Conte de la Souris volante

Conte de la Souris volante

Les Livres du JFB

Il était une fois une petite souris qui s’ennuyait et ne voulait pas rester cachée dans son trou de souris ; elle aurait aimé voler vers le soleil comme les oiseaux et avoir des ailes.


Cette histoire, c’est André Balog, le héros principal du roman, qui la raconte. André se sent très proche de cette petite souris. Comme elle, il n’arrive pas à trouver sa place, ni dans sa propre famille, ni dans la société. D’où le titre hongrois de ce roman : La Souris volante (A repülo egér) traduit en français par Rue de la chimère (nom de la rue où se noue le drame).


Est-ce pour autant qu’André Balog met fin à ses jours ? En fait, personne ne connaît vraiment la raison. Pourquoi un jeune homme de 28 ans, brillant mais torturé, fils d’une famille aisée, aurait-il eu envie de se donner la mort ? Telle est la question posée en filigrane tout au long du livre.


Pour rechercher la cause de son acte, douze membres de son entourage, ceux qui l’ont connu, aimé, haï ou simplement côtoyé, reviennent sur sa vie et les circonstances du drame en prenant la parole à tour de rôle. Chacun, rongé par la culpabilité, tente de comprendre l’incompréhensible. A travers chaque témoignage, la personnalité mystérieuse d’André Balog se révèle. Ses proches eux-mêmes ont du mal à le cerner, notamment son frère : « Qui était André Balog ? Je ne sais pas. Comment était-il ? Je ne le connaissais pas. Je ne sais pas pourquoi il est mort, je ne sais pas pourquoi il a vécu, je ne sais pas qui il était. Je ne sais qu’une chose. Je sais que ç’était mon frère. »


Alors qui est coupable ? Le petit vendeur de journaux ? Le gardien d’immeuble, qui avait dénoncé la fugue d’André quand il était enfant ? Sa mère «qui n’a jamais su l’aimer (et qui ne l’a jamais embrassé une seule fois depuis sa naissance), son père qui n’a jamais osé l’aimer, son frère qui n’a jamais voulu l’aimer ? Est-ce la femme qui l’aimait ? Ou bien est-ce la femme qu’il aimait» ? Pris par le suspense, vous souhaitez connaître le coupable. Mais le coupable d’un suicide n’est-il pas le suicidé lui-même ?


Quoi qu’il en soit, quel que soit le responsable de la mort du héros, et s’il y en a un, ce livre est attachant car on est à la fois emporté par l’histoire et tour à tour touché, ému, bouleversé, mais aussi écoeuré par l’attitude de certains personnages.


Enfin, vous apprécierez certainement ce style agréable et qui sonne «vrai» : «Le père Julien a des cheveux de la même couleur qu’une petite cuillère. Les cheveux de Tante Suzanne sont gris comme le plancher de la cuisine. Ceux de maman sont jaunes comme le sable. Mais les cheveux du père Julien sont d’une couleur qui n’existe pas dans les crayons de couleur. (….) Je voudrais bien avoir un jour un crayon de couleur argentée. Alors je pourrais copier le père Julien.»


A travers un scénario original, c’est toute l’histoire d’une famille hongroise aisée détruite par les haines et les rancoeurs que l’auteur, Júlia Székely (1906-1986), ancienne élève de Béla Bartók et auteur de dix-sept ouvrages (romans, pièce de théâtre et biographies) nous raconte. Bien qu’écrit en 1939, ce livre sur l’histoire d’un jeune homme qui n’a jamais pu trouver sa place en ce monde pourrait se passer à n’importe quelle époque. Un très beau roman de mœurs qui gagne à être connu.


Clémence Brière


Rue de la chimère – Júlia Székely- 265 pages- Editions Buchet Chastel, oct. 2005 (1ère édition hongroise : 1939).

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