Thomas Bidegain : Du scénariste primé au réalisateur prometteur de Les Cowboys.

Thomas Bidegain : Du scénariste primé au réalisateur prometteur de Les Cowboys.

Deux fois récompensé aux Césars pour son travail sur Un Prophète et De Rouille et D’Os, le scénariste français est venu présenter à Budapest sa première réalisation, Les Cowboys. Le film raconte l’histoire d’une adolescente française qui part faire le djihad en laissant derrière elle ses proches dans l’incompréhension, tentant désespérément de la retrouver. Il s’agit d’un Western moderne rythmé par les différents attentats qui ont ébranlé le début du siècle. Une œuvre à la fois sensible et ambitieuse décrivant avec justesse la tourmente de cette famille juxtaposée à celle du monde occidental en guerre contre le terrorisme. Le film est projeté au cinéma d’Urania en ce moment.

JFB : Comment passe-t-on de scénariste à réalisateur et comment vous est venu l’idée des Cowboys ?

T.B. : J’avais cette histoire en tête et Laurent Abitbol, un copain scénariste m’a parlé des communautés country existant en France. Il m’a dit que c’était une bonne base pour faire un western car nous avions déjà les images. Je viens vraiment d’un cinéma classique. Ma cinéphilie se raccroche aux films de studios et les films des années 40, 50 et 60 incluant beaucoup de western très premier degré. Donc quand j’ai imaginé cette histoire, j’ai pensé la développer autour d’une métaphore de cowboys et d’indiens.

Tout le film est basé la dessus. Alain croit qu’il est un cowboy et considère les arabes et les musulmans comme des indiens. Alain fume le calumet de la paix par exemple ou marche avec son fils suivit par des silhouettes comme s’ils étaient dans un canyon ou encore le fait que le fils revienne avec une « squaw ». C’était très personnel au final, je me suis dit « c’est ma chanson, il faut que ce soit moi qui la chante ».

JFB : Pourquoi avez-vous eu l’envie d’appliquer cette métaphore du western à cette adolescente partant faire le djihad et recherchée par son père et son frère ?

T.B. : Je voulais raconter les premières années du siècle. Le film commence en 1994 et finit en 2011 au moment où Ben Laden est exécuté. C’est comme si c’était une guerre mondiale, la première que nous vivions, pas celle de nos grands-parents. Celle que l’on a vraiment connue, nous. Vous voyez, on se réveille un matin et Londres est attaqué, puis un autre jour c’est Jakarta, et encore un autre Madrid sans parler du 11-Septembre. Une guerre mondiale que l’on n’a pas vu venir. Dans le film, Alain ne comprend pas. Quand le premier avion est rentré dans la tour, on a cru à un accident. Puis le deuxième est arrivé et l’on s’est dit « c’est la guerre ».

C’est vraiment ce que raconte mon film. Kelly part dans des sortes de réseaux souterrains qui se sont développés après la guerre de Yougoslavie et qui passaient par le Yémen, l’Algérie, puis se retrouvaient au Pakistan. Personne ne savait qu’il y avait un Ben Laden et une armée secrète qui allait nous déclarer la guerre mais pourtant ça existait déjà. L’idée c’était donc de raconter tout ça. Du moment où l’on ne comprenait rien jusqu’à celui où l’on a peut être une solution. Je voulais raconter cette guerre avec ses victimes, avec ces personnages simples qui se retrouvent lancés dans le fracas du monde.

JFB : Vous avez écrit Un Prophète, De Rouille et D’Os et Deephan pour Jacques Audiard. Comment vous êtes vous rencontrés et en quoi consiste votre collaboration ?

T.B. : Je connais Jacques depuis très longtemps. On se croisait déjà lorsque j’étais étudiant. Quand j’ai commencé à écrire je lui transmettais mes productions. Quand je faisais de la production/distribution, il m’a passé quelques projets. Mais c’est lors du tournage du film De Battre Mon Cœur s’Est Arrêté que notre collaboration s’est renforcée. J’étais alors en production et à un moment du tournage il m’a demandé de regarder les rushes pour lui et tous les jours je lui donnais des notes. On a développé une sorte de grammaire commune. On s’est trouvés et par la suite on a commencé à écrire Un Prophète. Jacques m’a fait lire le scénario qu’il avait reçu et j’ai eu l’idée de situer toute l’histoire en prison car dans l’idée originale ça ne constituait qu’une petite partie du film. C’est comme ça que j’ai eu ce job. On bosse ensemble depuis 10 ans et on planche actuellement sur un nouveau scénario.

Je crois que ça fonctionne bien. On est à la fois complémentaires et en même temps on est d’accord sur beaucoup de choses. On aime tous les deux les films de genre car c’est un style de cinéma démocratique. Pour nous le cinéma doit être proche des gens tout en gardant de la qualité. Après je pense que Jacques est plus artiste que moi. Personnellement j’aime bien raconter des histoires et accrocher un auditoire. J’ai un truc un peu plus populaire.

JFB : Un critique a dit de votre film que c’était un film de scénariste. Que voulait-il dire ?

T.B. : Il aurait pu faire cette remarque avant de voir le film. J’imagine que cela veut dire qu’il n’a pas aimé les images et qu’il trouve que l’histoire a pris le dessus sur le film. J’aurais probablement agit différamment si je n’avais pas eu une expérience de scénariste j’aurais fait les choses différemment. J’aurais par exemple hésité à changer le personnage au milieu de l’histoire. J’aurais plus respecté les règles. L’histoire se déroule aussi sur vingt ans, c’est assez ambitieux. Si je n’avais pas été scénariste je n’aurais tenté quelque chose comme ça.

JFB : Deephan le film de Jacques Audiard dont vous avez écrit le scénario a eu la Palme d’Or. Il raconte l’histoire d’un réfugié Sri Lankais qui espère avoir une meilleure vie en France mais dont la violence ressort au contact du milieu hostile des cités. Le cinéma est-il un art engagé ?

T.B. : Je pense que le cinéma sert à représenter les gens. La télévision va vous parler des choses comme étant des problèmes comme par exemple « le problème des migrants ». Le cinéma, lui, sert à créer des personnages. La représentation artistique donne une voix à ceux qui n’en n’ont pas et fait exister les choses.

La critique a été dure avec Deephan. On a été accusés de donner une image biaisée et négative de la banlieue française alors qu’il s’agissait juste de montrer un migrant dans une banlieue sans prétendre décrire les banlieues ou les migrants. Le cinéma n’est pas du tout objectif et en ce sens-là, il est politique parce qu’il prend parti. Par contre, je me méfie toujours des films militants. J’ai toujours peur que les seules personnes aillant les voir soient déjà d’accord avec la thèse avancée. Dans Deephan, on ne dit pas « il faut accueillir les migrants ». On raconte juste l’histoire de cet homme qui va devenir un héros et de cette façon et on élargit.

Elayïs Bandini

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