István (Édeske) Harasztÿ, sculpteur cinétique

István (Édeske) Harasztÿ, sculpteur cinétique

Rester dans le mouvement

Au Kogart, sont actuellement exposées des machines extraordinaires qui cliquent et claquent : une machine qui remplace le tic-tac d’une montre, une autre qui estampille à la place d’un fonctionnaire fatigué ou encore, dans un petit coin, un coffret qui rigole. C’est l’empire d’István Harasztÿ, un sculpteur hongrois qui a débuté sa carrière en tant que serrurier et qui est, aujourd’hui, un des rares artistes à avoir reçu un des prix culturels les plus prestigieux de Hongrie, le prix Kossuth. Ses amis, dont les oeuvres sont aussi exposées au Kogart ces jours-ci, le surnomment Édeske (mon chéri). D’abord parce que la gentillesse est un trait caractéristique de sa personnalité et ensuite parce que, oubliant souvent le nom de tout le monde, il a l’habitude d’appeler ses proches «mon chéri» ou «mon petit loup ».

JFB : Pourquoi, en tant que serrurier, avez-vous souhaité devenir artiste ?

I.H : Depuis mon enfance, dès l’age de 4-5 ans, j’ai été en contact avec les machines et j’ai aimé ça. J’avais une petite valise où je gardais mes outils préférés et un oncle qui avait un grenier plein de trésors ! J’admirais toujours la beauté des pièces, du métal, et la façon dont elles se reconstituent en un objet qui fonctionne. Je m’amusais bien à les observer et à les reconstruire, mais je n’avais jamais imaginé que je pouvais en faire des objets d’art. Plus âgé, j’ai commencé à peindre, et on m’a conseillé de prendre des cours de peinture. C’est alors que j’ai découvert que ce que je faisais était de l’art et plus précisément un mouvement que l’on appelle «sculpture cinétique».

 

JFB : Vos oeuvres sont connues pour être très ironiques envers la politique. Comment le régime des années 60, 70 a accueilli votre art ?

I.H : A cette époque, le seul style accepté était le réalisme socialiste, mais György Aczél, le ministre des affaires culturelles d’alors s’est vite renseigné sur le mouvement cinétique dans le monde. Ainsi, heureusement, ce ministre connu pour sa politique des «trois S», «suspendre, soutenir, subventionner» m’a classé comme «artiste à soutenir», en tant que simple serrurier doué. Certains de ses fonctionnaires m’ont quand même traité comme si je n’avais jamais existé. Bien sûr, quelquefois on m’a interdit d’organiser des expositions, mais c’était chose courante.

 

JFB : L’ironie et l’humour avec lesquels vous critiquiez l’ancien régime semble avoir perduré aujourd’hui…

I.H : J’ai toujours pensé que la politique était subordonnée à l’art. Tous les artistes, il me semble, doivent avoir une vision claire, une opinion bien définie et déclarée sur le monde où ils travaillent, sinon leurs oeuvres ne sont pas sincères. Par exemple, moi, je suis de gauche, une gauche libérale et j’ose contredire l’opposition. Pour éviter les relations superficielles j’aspire à ce que mon public sache ce que je pense du régime actuel. Et là, je ne parle pas des préférences envers les partis politiques, mais des idéologies générales comme l’humanisme ou le libéralisme. L’avis politique détermine le caractère d’une personne, et ainsi celui d’un artiste et de son art aussi.

 

JFB : Vous vouliez exprimer ces idées à travers une certaine esthétique industrielle. Comment la révolution technique vous a-t-elle influencé ? Est-ce que les ordinateurs, les appareils numériques font partie maintenant de votre oeuvre ?

I.H : J’ai un ordinateur que j’utilise avec de moins en moins de difficulté. Dans mon atelier chez moi, j’essaie toujours d’avoir la technologie la plus moderne. Cependant, j’ai déjà 72 ans, je laisse les nouvelles découvertes aux jeunes. Je n’oublie jamais que l’homme d’aujourd’hui regarde l’art à travers le prisme de la technologie moderne. Je dois rester dans le mouvement, pour que le public comprenne mon message.

 

JFB : Est-ce que vous pensez que l’art cinétique soit l’avenir de l’art, de la même façon que le film représente une certaine évolution de la photo ?

I.H. Non, non. Bien sûr que l’art cinétique a enrichi l’art, mais la sculpture classique d’un chevalier par exemple, ne tombe jamais en panne. Et il faut dire que la majorité des artistes n’ont pas un diplôme d’ingénieur ! Quelquefois, je ne peux même pas réparer mes propres «inventions», parce que j’ai oublié comment je les avais faites ! On peut souvent voir des mobiles tombés en panne dans les endroits publics. Ils sont esthétiques certes, mais il est très facile de décevoir le public avec des machines qui ne marchent plus ... Mon art n’est rien sans le public : mes machines n’ont pas de fonctions pratiques, elles produisent des pensées. Et mon but est de faire réfléchir.

Judit Zeisler

 

István Harasztÿ

et sa collection privée

Jusqu’au 9 mars au Kogart

(112 Andrássy út 6ème arrt.)

 

 

L’art cinétique :

István Harasztÿ est un réformateur du mouvement cinétique qui existe depuis les années 20. L’expression englobe des œuvres souvent appelées «mobiles», basées sur le mélange des beaux-arts et des machines. L’un des premiers pionniers du mouvement fut le sculpteur d’origine hongroise, Nicolas Schöffer, vivant en France. Père de l'art cinétique et de l’art interactif, il voulait apporter une vision prospective et non passéiste à l'art, qui devait ainsi aider l'homme d'aujourd'hui à évoluer en prise directe avec les véritables possibilités créatrices et libératrices de notre époque. Le Musée Schöffer qui comporte une bibliothèque française, se trouve en Hongrie, à Kalocsa.

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