« J’ai trouvé un très bon équilibre dans la poésie hongroise »

« J’ai trouvé un très bon équilibre dans la poésie hongroise »

« J’ai trouvé un très bon équilibre dans la poésie hongroise »

Formé en lettres classiques, chargé de recherche au CNRS et traducteur, Guillaume Métayer explore et pense la littérature. Depuis la publication de ses premières traductions de poèmes hongrois en 1999, il importe la prose et les vers d’István Kemény, de Sándor Petőfi, d'Attila József, de János Garai ou encore de Krisztina Tóth (1). Entretien.

JFB : Vous traduisez de la prose mais majoritairement de la poésie, pourquoi vous êtes-vous tourné vers la traduction de poèmes ?

G. M. : Je cherchais en Hongrie une veine poétique que je ne trouvais pas en France, donc j’ai traduit des poèmes de hongrois pour les importer en France, pour faire venir d’autres voix. Par la même occasion, j’apprenais le hongrois en traduisant. Finalement, la traduction était aussi un exercice de hongrois, avec l’idée un peu folle que l’on n’apprend jamais mieux la langue que dans sa poésie. Le poème est une unité qui était bien adaptée à quelqu’un qui apprenait le hongrois, parce que c’était court.

JFB : Qu’est-ce qui vous a amené au hongrois, langue parmi les plus difficiles ?

G. M. : C’est aussi sa difficulté justement, son étrangeté. J’ai des souvenirs des albums Paninis de football et je me souviens très bien - j’étais tout petit - de regarder avec étonnement le fait qu’il y avait une seule langue européenne dont les noms de pays ne ressemblaient à rien par rapport aux autres. L’étrangeté du hongrois, son unicité en Europe, sa difficulté m’ont beaucoup attiré c’est vrai.

JFB : Comment êtes-vous arrivé à la traduction ? Par vos études de lettres ?

G. M. : Ce sont mes études de lettres oui. J’ai fait lettres classiques avec littérature française, mais aussi avec du latin et du grec, donc en réalité on traduisait tout le temps. Prendre des gros dictionnaires et déchiffrer des textes compliqués, c’est quelque chose que j’ai pratiqué très tôt.

JFB : Vous disiez que vous cherchiez à importer une certaine poésie que vous ne retrouviez pas dans la littérature en France, qu’est-ce qui vous plaît dans la poésie hongroise ?

G. M. : Les poèmes que j’ai traduits, et notamment ceux de cette génération née dans les années 1960/70, j’ai trouvé qu’ils m’apportaient quelque chose par rapport à ce qu’était le « poétiquement correct » de cette époque en France. En France, à l’époque, il y avait une poésie très métaphysique, pratiquant l’épure, le dépouillement et je trouvais que tout ça manquait de deux choses en particulier : l’observation du quotidien et l’histoire. Je trouvais que que c’était un peu abstrait et métaphysique. Et ça manquait aussi de lyrisme et d’ironie à la fois. Chez nous, il y avait toute une partie de la littérature qui était 100 ou 150% tout ironique ; je trouvais ça destructeur. Je trouvais qu’il manquait de la distance et qu’on ne pouvait pas vivre intellectuellement, émotionnellement uniquement de distance. D’un autre côté, on ne peut pas vivre non plus uniquement de grandes idées, d’abstraction, d’épure, de choses sans lieu et sans adresse… J’ai trouvé un très bon équilibre dans la poésie hongroise.

JFB : Choisissez-vous les ouvrages que vous allez traduire ? Si oui, comment les sélectionnez-vous ?

G. M. : Oui, je ne me laisse rien imposer. Le hongrois pour moi c’est un peu l’école buissonnière et je veux que ça reste du plaisir. Par exemple, je viens de traduire un recueil d’István Kemény, son dernier recueil Le Nil. C’est vraiment un auteur que je suis. Je suis aussi le travail de Krisztina Tóth dont j’avais traduit le roman Code Barre pour Gallimard il y a quelques années. Mais je m’intéresse aussi à ce qui se passe en dehors de ces auteurs que je suis ; quand je vais en Hongrie et notamment à Budapest, je reviens toujours avec une moisson de choses à lire et à découvrir.

JFB : Combien de temps nécessite la traduction d’un recueil de poèmes ?

G. M. : C’est très variable. J’aime bien travailler comme j’ai travaillé au début, c’est-à-dire en prenant beaucoup de temps et en vivant avec les poèmes. Si bien qu’après, leur traduction est quasiment déjà là.  Je les ai déjà tellement lus, relus, appris par cœur, médités, vécus, qu’à la fin je n’ai pratiquement plus qu’à écrire la traduction. Là, je traduis un recueil de Kemény, je l’ai traduit en plusieurs fois. Tantôt je traduis un ou deux poèmes que je publie dans une revue et puis ensuite je me qu’il est temps de traduire l’ensemble du recueil.

JFB : Quel est l’élément le plus important que vous essayez de transmettre lors de la traduction et quelle place laissez-vous à l’interprétation ?

G. M. : Je ne lui laisse pas beaucoup de place. J’ai essayé de traduire en étant très proche du texte d’origine, aussi bien de son sens que de sa forme, avec l’idée qu’il fallait tenter le grand écart, le grand saut, il y avait un aspect quasiment de virtuosité ou de difficulté surmontée. Après, c’est vrai que j’ai eu tout un moment où j’ai pu penser aussi que c’était bien de montrer dans le texte qu’il n’est qu’une traduction, un peu comme quand on fait un croquis et que l’on comprend que ce n’est qu’un croquis.

JFB : La traduction n’est pas votre activité principale puisque vous êtes chercheur au CNRS, qu’est-ce qu’être traducteur pour vous ?

G. M. : Je fais des liens entre mon activité de traduction et mon activité de recherche, notamment parce que, maintenant, il y a tout un champ de la recherche, la traductologie, qui existe. Souvent, j’essaie de faire comme une sorte de jeu entre les deux. Au fond, il y a un lien qui est quand même la philologie, la proximité, le corps à corps avec le texte.

JFB : Vous traduisez aussi des ouvrages en langues slovène et allemande : quel est votre rapport à l’Europe centrale ?

G. M. : L’allemand était ma première langue vivante et j’ai surtout traduit les poèmes de Nietzsche, qui est l’un de mes auteurs de recherche. C’est probablement par l’allemand que je suis entré dans cette sphère de l’Europe centrale. Quand on va à Budapest, même si c’est très différent, il y a une aire culturelle centre-européenne. Ensuite, le slovène m’est venu principalement par le hongrois. À partir du moment où j’ai commencé à graviter autour de Budapest, j’ai parfois fait des cercles un petit peu plus larges et je suis allé jusqu’à Ljubljana, Zagreb ou encore récemment à Graz en Autriche. J’ai développé quelque chose autour du hongrois, comme un monde centre-européen.

Manon Martel

(1) : István Kemény (Deux fois deux, Caractères, 2008, Prix Bagarry-Karatson), Sándor Petőfi (Nuages et autres poèmes, Sillage, 2013), Krisztina Tóth (Code-Barres, Gallimard, 2014).

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