Derrière le masque doré

Derrière le masque doré

Portrait d’István Zelnik

Cet ancien diplomate qui possède une collection unique de 16 000 pièces d’antiquités d’Asie du Sud Est, estimées à 1,5 milliard de dollars, ouvrira un musée gigantesque en septembre sur l’avenue Andrássy, tout en menant des fouilles archéologiques au Cambodge.

István Zelnik est collectionneur depuis 45 ans. Il n’avait en effet que 16 ans quand il a acheté ses premières pièces asiatiques au prestataire BÁV: un netsuke japonais -une miniature en ivoire- et des petites vases. „Je suis tombé amoureux de l’Asie quand j’ai rencontré un expert de l'Orient, Aladár Sövény” – se souvient István Zelnik. Ils étaient voisins au lac Balaton, à Zamardi, où Zelnik passait ses vacances enfant. Leur amitié remonte à l'époque où Sövény avait construit dans son jardin une pagode pour servir le thé, ce qui intrigua Zelnik. Sövény lui a alors enseigné le japonais et la littérature du pays du soleil levant et lui a donné la vocation des antiquités orientales. 

A la fin du lycée, Zelnik parlait déjà couramment cinq langues: le japonais, le russe, l’anglais, l’allemand et le français. Cette maîtrise des langues, rare à l'époque chez une une personne si jeune, l'a mené sur la voie diplomatique. Il a étudié à l’Institut des Relations Internationales de Moscou, dans la spécialité Asie de Sud Est. Ce fut l'occasion pour lui de développer sa pratique des langues orientales à travers 3 nouvelles langues : le khmer, le laotien et le vietnamien.

 

Fortune coloniale

Il est arrivé à Hanoï au millieu des années 1970 et a vite été confronté à des conditions de travail et de vie difficiles : la guerre de Vietnam, la chute du régime Pol Pot et les conflits Sino-Vietnamiens. Quand le Vietnam du Sud s’est libéré, en 1975, les Américains ont quitté le pays, ainsi qu’une grande partie des habitants aisés. Dans leur fuite, les habitants de cette région n’ont emporté que le strict nécessaire et des objets de petite taille. Les meubles et oeuvres d’art ont par conséquent été abandonnés. Le jeune diplomate a pu alors acheter auprès de marchands des pièces d'antiquité à un prix modique. Il a alors dépensé sans compter dans des livres et oeuvres d'art rares. Grâce à son passeport diplomatique, il a pu ramener ces pièces en Hongrie, sans payer de taxes. Son séjour en Europe s'est prolongé en raison des séquelles d'une maladie tropicale.

Muté en Belgique, il a fréquenté les centres de recherche occidentaux d’art asiatique et s'est approprié les mécanismes du marché d’art européen. „Ma collection se base principalement sur les acquisitions que j'ai pu faire pendant 5 ans en Asie du Sud-Est, et qui en constituent environ un tiers. J'ai toutefois acheté les pièces les plus significatives, les plus rares et les plus chères en Europe” – conclut Zelnik. Il a appris en enquêtant auprès des descendants de fonctionnaires que sous l'ère coloniale certains d'entre eux -diplomates, médecins, soldats- ont constitué des collections d'art importantes. Il préfère garder le voile de l'anonymat sur ses sources, mais indique quand même avoir rencontré des membres de l’ancienne famille impériale, ainsi que de celle de l’ancien gouverneur français d’Indochine. La plupart de ces héritiers ne ressentent plus de sentiment de culpabilité vis-à-vis de ces acquisitions douteuses, ayant besoin avant tout d'argent. „J’ai compris il y a vingt ans que nous étions à la fin d’un processus historique dont je pouvais profiter grâce à mon large réseau de contacts diplomatiques” – souligne en effet Zelnik.

Il s'est procuré par ce biais des oeuvres uniques à un coût beaucoup plus faible qu’auprès de grandes salles de ventes comme Sotheby’s ou Christie’s. Au cours des 20 dernières années, il a fait l'acquisition d'une dizaine de collections en voyageant en Europe occidentale et au Canada. Il s’est par exemple procuré des scultures pré-angkorienes datant du VIIème-VIIIème siècle lors d'une visite chez la famille d’un médecin à Marseille. Zelnik était venu acheter des pièces d'orfèvrerie, quand ses hôtes lui ont montré les huits sculptures qu’ils gardaient dans leur garage.

C'est surtout le plaisir de découvrir qui motive les recherches et les achats de Zelnik. Il aime écouter les histoires inédites que lui racontent les collectionneurs et les marchands, et être en contact avec des oeuvres uniques. „L’objet et son propriétaire sont liés par un sentiment insolite. Chaque fois que j’entre dans mon bureau, je jette un coup d’oeil sur le sourire mystérieux de la sculpture que j’ai installée en face de la porte. Ce moment m’inspire pendant toute la journée” – raconte Zelnik. Les vestiges des royaumes disparus font partie de ses aquisitions préférées, comme les tableaux pré-angkoriens en pierre gravés d'écritures sanscrites. Les objets en or et en argent sont les pièces les plus prestigieuses de sa collection, même s’il ne s’attache pas particulièrement à ces matières précieuses.

 

De l’anonymat au grand public

Tout comme les familles qu'il a contactées, Zelnik est resté anonyme pendant longtemps : sa collection gigantesque n'était pas connue jusqu’à ce qu'un article archéologique britannique de 2005 mentionne son activité et mette en doute l'origine de la collection de l'ancien diplomate. C'est à ce moment qu'il est sorti de l'ombre pour se justifier. Bien qu’il trouve injuste que la colonisation ait privé d'une grande partie de leur richesse archéologique les pays d’Asie du Sud Est, il considère ses propres acquisitions comme des achats légaux. Zelnik avoue tout de même avoir déjà été victime de faussaires, puisque l’authenticité de certains objets anciens ne peut être confirmée que par des analyses. C'est pourquoi il essaie de se former en permanence pour améliorer sa collection. Zelnik a créé une bibliothèque consacrée à l’art de l’Asie de Sud Est, dont il documente chaque pièce. Depuis plusieurs années, il est entouré d'experts qui le conseillent. Selon Zelnik, „l’argent ne suffit pas pour combler une collection prestigieuse, le plus important est de s’informer continuellement.”

Après avoir fui la renommée pendant longtemps, l'homme envisage actuellement de créer une exposition permanente publique. Son «Musée d’Or» ouvrira en septembre sur l’avenue Andrássy, dans le voisinage du Kogart. Il contiendra environ deux milles oeuvres d’Asie du Sud Est à l’ouverture, dont 90% d'antiquités en or, le reste étant en argent. Il souhaite montrer la richesse de l'orfèvrerie de cette région, ainsi que l’héritage des royaumes disparus khmer et cham. Il exposera entre autre la plus grande collection de masques d’or du monde, qui surpasse même celle du British Museum de Londres. Le coût estimé pour la sécurité de cette exposition est par conséquent de 100 millions de forints. La construction d'une pagode pour servir le thé et d'un jardin oriental est également prévue.

István Zelnik finance entièrement cet investissement sur des fonds propres. Il n’a jamais demandé de subventions publiques afin, dit-il, de garder son indépendance. Lorsqu'il a quitté la diplomatie, il a créé sa propre société de consultation basée en Asie, et s’occupe également d'investissements immobiliers, agricoles et scientifiques à travers la Société d’Indochine hongroise. Cette année, il a créé un Institut de Recherche sur l’Asie du Sud Est, ainsi que des bourses pour les étudiants spécialisés dans cette région à l’université ELTE. 

Zelnik a également investi 1 million de dollars dans des fouilles qui se sont déroulées sur trois ans à Koh Ker, au Cambodge, site important pour sa richesse artistique unique. Cette année, il souhaite continuer le projet en partenariat avec l’École Française d’Extrême Orient. Cette institution, la plus ancienne de France sur la recherche asiatique, délèguera un expert de leur groupe international. Ils déchiffreront ensemble les écritures sanscrites et khmères sur des tableaux qui font partie de la collection Zelnik. Les objets trouvés resteront la propriété du gouvernement du Cambodge. Zelnik souhaite créer un nouveau musée, au millieu de la jungle cette fois-ci...

Judit Zeisler

 

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