La Traviata à l’Opéra de Budapest: une production pour le moins surprenante...

La Traviata à l’Opéra de Budapest: une production pour le moins surprenante...

Pour cette production de la normal">Traviata, cinq représentations étaient données d’affilée, toutes à guichet fermé. Le rôle-titre (Violetta) étant partagé entre la jeune soprano ukrainienne Tetiana Zhuravel et la Hongroise Erika Miklósa. C’est cette dernière qui tenait le rôle dans la représentation à laquelle il nous a été donné d’assister. Très appréciée du public hongrois, Erika Miklósa jouit par ailleurs d’une solide réputation au plan international, disposant de références telles que les opéras de Paris, Londres, Vienne et New-York (1). Donner aujourd’hui la Traviata, probablement l’opéra le plus joué de Verdi (2), constitue une gageure pour qui se souvient des Violetta incarnées par des noms prestigieux tels que Maria Callas, Renata Scotto, Ileana Cotrubas, Anna Netrebko et tant d’autres. Qu’en fut-il, donc?

 

 

Avant de parler des chanteurs, un mot sur la mise-en-scène et les décors. Généralement, La Traviata donne prétexte à de fastueux décors censés représenter le salon parisien de Marie Duplessis. Tel ne fut pas ici le cas. Bien au contraire: simple fond de scène sans motif, constitué de sortes de portes vitrées derrière lesquelles apparaissaient par moments des figurants. Avec pour uniques meubles trois méridiennes. Rien d’autre.

La mise-en-scène? Jugeons-en: dès l’ouverture (prélude), spectacle laissant deviner en fond de scène des couples se dandinant dans un décor de disco, en décalage total avec la musique. Pour la suite: le couple Violetta-Alfredo se jetant dans un canapé qu’ils renversent pour en ressortir quasiment à quatre pattes, lui à moitié dépoitraillé (quelques rires dans le public). Un Germont affublé d’une tenue bottée qui nous ferait plutôt penser à un personnage égaré du Freischütz. Quant à sa fille, la sœur d’Alfredo, le sommet: représentée par une petite fille obèse trimbalant une énorme sucrerie (barbe à papa). Nous vous faisons grâce de la suite, tel ce grand masque de bal en tête de mort qui apparaîtra, menaçant, en fond de scène. Les metteurs-en-scène, toujours empressés à nous faire passer des messages, ont parfois de bien curieuses trouvailles. Autre bizarrerie: cette Blanche-Neige qui, en plein ballet, surgit d’un cercueil en plastique,... charrié sur scène par des taureaux, eux-mêmes combattus par un superman venu libérer la belle. Quel rapport, quel message? Allusion au sort de Violetta? Alfredo le superman? Allez donc savoir! Quant aux chœurs: on ne les voit pas sur scène, car ils sont relégués de part et d’autre à l’ombre dans les deux loges latérales (dont j’imagine l’inconfort). Remplacés sur scène par des acteurs et danseurs.

Côté chanteurs. Erika Miklósa et pratiquement elle seule, du moins dans les trois rôles principaux. Ses protagonistes nous ayant semblé plutôt hors de propos. Un Germont, censé être le père d’Alfredo, interprété ici par un presque jeune premier, que nous verrions davantage en contemporain d’Alfredo. Du moins celui que nous avons eu ce soir-là. Un jeune dont la voix était visiblement forcée pour se donner un air de vieux. Quant à Alfredo: une voix frêle, désagréablement aigüe, donnant par moments dans le fausset, totalement en discordance avec celle de sa partenaire. Une partenaire, Erika Miklósa en Violetta, par contre excellente, à la voix délicieuse. De plus, fort belle. Mais... avec de tels partenaires et dans un tel cadre, que faire? C’est pourquoi nous l’avons ici plutôt appréciée par son habileté à manier les vocalises et par la pureté de sa voix sans pour autant vraiment sentir le drame vécu par son personnage. Certainement eût-elle été plus convaincante en d’autres circonstances, avec d’autres partenaires. Il est vrai que les autres rôles, personnages secondaires, furent par contre honorablement tenus.

Que dire d’autre? Sinon un corps de ballet de bon niveau et un orchestre bien mené.

La Traviata: un opéra vu mille fois dont on ne se lasse jamais. Telle une mémorable représentation vue jadis sur cette même scène de Budapest. Notre amertume en est d’autant plus grande, en bonne part imputable aux géniales trouvailles du metteur-en-scène, un certain Ferenc Anger... Et, nous allions presque l’oublier, Verdi, dans tout cela? Tapi au fond de sa tombe (où nous le laisserons se retourner à loisir), il était bien loin, ce soir...      

L’Opéra de Budapest, qui nous avait habitués jusqu’ici à infiniment mieux, et son public, n’en méritaient pas tant. Une fois n’est pas coutume... 

Pierre Waline

(1): Erika Miklósa s’était au départ destinée à l’athlétisme, projet qu’elle dut abandonner suite à un accident. Elle est surtout connue pour ses nombreuses apparitions en Reine de la Nuit.

 

(2): lorsqu’on lui demanda un jour lequel de ses opéras il préférait, Verdi répondit: „Au plan professionnel, Rigoletto, mais en tant qu’amateur, la Traviata”.

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