Mendelssohn de retour sur la scène hongroise

Mendelssohn de retour sur la scène hongroise

Elias au Palais des Arts de Budapest (Műpa)

S´il revenait aujourd´hui parmi nous, Mendelssohn serait bien surpris d´entendre sa marche nuptiale résonner dans quasiment toutes les mairies du monde (1). Autre hit-parade qui a connu un temps son heure de gloire : la symphonie italienne. Les plus avertis retiendront encore ses Romances sans parole, son concerto de violon et sa symphonie écossaise. Et, pour les encore plus avertis, quelques pièces de musique de chambre (trios). Guère plus. Point à la ligne.  Et pourtant….

Parmi les plus beaux chefs d´œuvre que Felix Mendelssohn nous aura laissés, figure sans aucun doute sa musique d´inspiration biblique : psaumes, motets, et surtout ses deux grands oratorios que sont Paulus et Elias. Comme l´on sait, c´est à lui, chef d´orchestre renommé, que nous devons la redécouverte des grands ensembles vocaux de Bach et Haendel, alors tombés dans l´oubli. Œuvres qu´il eut le courage d´inscrire au programme de ses concerts, contribuant ainsi à leur popularité. Des œuvres (tel le Messie (2)) qui l´inspirèrent profondément, sans pour autant rien compromettre de son originalité.

Mendelssohn nous avait valu par le passé quelques belles soirées sur la scène de Budapest, notamment avec un Paulus sous la baguette inspirée de Philippe Herreweghe et un Songe d’une Nuit d’été fabuleux dirigé par un Iván Fischer survolté. Cette fois-ci, c´est son oratorio Elias qui était inscrit au programme de la soirée, le plus réussi des deux, véritable chef d´œuvre. De plus, dans l´interprétation d´un ensemble qui nous est particulièrement cher : l´orchestre Orfeo (sur instruments anciens) accompagné du chœur Purcell.

Que dire, en un mot, de l´œuvre, tout d´abord ? Dominée par ces grandes masses chorales que l´on retrouve chez Haendel ou dans les Passions de Bach, l’œuvre n´en demeure pas moins marquée par cette élégance, ce raffinement que nous lui connaissons. Par ailleurs animée d´un souffle, d´un élan qui vous entraînent et vous prennent littéralement aux tripes, sans accuser pour autant la moindre trace de lourdeur. Bien au contraire, dans un style clair, aéré, enlevé (quoique non dépourvu d´une certaine emphase). C´est là tout le secret de l´art de Mendelssohn, pratiquement inégalé dans ce genre depuis Bach et Haendel. Une œuvre d´inspiration baroque, certes, mais où l´on retrouve ces élans passionnels, cette fougue propres aux romantiques. C´est là ce qui constitue son originalité et son attrait particulier, quasiment unique dans son genre (3).

Une œuvre qui débute par une imprécation d´Élie (baryton), nous plaçant d´emblée dans le contexte (4). L´ouverture ne viendra qu´ensuite, directement enchaînée de façon spectaculaire sur le premier chœur. Premières mesures (l´imprécation) où certains voient une réminiscence de la Jeune Fille et la mort de Schubert (Tamás Varkonyi). Allant même, pour l´ensemble de l´œuvre, jusqu´à y déceler l´annonce du Requiem allemand que Brahms écrira 20 années plus tard ou encore, pour certains passages, à y pressentir l´ambiance du Vaisseau fantôme (Rémi Jacobs). Opinion que nous ne partagerons pas sans réserve, mais peu importe. Là où tous les avis se rejoignent, c´est pour souligner la richesse en coloris de l´œuvre de Mendelssohn et son caractère vivant, sans temps mort. Richesse des coloris : voilà qui n´a rien d´étonnant pour qui sait que Mendelssohn, outre ses dons musicaux, était un remarquable dessinateur et coloriste. Il nous a ainsi laissé, au cours de ses voyages, nombre de dessins et aquarelles où l´on retrouve cette même finesse du trait.

Œuvre dont l´interprétation gagne à être servie par un ensemble léger, clair, à l´opposé des grandes formations symphoniques. Tel est précisément ce que nous offre le chef hongrois György Vashelyi avec son ensemble Orfeo et le chœur Purcell. Un ensemble qu´il fonda voici 28 ans et dont il est le chef titulaire, bientôt rejoint par le chœur Purcell. Chœur et orchestre spécialisés dans la musique baroque, notamment française. Ce qui tombe précisément à point nommé pour nous restituer l´oratorio de Mendelssohn dans toute sa brillance et mettre en valeur la richesse de ses tons.

Et les solistes, dans tout cela ? A citer en premier lieu le baryton allemand Jochen Kupfer dans le rôle d´Élie. Qui semblerait disposer a priori de bonnes références (ayant étudié auprès de Théo Adam, Dietrich Fischer-Dieskau et Elisabeth Schwarzkopf). Un chanteur apparemment rompu aux formations baroques (dirigé entre autres par René Jacob et Philippe Herreweghe).  Le métier, la perfection, nous faisant par moments penser à Fischer-Dieskau par le timbre et les intonations de la voix. Le reste de la distribution, dont nous ne pouvons citer ici tous les noms (3 sopranos, 2 mezzo-sopranos, 1 alto, 2 ténors, 2 basses), était composé de chanteurs hongrois, à l´exception d´un ténor allemand. Nous offrant dans l´ensemble une fort belle prestation. Avec une mention particulière pour la jeune soprano Polina  Pasztircsák à la voix fine, délicate et d´une grande pureté. Formée en Italie dans la classe de Mirella Freni, elle a, paraît-il, remporté de nombreux prix, ce qui ne nous surprend pas. A ses côtés, également irréprochables, la mezzo-soprano Dorottya Láng et le ténor allemand Sebastian Kohlhelpp. Mais c´est avant tout le chœur qu´il faut mettre ici en avant, principal protagoniste de l´œuvre face à Élie, véritable personnage à part entière (représentant le peuple d´Israël). Tout au long de l´œuvre, nous assistons à un dialogue quasi constant, souvent tendu, entre le prophète et son peuple. (Chœur qui se voit également confier le rôle des prêtres du Baal). Connaissant le niveau du chœur Purcell, dont nous avons déjà eu l´occasion d´apprécier la prestation, on ne sera pas étonné de nous voir en faire ici à nouveau le plus grand éloge. Grande clarté et parfaite diction (le texte était chanté en allemand).

Dans l´ensemble, s´il nous fallait résumer en deux mots notre impression générale, nous dirions fraîcheur et luminosité. Peut-être légèrement au détriment du côté dramatique de l´œuvre. Mais ne faisons pas la fine bouche. Ce fut réellement une belle soirée, ce que le public, par ses applaudissements nourris et ses nombreux rappels, ne fit que confirmer.

Un succès qui se sera révélé dès sa création en août 1846 à Birmingham devant 2000 auditeurs enthousiastes. Au point que l´œuvre devait être rejouée à six reprises successives à Londres dans le seul mois d´avril 1847. Succès, voire triomphe dont Mendelssohn n´aura pu profiter : apprenant à son retour le décès de sa sœur Fanny (5), Felix tomba en syncope pour la suivre six mois plus tard dans la tombe. Il n´avait alors que 38 ans…

Pierre Waline

(1): c’est en Angleterre que naquit la mode consistant à jouer la Marche lors des cérémonies de mariage, notamment à l’occasion d’un mariage princier célébré en 1858.

(2): mais surtout Israël en Egypte pour lequel Mendelssohn avait une prédilection et qu´il dirigea à maintes reprises.

(3): tel le contraste frappant entre le ton dramatique de l´ouverture et du chœur initial et, un peu plus loin, le chœur „Yet Doth the Lord/Aber sieht es nicht der Herr”, digne des plus beaux chorals de Bach.

(4): contrairement à Paulus, le livret offre ici non une suite d´événements enchaînés en ordre chronologique, mais bien plutôt une sorte de mosaïque centrée sur la personne du prophète Élie. Un homme au tempérament fougueux et tourmenté, solitaire, constamment en conflit (écartelé entre les exigences de son peuple et la volonté divine).  

(5): Fanny Mendelssohn qui se prêta également à la composition. Certainement, avec leur amie Clara Schumann, l´une des deux femmes du siècle à nous avoir légué des pièces musicales de qualité (musique de chambre, chœurs).

 

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