait. Apprendre un texte en soi n’est pas difficile, c’est le métier. Ce n’est pas difficile de dire, mais d’écouter c’est déjà un peu plus difficile, et d’écouter c’est ce qui vous fait parler juste, c’est ce qui vous fait répondre juste. Moi dans la vie je préfère écouter, j’adore poser des questions, j’adore écouter. C’est ce qui vous enrichit le plus. Ecouter c’est apprendre.
JFB : C’est un film formidablement informatif pour les jeunes femmes sur les parcours qu’elles peuvent avoir dans leur vie amoureuse, les choix qu’elles peuvent être amenées à faire, les différents moyens de contraception ou d’avortement. On y apprend tout et en détail.
C.S. : Informatif oui. J’avais envie de faire ce genre de film dans le monde d’information dans lequel nous vivons. Le cinéma est détrôné par ce monde de l’information qui nous module. Je trouve que l’information arrive comme la langue d’en haut et nous tombe dessus comme ça. En fait ce film est une autre forme d’information, la forme de tout le monde. Cela m’intéressait que des actrices et des non-actrices jouent à partir de cette règle de l’information plutôt que d’être dans l’intrigue ou dans quelque chose de plus romanesque. Un petit détail : les filles du planning n’ont pas aimé certaines choses au début car elles estimaient que je n’étais pas assez politique. Je leur ai répondu qu’on pouvait raconter l’histoire d’une fille enceinte dans un film pour TF1 et faire pleurer dans les chaumières sans problème. Par contre, filmer au planning, ça c’est politique, parce que tout à coup cette histoire, dans le planning, raconte autre chose. On peut parler ici en termes de mise en scène.
JFB : La question de l’amour est là en permanence mais le mot n’est jamais vraiment prononcé.
C.S. : Non c’est vrai, mais le film montre comment l’amour dessine la vie ou pas, comment on y fait des choix possibles ou pas.
JFB : Y a-t-il un message que vous ayez voulu faire passer sur la liberté de la femme?
C.S. : La femme a encore beaucoup à conquérir. Je n’ai pas d’ambition de message, mon ambition est d’être un bon peintre. De faire un beau tableau qui soit juste, profond. Je voulais faire un tableau d’aujourd’hui. Et je suis évidemment dans le tableau parce que je suis une femme et que ça me concerne beaucoup. Je trouve que le plus beau c’est de réussir une description. Ce doit être le plus grand défi d’un cinéaste et d’un écrivain: faire une description qui soit suffisamment complexe et rapide.page 9)
Milena Le Comte Popovic
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