Un cinéma autochtone ambulant pour « documenter le présent »
A l’occasion du Festival du Film francophone de Budapest qui s’est tenu du 26 février au 7 mars, une soirée spéciale courts-métrages a été organisée dans le splendide cinéma Uránia. La rédaction y a rencontré Atikamekw Jemmy Echaquan Dubé, réalisatrice, et Tania Choueiri, distributrice. Les deux canadiennes participent, au sein de l’organisation Wapikoni, à la promotion du cinéma autochtone.
JFB : Comment décririez-vous le Wapikoni ?
A.J.E.Dubé : Le Wapikoni, est un organisme à but non lucratif qui va dans les communautés autochtones pour les aider à créer leur film. C’est un outil. Un participant avait décrit le Wapikoni de la façon suivante : « C’est comme si, moi, je voulais apprendre à dessiner, le Wapikoni va me donner les outils nécessaires pour pouvoir dessiner ». C’est la même chose avec des films. Le Wapikoni accompagne les participants en leur apportant de l’équipement audiovisuel et une expertise du monde du cinéma pour les aider à transmettre le message qu’ils veulent donner à travers leur film.
JFB : Les professionnels de Wapikoni se rendent donc auprès des participants, pouvez-vous nous en dire plus sur le cinéma ambulant ?
A.J.E.Dubé : On se rend dans les communautés autochtones avec une grosse roulotte, et pendant quatre semaines les participants réalisent ensemble au moins cinq courts-métrages avec une équipe de deux cinéastes mentors, un intervenant jeunesse, un assistant cinéaste et un coordinateur local, souvent issus des nations premières.
Tania Choueiri : C’est un studio mobile qui va dans les communautés autochtones au Canada. On fait aussi des ateliers hors-Canada, donc à ce moment-là ils ne partent pas avec le studio mais avec un sac à dos. Au Canada, ça dure à peu près quatre semaines, alors qu’à l’extérieur ça peut durer un peu plus longtemps. Donc ce sont essentiellement des films autochtones parce qu’on va dans des communautés autochtones, mais on est aussi allé en Jordanie et en Palestine, et on va peut-être bientôt faire des ateliers avec les Roms de Hongrie. Donc on essaie de transmettre la méthodologie à d’autres populations marginalisées. Mais à la base c’est un studio ambulant autochtone.
JFB : Pourquoi privilégiez-vous le court-métrage ?
Tania Choueiri : C’est un outil plus facile, on y va seulement quatre semaines. Même les professionnels commencent toujours par un court-métrage parce que c’est plus facile à apprendre que de faire un long-métrage. Et puis en quatre semaines, ils arrivent à faire à peu près cinq courts-métrages, tout le monde travaille sur le film de tout le monde, il y a une participation… avec un long-métrage ça devient plus lourd.
A.J.E.Dubé : Je pense aussi qu’en termes de sensibilisation, et de connexion avec les gens, les courts-métrages c’est beaucoup plus facile à diffuser au public et à lui faire comprendre en peu de temps le sujet.
JFB : Et à un niveau purement cinématographique, qu’est-ce qu’apporte le court-métrage ?
A.J.E.Dubé : Quand on fait une programmation, on peut aborder un sujet de façon légère ou plus profonde, avec différents films du Wapikoni. Souvent les courts-métrages du Wapikoni abordent un même sujet, mais sous des angles différents. C’est plaisant de voir toutes ces différences-là, en voyant les films les uns à côté des autres quand on fait une programmation. Cela permet aussi de voir plus de visages, plus de participants, plus de rayonnement et de cultures. Il y a quand même soixante-six nations premières au Canada et onze au Québec. Ce sont des nations totalement différentes les unes des autres.
Tania Choueiri : En parlant d’esthétisme, on parle de cinéma hollywoodien, on parle de cinéma français, comme il y a des esthétiques naturellement, on rêve d’avoir un jour la signature autochtone.
JFB : Qu’est-ce qui pourrait contribuer à l’émergence d’une signature autochtone ?
A.J.E.Dubé : La reconnaissance. La reconnaissance que les autochtones sont là et qu’ils ont leur propre signature. Si l’on pense au réalisateur de Jojo Rabbit, Taika Waititi, c’est un maori, il a sa propre signature. Il a mis énormément d’indices de sa communauté tout au long du film, que seule sa communauté va percevoir.
JFB : Que voulez-vous transmettre dans vos films ?
A.J.E.Dubé : Au début on se basait surtout sur des jeunes de 18 à 35 ans, et peu à peu il y a des enfants de huit ans qui commencent à prendre la caméra, et des aînés aussi. C’est quand même assez intéressant parce qu’au début du Wapikoni, les aînés avaient peur de la caméra. Puis, ils se sont rendu compte, avec les années, que les jeunes prenaient la caméra pour raconter leur histoire. Finalement, Gloria, l’une de nos grand-mères, a décidé de faire des courts-métrages. Elle a utilisé ce médium-là afin de transmettre sa culture, sa vision.
Tania Choueiri : On essaie parfois de mettre des courts-métrages avant des longs-métrages en salles de cinéma, et une fois, le film d’un petit-garçon a été projeté avant une grosse production canadienne. Dans son film, il voulait parler du Titanic. Il a commencé son film en disant « j’ai vu mon père faire des films – qui en avait fait avec le Wapikoni – et donc je voulais en faire ». Donc la transmission vient un peu de tous les côtés.
A.J.E.Dubé : On a aussi des films des inuits du nord du Québec qui vont probablement être les premiers réfugiés climatiques. Il est donc important pour eux de pouvoir avoir ces outils-là afin de transmettre la culture qu’ils avaient.
Tania Choueiri : Pour documenter le présent…
Propos recueillis par Manon Martel
Retrouvez les courts-métrages Wapikoni sur http://www.wapikoni.ca
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