La Pyramide du Président

La Pyramide du Président

La chronique de Dénes Baracs

 

Ce mois de Mai 2011 nous a offert plusieurs sujets d’actualité qui auraient pu figurer dans ma chronique. D’ailleurs, alors que j’écris ces lignes, un événement inattendu ébranle toutes les prévisions et institutions : le scandale de sexe criminalo-juridico-politico-médiatique du directeur (pardon, du déjà ex-directeur) du Fonds Monétaire International (FMI), Dominique Strauss-Kahn, tellement connu qu’on utilise l’abréviation «DSK» pour le nommer. L’économiste de renom, qui à la tête de son institution, a aidé le monde entier à sortir de la crise, et dont tout le monde attendait qu’il annonce son intention de briguer l’année prochaine, sous les couleurs du Parti Socialiste, la présidence française face à Nicolas Sarkozy. Crime ou complot, la justice américaine tranchera sur les méfaits prétendus ou réels d’un homme. Quelle que soit sa décision, elle aura de profondes conséquences sur toute la politique française. Et même si les cimetières sont plein d’hommes et de femmes irremplaçables, il est regrettable de perdre un économiste et politicien de talent, victime de son caractère faible (ou trop fort), ou de son imprudence.

Face à ce torrent de téléréalité ”incroyable, mais vrai” comme aurait dit Jacques Martin, ex-mari de l’ex-femme du président Sarkozy, je préfère évoquer la commémoration d’un anniversaire, et pas le moindre puisqu’il s’agit de celui du 10 Mai 1981. L’élection de François Mitterrand au poste de Président de la République – qui devint ainsi le premier, et pour le moment le dernier, chef d’Etat socialiste de la Vème République, représenta un tournant historique et symbolique. J’y étais présent comme correspondant de presse, témoin de la liesse populaire qui salua sa victoire, de la grandiose cérémonie d’investiture conçue et organisée par Jacques Lang sur le parvis et dans les caves du Panthéon – et puis j’ai suivi avec attention les 14 « années Mitterrand ». Ce chemin tortueux fut constitué de victoires et de défaites, de réformes importantes (abolition de la peine de mort, nationalisations, relèvement du SMIC, 40 heures,...), de compromis et de reculs, et aussi de secrets compréhensibles ou obscurs, politiques ou amoureux.

J’envie les fameuses cohabitations dont il fut maître dans un pays qui refuse malheureusement cette solution de compromis souvent féconde. Certaines révélations nous ont également surprises: Mitterrand, qui avait promis d’informer tous les semestres la France de son état de santé, fut touché par un cancer dès les premiers mois de sa présidence, une maladie qu’il a tout de suite considérée comme un secret d’Etat, aidé par son docteur qui produisait des bulletins médicaux témoignant de son parfait état de santé. Je m’incline encore aujourd’hui devant son courage quand il a dû enfin révéler sa maladie et que, malgré d’atroces souffrances, il a annoncé qu’il mènerait à terme sa mission par respect envers ses électeurs.

Ce qui m’impressionne, c’est que malgré la division politique actuelle qui règne en France, 30 ans après sa victoire, une vrai „Tonton-mania” (nom utilisé par ses proches, puis par la presse) s’est emparée des média français : Le 10 mai 2011 presque tous les journaux lui ont consacré leur Une ainsi que plusieurs pages de leur édition. France 2, la chaîne publique la plus importante, dirigée par un patron nommé par Sarkozy, a même présenté pas moins de quatre films en sa mémoire ! On a parlé avec une certaine nostalgie de ses réformes et de sa politique étrangère – disons ici qu’il était un ami des Hongrois. Il a d’ailleurs souligné que ce peuple «a su préserver son identité à travers des événements de l’histoire souvent contraints». On a évoqué aussi ses «grands œuvres», comme celle du Grand Louvre avec la fameuse pyramide de verre de l’architecte sino-américain Ming Pei. On a aussi parlé de ses amours, de sa famille «officielle», de sa femme Danielle et ses deux fils, et de sa deuxième famille, cachée pendant presque 18 ans: sa maîtresse, Anne Pingeot, conservateur de musée respectée et mère de Mazarine, son unique fille, dont l’existence fut révélée un an avant sa mort.

Il est difficile d’imaginer pour un étranger la façon dont les cinéastes de la chaine France 2 ont pu concilier toutes les facettes de la vie de Mitterrand : art, politique, culture, secrets familiaux et sentiments humains. Une scène est d’ailleurs très significative : l’inauguration de la Pyramide du Louvre par Mitterrand, en présence de l’architecte Pei et d’Anne Pingeot en sa qualité de conservateur de musée. La relation intime du Président avec cette femme est encore en 1989 un secret bien gardé du grand public, mais connu de plusieurs responsables politiques présents à cet événement. Avec ces scènes, les auteurs du film ont rendu hommage à l’homme complexe qui a représenté la France pendant 14 ans – pour ses réalisation publiques, mais aussi pour ses secrets, en en combinant parfois savamment les deux. Cette scène de la Pyramide – illustre ce mélange d’officialité, de culture, d’intérêt national et de secret familial. La Pyramide inaugurée par François Mitterrand - ce passionné d’histoire et de pharaons égyptiens - représente aussi ce monument qui gardera sa mémoire pour la postérité.

 

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