« Sur le bout de la langue » et le Festival Francophone
Rencontre avec M. Hervé Ferrage à l’Institut français à Budapest
M. Hervé Ferrage, directeur de l’Institut français et conseiller culturel, nous a parlé, à l’occasion du lancement du 17ème Festival francophone en Hongrie, du cinéma, du théâtre et de la musique et des quelques surprises qui nous attendent lors du Festival.
Éva Vámos : Pourriez-vous nous parler de l’origine de ces journées du film francophone ? Depuis quand existent-elles et comment ont-elles été mises en place ?
Hervé Ferrage : Traditionnellement, les journées du film francophone ouvrent le festival de la francophonie. Ces journées sont plus récentes que le festival lui-même, puisqu’il s’agit cette année de leur 7ème édition dans le cadre d’un festival qui existe depuis 17 ans et qui a vu sa programmation s’étoffer au fil du temps. Malgré leur caractère plus récent, ces journées sont l’un des aspects les plus populaires du festival.
L’Institut Français, quant à lui, a pour mission de coordonner l’ensemble du festival, dans lequel sont impliquées un grand nombre de pays liés à la Francophonie et représentés en Hongrie par une ambassade. Cette année, on peut citer particulièrement le Canada puisque c’est le 150ème anniversaire du pays et que nous clôturerons le festival en le mettant à l’honneur avec le film de Xavier Dolan Juste la fin du monde. La programmation compte aussi, entre autres, un film marocain et un film roumain, des films suisses et belges, et un film qui est une co-production française, suisse, belge et libanaise. Bref, nous essayons de mettre en valeur la diversité des cultures du monde francophone.
É. V. : Alors, pour mettre en avant cette diversité des cultures et la richesse du cinéma francophone, comment la programmation de ces journées a-t-elle été réalisée ?
H. F. : Ces journées du film sont conçues d’abord par notre attachée audiovisuelle, Jessica Faverel, en partenariat avec des distributeurs hongrois. Les films français ou francophones achetés en Hongrie sont prioritaires dans la programmation du festival. Cette coopération permet de mettre en valeur le travail franco-hongrois autour du cinéma. La programmation se base aussi sur le choix de grandes figures du cinéma français que l’on a envie de mettre à l’honneur. Nous privilégions des acteurs ou des actrices qui sont en têtes d’affiche de certains films programmés : cette année par exemple Nathalie Baye. Elle apparaît dans plusieurs films durant le festival, et nous avons pensé que, vu son importance, c’était une bonne idée de lui consacrer une petite rétrospective.
Par ailleurs Jessica structure la programmation autour de thématiques qui lui paraissent en phase avec les films retenus. Nous avons ainsi trois fils directeurs cette année : face à la galère, face à la vérité, face à l’inhabituel. L’exercice d’élaboration de la programmation est donc un petit défi, qui comprend des contraintes, mais elles sont agréables et se font dans un esprit de coopération franco-hongroise autour du cinéma. Dernier point : chaque année nous sommes heureux d’accueillir des actrices, des acteurs ou des réalisateurs en lien avec les films projetés. Cette année, c’était un plaisir particulier de recevoir François Desagnat, réalisateur d’Adopte un veuf, et l’une des actrices du film, Julia Piaton. Autour de leur visite, nous construisons aussi tout un programme de rencontres avec le public, d’interviews, etc.
Pour ce qui est de mes préférences parmi les films programmés, eh bien, je vous le dirai dans 10 jours, à la fin de ces journées très riches.
É .V : Je vois aussi un très joli titre, « sur le bout de la langue », c’est une compagnie et un autre versant du festival. Il y aura de la littérature avec le printemps des poètes ainsi que du théâtre…
H. F. : L’un des piliers du festival de la francophonie, à côté du cinéma, c’est le vaste domaine éducatif. Il s’agit pour nous, entre autres choses, de faire circuler dans toute la Hongrie des spectacles à destination des publics jeunes, qui apprennent le français sans nécessairement le maîtriser. Le spectacle « Il était une fois le français » proposé par la compagnie « Sur le bout de la langue » correspond à cette exigence. Nous faisons alors en sorte de ne pas nous limiter à Budapest et de raisonner à l’échelle du pays afin que les compagnies et comédiens puissent rencontrer des élèves et professeurs à Pécs, à Szeged, à Debrecen, à Miskolc, bref dans toutes les villes importantes du pays.
É.V. : Je vois qu’il y aura des évènements dans les meilleurs théâtres de Budapest…
H. F. : En effet, c’est le troisième élément. A côté de l’éducatif et du cinéma, il y a une partie proprement culturelle, avec par exemple de la danse au Trafó, mais aussi une programmation musicale très étoffée et très variée. Tamara Mózes le 2 mars, du jazz avec OZMA le 9, de la musique classique avec Péter Csaba le 13, de la musique de la Renaissance le 16, la chanteuse Boggie le 23 à l’Institut. Les événements hors les murs sont aussi essentiels, comme le 4 mars, l’opéra de Rameau, Naïs, joué au MÜPA, témoignage remarquable de coopération franco-hongroise, ou encore pour le jazz Eric Truffaz au MOM le 26. Bref une grande richesse qui devrait permettre de satisfaire tous les goûts.
É .V : Au bord du lac Balaton il y aura le vernissage d’une exposition Daumier, le musée des Beaux-Arts prête des toiles, il y aura aussi la présence d’artistes contemporains comme Ákos Matzon et d’autres :
H. F. : Oui en effet, l’Ambassadeur inaugurera cette exposition le 25 mars. C’est maintenant un rendez-vous bien inscrit dans le calendrier de nos coopérations. Il y a deux ans nous avions inauguré une exposition autour de Picasso et Cocteau. La villa Vaszary, liée au Musée des beaux-arts, est un excellent partenaire, pour mettre en valeur les trésors artistiques de nos deux pays. Elle bénéficie aussi d’un cadre magnifique.
É. V. : C’est assez emblématique d’avoir Daumier…
H. F. : Je n’ai pas encore vu précisément comment était conçue l’exposition mais j’imagine l’essentiel provient du fonds graphique du Musée des beaux-arts. Daumier est un grand caricaturiste, notamment de nos mœurs politiques, voilà un sujet en prise sur l’actualité !
Théo Cazedebat : Au vu des disciplines artistiques proposées avec l’Institut français, vous parlez de cinéma, de théâtre, de musique, comment fait-il dialoguer les arts, et quelle est l’importance de cette mission ?
H. F. : Actuellement, dans les murs de l’institut et dans le champ culturel, nous proposons essentiellement une programmation cinéma. Dans certains cas très précis, par exemple en ce moment avec le festival de la francophonie, nous élargissons notre programmation. Notamment, je l’ai déjà signalé, dans le domaine de la musique. Néanmoins, en lien direct avec les réductions budgétaires de ces dernières années, il n’est plus possible pour nous d’être producteur d’événements, de spectacles, comme ce fut le cas auparavant. Donc cinéma avant tout, avec un dosage aussi fin que possible entre films classiques français et nouveaux films.
T. C. : Pourriez-vous alors nous parler des partenariats que vous avez hors des murs de l’institut français pour contribuer à votre programmation culturelle ?
H. F. : Les partenariats hors les murs sont très importants et répondent à des objectifs assez diversifiés. D’une part il s’agit de travailler avec des lieux qui promeuvent la jeune création et valorisent des productions novatrices. Le Trafó est le plus bel exemple de ces lieux, avec une ouverture internationale remarquable, vers la France en particulier, notamment dans le domaine du nouveau cirque, où les français sont en haut de l’affiche, mais il y a aussi la danse, les formes mixtes, etc.
D’autre part il y a la coopération avec les grandes institutions culturelles de Budapest. Notre intervention consiste alors à accompagner au mieux les projets liés à la France. Cela peut être dans le domaine des arts visuels, comme avec la Galerie nationale et le musée des Beaux-arts. Avec ces deux institutions, il y a eu aussi un partenariat original : avant que l’espace d’exposition de l’Institut ne ferme, nous avons organisé en 2015-2016 deux belles expositions dont la dernière était consacrée à Vasarely. L’objectif était de mettre en valeur les collections d’art graphique français du musée, dans une approche patrimoniale.
Même démarche pour la musique. J’ai cité le concert du 4 mars au MÜPA, avec la création d’un opéra français du 18ème siècle présenté à un public hongrois. La musique baroque française n’était pas, il y a quelques années encore, une musique très écoutée ici dans les salles de concert, mais le travail assidu du chef d’orchestre György Vashegyi, en partenariat avec le Centre de Musique Baroque de Versailles, a réussi à faire évoluer les choses de façon impressionnante. Aujourd’hui lorsqu’on va au MÜPA pour des concerts de musique française, le public est au rendez-vous et il est fidèle. Ce sont donc des événements que l’Institut français accompagne avec enthousiasme !
Julie Gaubert : Au vu des réactions des dernières projections des films de presse, il semblerait que les films français plaisent. Selon vous qu’est-ce qui attire le public hongrois au festival du film francophone ?
H. F. : Il faudrait sans doute interroger des hongrois pour le savoir, mais je pense qu’il y a un vrai public cinéphile à Budapest, et ailleurs en Hongrie. Il y a notamment un public jeune qui veut découvrir les grands classiques du cinéma français. Une anecdote à ce sujet : lorsqu’il y a un an et demi l’Institut français a programmé Le Mépris de Jean Luc Godard, nous avons fait salle comble à deux reprises et avec un public dont la moyenne d’âge devait être inférieure à 30 ans. On peut en déduire que le cinéma français jouit d’une image forte ici, surtout la Nouvelle Vague qui reste la référence absolue et dont les hongrois ont envie de découvrir les films sur grand écran. Les grandes figures d’acteurs, d’actrices, de réalisateurs français continuent aussi à fasciner.
A partir du moment où ces bases existent, il est aussi plus facile de susciter l’intérêt pour la nouvelle cinématographie française. Le cinéma hongrois et sa reconnaissance durant les derniers festivals montrent par ailleurs que c’est un art très vivant, il peut ainsi y avoir des passerelles qui se construisent et une coopération entre les différents pays à travers le cinéma. Un bel exemple, c’est László Nemes, réalisateur du fils de Saul, parfaitement francophone et formé en partie en France. C’est dont des mondes qui communiquent et se connaissent.
UniFrance, qui est chargé de l’exportation du film français considère aussi que le marché Hongrois est un petit marché mais très vivant. Si la Pologne vient en première position en Europe centrale et orientale, la Hongrie la suit de près, surtout si on rapporte les chiffres au nombre d’habitants.
J. G. : Pour clôturer ce festival, l’institut va ouvrir ses portes, qu’est-ce qui attend donc le public ?
H. F. : Traditionnellement, on fait deux journées portes ouvertes par an, une en septembre et une en mars, pour faire connaître nos activités, notamment celles du centre de langue qui est le poumon de l’Institut dans la mesure où il génère des recettes. Il est donc important pour nous de promouvoir notre offre de cours et de viser toujours plus d’inscriptions !
L’Institut, c’est aussi une « maison de France » ou une petite France à Budapest, avec un cinéma, une médiathèque, des commerces en rez-de-chaussée, une brasserie, etc. Il est important de le faire mieux connaître sous cet angle.
Les Portes ouvertes du 25 mars auront pour thème la mode. Nous proposerons deux défilés de mode en coopération avec deux écoles de mode de Budapest, en jouant sur l’une des images phares associées à notre pays, et en mettant aussi en valeur la Francophonie, mais je vous laisse découvrir de quelle façon…
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