Les sons d’amour

Les sons d’amour

Les sons d’amour

C’est à croire qu’ils se sont trompés d’orthographe ! « Lessons d’amour » (Leçons d’amour), tel est, en effet, le titre choisi pour ce récital donné le 13 juillet dernier à Budapest, consacré aux maîtres du baroque français (XVIIème siècle) (1). Des maîtres nous « enseignant », en musique, toute la panoplie de sentiments que peut susciter une relation amoureuse… Et, puisque les histoires les plus tristes sont toujours les plus émouvantes, Katalin Károlyi, Dóra Pétery et János Bali nous relatent, « en saignant » d’émotions, l’histoire d’une rupture.

19h40. Le soleil éclaire de ses derniers rayons la grande cour dans laquelle s’élancent les trois virtuoses. Un silence envahit les lieux. Même les oiseaux ont, pour la plupart, cessé de chanter… Il en devient même difficile d’imaginer que le récital est donné en l’honneur du 14 juillet célébré le lendemain, tant la salle est calme. Enfin… du moins jusqu’à l’arrivée de Katalin Károlyi sur l’estrade jouxtant la cour, à quelques mètres à peine du directeur de l’Institut Français et de l’Ambassadrice de France présents pour l’occasion. D’un coup, une ribambelle de notes déferlent sur clavier de Dóra Pétery, suivies de la flûte baroque de János Bali. Le récital peut commencer. Une reprise de « La Badine » - signée Monteclair - commence à être jouée. En l’espace d’une intonation, la mezzo-soprano franco-hongroise fait définitivement de l’ombre aux derniers fredonnements des rares volatiles encore présents dans la cour, relayant leur chant avec charme, mais ici en français. Rien de mieux pour que le public, composé majoritairement de francophones, puisse voyager agréablement tout au long du récital. Mais très vite, celui-ci prendra la tournure d’une aventure, non pas sentimentale mais post-sentimentale, au grand étonnement des auditeurs…

Vingt minutes s’écoulent. Les cloches s’apprêtent à retentir huit fois. Sur scène, des « Airs de cour » sont repris par le duo féminin, clavecin et voix. A contrario des oiseaux ayant déguerpi de leurs perchoirs, Katalin Károlyi descend du sien pour faire face au public. Une rythmique un brin mélancolique est jouée au clavecin par Dóra Pétery tandis que les couplets de la franco-hongroise se font plus graves. L’intrigue prend place, doucement. C’est alors au tour de János Bali de s’accaparer de la scène en soliste. Un air musical chaud, presque estival, est donné par la flûte. L’auditeur se fait alors bercer des deux bords par d’un côté, une chanson aux allures tristes et de l’autre, une ode musicale à l’été. Pour l’heure, il lui semblerait difficile de deviner où l´on veut en venir…

Et vient alors 20h10. Les paroles prennent le relais de la musique afin de dévoiler un peu plus le véritable sujet de la représentation : « Que voulez-vous ? », « Pourquoi me trompez-vous ? »  sont perceptibles depuis la scène. « Vos mépris chaque jour » de Lambert rugissent des cordes vocales de la cantatrice. Il est alors aisé de penser qu’il s’agit là d’une tromperie… Mais non. Le public a à peine le temps de prendre conscience de ce qui se déroule, car vient aussitôt « l’Ombre de mon amant » du même compositeur et là, c’est le drame. L’objet de la pièce musicale est clairement énoncé ; il ne s’agit pas d’une rupture mais bien d’un décès, celui de l’être aimé, entraînant ainsi, par la force des choses, la fin de la relation. Pour appuyer la détresse illustrée par les différents morceaux faisant suite à la révélation, l’accompagnement baroque de Dóra Pétery et János Bali se fait de plus en plus rapide, parfois même saccadé, afin de marquer le deuil amoureux. Le trio se décline d’ailleurs bien souvent en duo instrumental (flûte baroque/clavecin) ou mixte (clavecin /voix ou flûte baroque/voix) pour marquer d’autant plus cette impression de division entre la vie et la mort de l’amour défunt.

Mais au final, tout va mieux ! Il est alors 20h35 et Katalin Károlyi a terminé de traiter son chagrin sentimental. Dépit d´abord matérialisé par l’interprétation « d’Air de Cybèle » - d’Atys de Lully - puis par le désir d’introspection, notamment par la gestuelle de la chanteuse passant des grands élans de colère à une retenue décrivant la réflexion. Finalement, le trio achève sa performance par des reprises mêlant davantage leurs trois instruments afin d’exprimer l’idée de réconciliation avec soi. Le rythme entonné par les musiciens se fait alors joyeux, la voix de Katalin Károlyi se fait légère et l’enchaînement entraînant. La chanteuse, après avoir fait son deuil, retrouve ses sensations qu’elle traduit par un sourire continu tout au long de la dernière interprétation. Pour marquer on ne peut mieux ce regain de vie, elle dit « entendre à nouveau le chant des oiseaux. » Une manière imagée d’exprimer qu’en amour ; il est des moments qui donnent des ailes, d’autres qui font perdre des plumes. Mais en définitive, les oiseaux continuent à chanter les sons d’amour, il suffit juste de les écouter… Des véritables sons d’amour.

Noé Kolanek

(1) : Katalin Károlyi, mezzo-sopano, Dóra Pétery, Clavecin, János Bali, flûte baroque

Photos : Noé Kolanek et Éva Vámos

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