L'homme qui savait voir l'architecture

Exposition Lucien Hervé au Musée de la photographie

Un bel hôtel particulier près de l’Opéra - où exerçait autrefois Manó Mai, photographe officiel de la cour impériale et royale – abrite aujourd’hui le Musée de la photographie. C’est là que sont réunis des documents inédits et des photos de Lucien Hervé.

Lucien Hervé, photographe d’origine hongroise et Grand Prix de la ville de Paris, est considéré à juste titre comme l’un des grands maîtres de la photographie d’architecture. Dans l'exposition qui lui est consacrée au Musée de la photographie, l'on remarque également des portraits des plus grandes figures du Bauhaus, Walter Gropius et Marcel Breuer, puis le Corbusier avec son célèbre Modulor. On découvre par ailleurs des photos de Matisse, prises à Nice en 1949, et toute une série de célébrités hongroises qui sont passées par Paris ou s’y sont installées définitivement. Parmi eux l'on retrouve Etienne Hajdu, Rózsi et François Fejtô, Endre Rozsda, l’historienne d’art Krisztina Passuth, de grands musiciens comme György Ligeti et György Kurtág ainsi que des portraits du poète et peintre Lajos Kassák, maître de l’avant-garde hongroise. Les tirages accompagnés de manuscrits précieux qui proviennent directement de la collection du Musée hongrois de la photographie.

Le splendide studio du photographe d’antan restauré, éclairé par une verrière et décoré en trompe l’oeil, me rappelle un autre atelier, celui de Lucien Hervé près du Trocadéro. C’est là qu’il m’a reçu lors des dernières retouches de son livre: Le Corbusier vécu. Nous y avons retracé une vie pleine de surprises...

Originaire de Hódmezôvasarhely (ville de naissance de nombreux artistes hongrois et d'où provient également le nom de Vasarely), László Elkán est né en 1910. Lucien Hervé fut le pseudonyme qu'il adopta dans son combat au sein de la résistance en France, et qu’il a gardé ensuite toute sa vie. Durant une jeunesse sans histoire il pratique la lutte et joue du piano. Il est doué mais sa famille préfère qu’il apprenne le commerce à Vienne. C’est là qu’il découvre l’art d’avant-garde. De Vienne il repart pour Paris où, dès 1929, il est engagé comme dessinateur de mode chez Jean Patou. Il exercera par la suite de nombreux métiers et luttera dans les rangs du PCF avant d'en être exclu. On lui propose un jour de travailler avec un photographe pour le magazine Marianne et d'écrire les textes que son collègue se charge d'illustrer. Alors qu’ils se trouvent à Munich durant les heures les plus sombres de l’histoire allemande, son collègue photographe prend peur et décide d’émigrer. Ne voulant pas perdre son emploi, Lucien Hervé continue donc seul, s'improvisant photo-reporter. Mobilisé, il est fait prisonnier en 1940 à Dunkerque et envoyé dans un stalag en Prusse Orientale. Il y côtoie des intellectuels, peintres, professeurs de la Sorbonne, poètes royalistes et prêtres et c’est aussi là qu’il commence à dessiner. Il parvient à s'évader et à gagner la résistance à Grenoble et dans le Vercors. Après la libération, en 1948, il expose ses peintures à la fois à Budapest et à Paris et est engagé par France Illustrations.

Envoyé sur le chantier de la Cité radieuse, construite par Le Corbusier à Marseille, Lucien Hervé, qui dispose de peu de moyens, décide de faire autant de photos que possible en une seule journée. Le directeur de son journal n'apprécie guère le résultat mais Le Corbusier s’enthousiasme. On peut lire une copie de sa lettre au Musée Mai Manó: «Je tiens à vous faire mes plus sincères compliments sur votre travail remarquable. Vous avez une âme d’architecte et vous savez voir l’architecture». C’est à partir de ce moment là que, durant toute leur vie, ils ont collaboré et que Hervé est devenu le photographe de nombreux architectes célèbres parmi lesquels Gropius, Breuer, Nervi, Neutra et Niemayer.

Éva Vámos

Mai Manó Ház, 1065 Budapest – Terézváros, Nagymezô u 20

Ouvert tlj de 14h à 19h et de 11h à 19h les week end et jour fériés

Pour plus de renseignements: www.maimano.hu