Sur les traces de Viktor Orbán
Invitée début novembre par la librairie Latitudes de Budapest, Amélie Poinssot, journaliste du site Médiapart et auteure du livre « Dans la tête de Viktor Orbán » (Editions Actes Sud, 19,50 euros) a accordé un entretien au JFB.
Qu'est-ce qui vous a décidé d'entrer dans la tête de Viktor Orbán ?
A.P. : Je m'intéresse depuis longtemps à l'Europe centrale et j'ai vécu de nombreuses années en Pologne ce qui m'a permis de comprendre un peu mieux l'histoire et la trajectoire de tous ces pays post communistes. Viktor Orbán est omniprésent sur la scène médiatique et internationale depuis 2015 avec la crise des réfugiés. C'est un personnage clivant. Lors de mes reportages à Budapest, j'ai réalisé que Orbán n'était pas du tout un « homme nouveau » pour les Hongrois et qu'il était central depuis trente ans. Une situation inconnue en France. Cela m'a intriguée. Et, plus on découvre le personnage, plus on s’aperçoit qu’il a effectué de nombreux virages dans son parcours politique. Il existe différents Viktor Orbán et donc matière à un livre !
A la lecture de votre enquête, on voit que Viktor Orbán est très habile politiquement et très opportuniste dès ses premiers engagements. L'est-il toujours ?
A.P. : Oui, complètement. Autour d'Orbán, ses conseillers ont une forte influence idéologique sur lui. Ce fut le cas en 2015 avec la décision de ne pas accueillir les réfugiés dont il s'est saisi alors qu'il n'en était pas convaincu au départ. Il faut rappeler qu'avant son arrivée au pouvoir, Orbán n'est pas structuré politiquement. Il fait partie d'un cercle opposé au communisme qui accompagne la transition démocratique. Lui et ses amis n'imaginent pas le nouveau système. Il est libéral, anti autoritaire, anti clérical et la création du Fidesz sur les bancs de la faculté sert surtout à ne pas entrer aux Jeunesses communistes. Ils n'imaginent même pas renverser le système.
Mais, comme vous le soulignez dans votre livre, l'Histoire va plus vite qu'eux…
A.P. : Oui car, lors des premières élections en 1990, Orbán transforme le mouvement Fidesz en parti politique pour entrer à l'Assemblée. Il veut s'installer au pouvoir. Et, par pur opportunisme, lui qui est plutôt libéral de gauche, pense que le camp conservateur sera le plus porteur. Il a de l'instinct, un leadership. C’est un homme de pouvoir. C’est pourquoi, ses deux défaites électorales de 2002 et 2006 vont le faire réfléchir. Il ne les comprend pas. Pendant les huit ans d'opposition, il va tout faire pour reconquérir le pouvoir et assurer son maintien. Ainsi, lorsqu'il y revient en 2010, il est beaucoup plus radical. Il engage les grandes réformes et installe un régime hybride avec la mise au pas des contre-pouvoirs dont la justice et les médias et il fait voter la réforme constitutionnelle.
Aujourd'hui comment qualifiez-vous le régime de Viktor Orbán ?
A.P. : C'est difficile. Je dirais que nous sommes dans une démocratie illibérale telle qu'Orbán la définie dont il reste un vernis de démocratie. On peut contester, revendiquer mais personne ne le sait puisque les médias sont confisqués par le pouvoir. Pour s’informer, il faut s’en remettre aux médias indépendants diffusés sur Internet qui, pour le moment, n’est pas coupé ou brouillé.
Orbán a compris que la communication, voire la propagande, était le meilleur outil pour se maintenir au pouvoir…
A.P. : Oui, il l’a compris dès 2014 et a engagé la même démarche de communication politique avec les Européens. Des équipes sont dédiées à çà autour de lui et répètent toujours la même chose. Pour les Hongrois, il n’a pas besoin de faire de la communication car son électorat est déjà acquis même si les choses semblent bouger avec les dernières élections municipales. Mais, Budapest n’est pas représentative du pays. L’électorat de province qui est la force du Fidesz lui est acquis.
Pourquoi l’Europe, dont dépend beaucoup la Hongrie, l’a laissé faire ?
A.P. : Les traités européens comportent de nombreux verrous qui empêchent de prendre des sanctions. Mais cela ne concerne pas seulement la Hongrie. Il y a un jeu de solidarité entre la Pologne et la Hongrie qui bloque toute sanction. La seule, a été la suspension du Fidesz du PPE parce qu’il s’était attaqué à Jean-Claude Junker, l’ex-président de la commission européenne. Elle n’a été que symbolique et assez mineure au regard des autres infractions. Orbán sait très bien utiliser les faiblesses de ses adversaires et la division de l’Europe en est une.
Avec les violences campagnes contre George Soros, peut-on parler d’un racisme d’Etat ?
A.P. : Orbán n’est pas raciste. Il a lui-même des origines diverses. Il n’avait jamais tenu de discours anti migrants avant 2015 et avait même le projet de construire la plus grande mosquée d’Europe à Budapest. Mais, il est vrai que depuis, 2015, il existe une xénophobie d’Etat. Je pense que dans le contexte de l’Europe centrale, cette xénophobie est liée à un nationalisme très ancien.
Une alternative peut-elle se construire face à Orbán ?
A.P. : C’est possible mais à la condition d’un rassemblement assez large de l’opposition. Dans la coalition qui a fait tomber le Fidesz à Budapest, on trouve des écologistes, des socio-démocrates, des libéraux et une ancienne extrême droite qui s’est radoucie. Il faut attendre de voir ce que cela va donner à l’épreuve du pouvoir. Et, il ne faut surtout pas oublier qu’en Hongrie, il existe un grand décalage entre les villes et la campagne. Aujourd’hui, je ne vois donc pas comment Orbán peut chuter au niveau national. C’est quelqu’un de très jeune et il se projette jusqu’en 2030 !
Propos recueillis par Daniel Psenny
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