« Le surréalisme, le surréel dans le réel » et l’utopie

« Le surréalisme, le surréel dans le réel » et l’utopie

Le surréalisme, le surréel dans le réel

Simone Debout et André Breton Correspondance (1958-1966) suivi de « Mémoire. D’André Breton à Charles Fourrier : La révolution passionnelle » et de « Rétrospections »

Les Editions Claire Paulhan viennent de publier la correspondance inédite de Simon Debout et André Breton suivie des écrits de Simone Debout.  Ce livre précieux a été présenté à la Librairie Tschann à Paris – et c’était une révélation avec la participation de la philosophe Simone Debout, très vivante avec ses 100 ans, prête à expliquer les grandes idées fouriéristes.

« Fourier je te salue du Grand Cañon du Colorado ... » – c’est aux Etats-Unis que Breton écrit l’Ode à Charles Fourier, c’est là qu'en exil il tombe sur des livres de Fourier.  Loin de l’Europe et de la guerre, de la France sous l’occupation, il trouve que le projet d’Harmonie serait un rêve qui n'aurait rien d'irréel.  Hommes, femmes et enfants composeraient leurs désirs avec les mouvements de la Nature, selon toutes les variantes du « mouvement passionnel » - voici le rêve des Surréalistes mis en acte sur toute la terre.  Ému et enthousiaste, Breton écrit l’Ode à Charles Fourier durant un voyage en Arizona agrémenté d’un séjour chez les indiens Hopi qui suivent une cosmologie vivante en correspondance avec les plantes et les astres animés.  En cette terre idyllique du « peuple de la paix » Breton voit un contraste avec « l’Europe prête à voler en poudre » et découvre la vision puissante de Fourier pour la libération de l’humanité.  La nouvelle industrie créera l’abondance nécessaire à l’harmonie et donc la possibilité de transformer la vie des travailleurs.  Comme l’évoque Simon Debout dans son Mémoire : « c’était un double bonheur de découvrir Fourier et de rencontrer Breton » – dit-elle.  A part quelques tentatives en Europe, c’est d’avantage aux États Unis que des projets de communautés fouriéristes ont été réalisés, dont on retrouve les traces au Texas et ailleurs.

Des rencontres improbables et historiques attirent notre attention dans ce volume : « En ce temps là je ne connaissais que de vue [Fourier] » – écrit Breton, qui en passant autrefois par des boulevards extérieurs y avait remarqué la statue de Fourier.  Mais la statue du boulevard de Clichy fut mise à la fonte en 1942 par le gouvernement de Vichy pour alimenter la machine de guerre du IIIe Reich.

C’est grâce à une rencontre improbable devenue emblématique que l’œuvre de Fourier presqu’oubliée revit.  André Breton et Simone Debout, venus de milieux différents, se sont rencontrés : enchaînements de causalité.  Mais leur convergence est improbable et mystérieuse – pense Simone Debout.  Tous les deux étaient passionnés de Fourier, et c’est en poursuivant la correspondance publiée dans ce volume que nous découvrons comment Breton désigne Simone Debout pour faire fleurir « le bel arbre de Fourier » une seconde fois.  Si Fourier doit être interrogé passionnément, comme on interroge Rimbaud, « c’est à vous qu’il le devra, il y va, à mes yeux, de l’avenir du monde » - écrit Breton.

Ce livre savamment composé réunit les échanges de lettres entre Simone Debout et Breton, avec une introduction de Florent Perrier (c’est à lui et à Agnes Chekroun que nous devons une annotation de grande qualité) suivis du Mémoire et des Rétrospections de Simone Debout.  La typographie et le choix des images, photos, dessins fac-similés de lettres et de couvertures de revues rares sont remarquables.  

Simone venait d'un milieu universitaire : elle a étudié puis enseigné la philosophie.  Ce n’était quand même pas un parcours conventionnel, car elle a fait de la Résistance pendant la guerre, et a édité avec son futur mari Les Allobroges, un journal clandestin pour le Dauphiné. Depuis qu'elle était lycéenne elle a milité et participé à la rédaction de journaux clandestins – au début en 1941 avec Sartre, plus tard en 1944 avec son futur mari.  C’est lui qui a choisi en premier le pseudonyme Debout.  Elle était prédestinée à continuer ses recherches selon les trois maximes indispensables d'après Breton : « comment transformer le monde » avec Marx et « changer la vie » avec Rimbaud, puis « refaire de toute pièce l’entendement humain » avec Fourier – toutes trois évoquées dans la préface du livre.

Coïncidences ? Simone Debout a écrit sa thèse dédiée à Fourier au moment où l'Ode à Fourier de Breton venait être éditée. Alors ils se rencontrent et cela devient une amitié qu’ils cultivent : à commencer par leur travail commun sur les publications.  À travers la correspondance nous assistons à la genèse des premières publications de Simone, éditées ou encouragées par Breton, comme pour EROS ( l’Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme ) sur la psycho-sociologie de Fourier.  Puis elle continue tout au long de sa vie à éditer l’intégral des œuvres de Fourier, dont certains manuscrits sont découverts par elle, comme le Nouveau Monde amoureux.  Elle revoit également des manuscrits érotiques de Fourier, car dans les éditions antérieures ils étaient censurés.  Dans ce petit livre prestigieux est cachée une confession de la philosophe sur ses « trouvailles, rencontres et désirs : Des coïncidences merveilleuses ; » sur l’atelier de Breton rempli d’objets magiques et sur leur enthousiasme commun pour Charles Fourier qui libère dans son Utopie en Harmonie « toutes les formes aussi changeantes que le désir, aussi variées que les êtres aimés. »  Son « mouvement passionnel » vers les autres, la nature, l’univers – devient une actualité brûlante, comme de nos jours celle des fléaux, du changement climatique, des catastrophes dites naturelles.  Simone Debout parcourt l’histoire des idées révolutionnaires socialistes ; les déceptions, les erreurs d’aiguillage : ce n’est que lentement que s’améliore le sort des humains.

A travers la correspondance nous suivons la vie intellectuelle de l’époque, le débat autour des surréalistes. Des pensées de Fourier nous arrivons dans une lettre de Simone Debout aux actualités de l’année 1959 riche en enseignements : « La fraîcheur de Fourier alors et encore me paraît irremplaçable – et ses critiques, sa rage créatrice. De Gaulle va jouer son jeu. Il faudra le critiquer. Les partis communistes et socialistes, eux sont à réinventer. C’est parce qu’on ne peut plus croire en eux que de Gaulle est si largement plébiscité. »

Jusqu’à ses derniers instants Breton a appelé à la mémoire et à l’espoir d’une transmission, d’un lien entre des œuvres surréalistes et tout ce qu’elles prédisaient, au delà des défaites répétées, au souvenir aussi des triomphes même éphémères des utopies révolutionnaires du XIXe siècle ... « Rappelez-vous cela, rappelez-vous bien tout » – ce titre cite les mots de Breton notés et édités par Radovan Ivsic - qui l’a accompagné jusqu’à ses derniers instants avant la mort.  C'était un ami d’origine croate. Mais nous apercevons de nombreux artistes originaires de l’Europe Centrale et Orientale autour de Breton.  Dans le livre sont reproduits de beaux dessins de Dimitri Varbanesco.

Ajoutons que toute une pléiade de poètes hongrois sont partis pour Paris et sont liés aux surréalistes, dont certains ont commencé à écrire des poèmes surréalistes en français. Mais pour diverses raisons ils sont retournés en Hongrie. De grands peintres hongrois ont été davantage marqués.  Le peintre Rozsda s’est installé au Bateau Lavoir – Péter Esterhazy lui a dédié un beau texte pour son vernissage en le nommant « le premier surréaliste hongrois ».

Ce beau livre fera le bonheur des lecteurs par ces temps éprouvants – serait-il temps de penser à réaliser quelques idées à la mémoire de Fourier... ?  Trois siècles d’histoire de la pensée grâce à Breton, et en ce début du 21ème siècle, grâce à Simone Debout.    

Éva Vámos

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