1956 : 63 ans déjà…

1956 : 63 ans déjà…

A supposer qu´ils avaient alors à peine 20 ans, les combattants de 1956 ont aujourd’hui plus de 80 ans… Des journées qui, pour la grande majorité, relèvent donc davantage des manuels d´Histoire que du souvenir… Comment ces nouvelles générations abordent-elles cette période ? Difficile à dire...

Pour ma part, né avec le baby boom d’après-guerre, j’avais 10 ans. Un âge où les événements s’ancrent très profondément dans notre petit crâne pour ne plus en ressortir. Tel est le cas de ces journées d’octobre 1956 dont je garde encore un souvenir très vivant.

Premier souvenir qui me revient en mémoire : celui du retour dans la nuit de mon frère rentrant d’une manifestation devant le siège de l’Humanité et du Parti communiste. Autre souvenir qui nous avait marqués : le décès du photographe Jean-Pierre Pedrazzini et ses dernières photos parues dans Paris Match. Bien peu de choses, somme toute ? Mais non !.. 

Je ne sais ce qu’il en a été ailleurs, en Europe et dans le monde, mais je peux affirmer qu’autour de moi, ces événements marquèrent profondément l’opinion, et pas seulement dans mon milieu. Seuls s’obstinèrent dans leur incroyable aveuglement les dirigeants du Parti communiste français et une bonne partie de leurs adhérents. Une honte quand je pense aux réactions observées ailleurs. Autre honte dont nous restons encore marqués : la passivité complice de nos gouvernements. Pas seulement en France, mais dans le monde occidental dit „libre”.

C’était la première fois qu’un peuple se soulevait contre l’oppression du régime communiste. Certes, l’opinion gardait en tête le souvenir d’émeutes qui s’étaient produites trois ans plus tôt en Tchécoslovaquie (Ostrawa, Pilsen) et surtout à Berlin, ces dernières violemment réprimées par les chars russes. Et puis, il y avait eu quelques mois plus tôt cette insurrection des ouvriers polonais de Poznań qui devait déboucher sur l’élection de Gomułka aux commandes de la Pologne, précisément le 23 octobre. Mais rien à voir avec ce qui se passait en Hongrie.   

On eût pu donc espérer un soutien de l’Ouest. Ne rêvons pas !  Qui allait risquer un conflit ouvert pour ce „petit” pays, certes attachant, mais sans véritable enjeu stratégique ? On a souvent invoqué la crise de Suez comme excuse pour expliquer la non intervention, du moins des Français et Britanniques. Non. Il s’agissait tout simplement de ne pas remettre en cause les accords de Yalta et surtout de ne pas prendre de risque „inutile „ pour „une poignée d’insurgés”. Les Hongrois ne nous le pardonneront jamais et ils ont raison.

Il serait peut-être plus intéressant de faire un bond plus de 60 ans en avant pour nous replacer, face à ces événements, dans la Hongrie actuelle. Si, du moins à ce que je ressens, la majorité se montre, sinon indifférente, du moins peu motivée par ce souvenir, sinon que de profiter d´un jour férié bienvenu (1), il en va tout autrement de la gente politique où chacun tente d´exploiter l´évènement à son avantage. Ces messieurs, de droite et de gauche, se réclamant fièrement héritiers des combattants d´alors. Facile à dire, quand beaucoup ne sont plus là pour réagir… Car, qui peut vraiment savoir ce que pensaient réellement les combattants de l´ époque. Certes, tous partisans d´un régime pluripartite, d´une presse libre et du départ de l´occupant soviétique. Mais au-delà ? Certains, probablement la majorité, demeurant fidèles à la personne d´Imre Nagy, d´autres souhaitant au contraire son départ, qu´ils fussent partisans du cardinal Mindszenty (2) ou, plus radicaux, nostalgiques du régime d´avant-guerre. Allez savoir ! Toujours est-il que les dirigeants actuels n´hésitent plus à prendre position contre Imre Nagy, taxé d´infréquentable communiste, au point d´avoir déboulonné la statue qui le représentait à proximité du Parlement pour la reléguer dans un coin retiré de la ville. Un geste dont ils auraient pu se passer… 

Face à cette situation confuse, une petite consolation : chaque année, l’anniversaire fait l’objet d’un rassemblement sous l’Arc de Triomphe où se retrouvent plusieurs centaines de participants pour honorer la mémoire des combattants de 56. Voilà qui nous soulage un peu du poids jeté sur notre conscience collective.

Je retrouve alors le jeune Parisien de 10 ans et les souvenirs encore si vivants qu’il a laissés au senior de 2019, devenu Budapestois, de fait et de cœur.

Pierre Waline

( 1): déclaré jour férié en 2006 à l´occasion du 50ème anniversaire.

(2): Mindszenty – libéré de prison par les manifestants - qui, en dépit de son orientation conservatrice, fit preuve d´un comportement courageux pendant la guerre, abandonnant en protestation son patronyme à consonance germanique (József Pém), puis prenant la défense des Juifs et s´opposant farouchement aux Croix Fléchées au point d´avoir été emprisonné (1944-45).

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