Les „Trois B”, Bach, Beethoven et Brahms, à l´affiche à Budapest

Les „Trois B”, Bach, Beethoven et Brahms, à l´affiche à Budapest

Matinée à l`Institut italien

 

Les mélomanes le savent bien, nombreuses sont les dynasties ou liens de famille que l´on pourrait citer parmi les compositeurs et interprètes. A commencer par les plus connus : Jean-Sébastien Bach et ses quatre fils. Ou, plus près de nous, la lignée des Casadessus. Ou encore les frères et sœur Fontanarosa ou les frères Capuçon. Ainsi de suite... Tel est le cas des interprètes du concert auquel il nous a été donné d´assister en cette matinée. Un violoniste, son épouse, également violoniste et sa jeune sœur violoncelliste : Barnabás Kelemen, Katalin Kokas et Dóra Kokas. Au programme : une transcription pour violon-violoncelle du concerto pour clavecin en ré majeur de Bach, le double concerto de Brahms et, pour terminer, la septième symphonie en-là de Beethoven. Par l´Orchestre symphonique MÁV placé sous la direction de Barnabás Kelemen.

Dernière œuvre symphonique de Brahms, son double concerto pour violon-violoncelle en le mineur fut composé en 1887. Initialement prévu sous la forme d´un concerto pour violoncelle dédié à son ami Robert Hausmann, Brahms décida d´y ajouter un violon en signe de réconciliation avec un autre ami avec lequel il s´était brouillé : le célèbre violoniste d´origine hongroise Joseph Joachim.

Encore répandu jusqu´à la fin du XVIIIème siècle, ce genre d´œuvres concertantes à plusieurs solistes fut rapidement abandonné, la dernière en date étant le Triple concerto de Beethoven (1808). Écrite près de huit décennies plus tard, on imagine aisément le caractère inédit que revêtait l´œuvre de Brahms lors de sa création devant le public de Cologne. Souvent considéré plus comme une symphonie concertante que comme un véritable concerto, le double concerto figure sans conteste parmi les œuvres majeures du compositeur. Il reçut pourtant un accueil mitigé, et ne fut pas exempt de critiques. Telle Clara Schumann qui lui reprochait son „manque de brillance”.

Manque de brillance ? C´est précisément en cela que nous apprécions le double concerto. Aucune ostentation. Bien plus que la mise en avant et le faire-valoir de tel ou tel soliste, nous y ressentons davantage une sorte de communion entre les deux instruments. Voire avec l´orchestre (andante). Que l´œuvre fût fraîchement accueillie lors de sa création, cela ne surprendra qu´à moitié pour une époque où l´on cherchait davantage la mise en valeur des talents et la virtuosité. Les temps ont-ils changé ? Nous ne saurions l´affirmer. Toujours est-il que l´œuvre de Brahms a fait depuis son chemin et, notamment par le biais des enregistrements, a désormais acquis ses lettres de noblesse. Le double concerto comprend trois mouvements Allegro, Andante, Vivace non troppo.

Le 19 janvier 1862, pour le cinquième de ses Concerts Populaires, Pasdeloup fit entendre à Paris une certaine „Symphonie villageoise” avec le programme suivant : „Arrivée des villageois, Marche nuptiale, Danse des villageois, Le festin, orgie”. Œuvre inédite qui obtint d´emblée un vif succès. Or, il ne s´agissait ni plus ni moins que de la Septième de Beethoven (1). Probablement l´œuvre qui, de tout le répertoire classique, aura le plus fait divaguer les imaginations. Jugeons-en : „Joie de l´Allemagne délivrée du joug napoléonien” (Alberti), „Fête chevaleresque” (Nohl), „Bal masqué” (Oulibicheff), etc. Jusqu´à Richard Wagner qui y voyait „l´apothéose de la danse”.  Ce dernier jugement, reconnaissons, déjà moins ridicule, probablement justifié par la richesse rythmique de l´œuvre.

Composée en 1812, l´une des rares années où Beethoven semble avoir été heureux (année de sa rencontre avec la mystérieuse „Immortelle bien aimée”), la Septième fut présentée au public viennois lors d´un concert donné en décembre 1813. Figurait au programme, à côté de la Septième, la tristement célèbre „Bataille de Vittoria” (2). Plus qu´un succès, ce fut un véritable triomphe.  Au milieu des innombrables louanges, deux sons de cloche allaient toutefois détonner, qui ne font pas honneur à leur auteur. Friedrich Wieck, le futur beau-père de Schumann : „C´est là l’œuvre d´un ivrogne” et Weber : ” Il est mûr pour l`asile”.

Si la tonitruante „Bataille de Vittoria”, malgré le vif succès qu´elle obtint (3), fit honte à son auteur (”Une stupidité”, disait-il), la Septième figurait par contre parmi ses œuvres qu`il chérissait le plus. Une œuvre qui, par le biais des réductions et transcriptions, allait rapidement se répandre dans les foyers. Le morceau le plus prisé étant son émouvant allegretto bissé lors de la création et sur lequel le jeune Schumann allait nous laisser une série de variations (4)

Un programme a priori bien tentant. Alors ?

On sait que les premiers concertos pour clavier de Bach avaient été écrits à l´origine pour le violon, partitions en partie perdues. Il semblait donc a priori logique de les voir retransposés au violon. C´est cette version qui nous a été proposée pour le concerto en ré majeur, le premier de la série. Certes, mais avec un sérieux handicap : en l´absence de la partition initiale, „on” (qui ?) s´est contenté de transposer purement et simplement au violon la partition du clavier. Avec accompagnement du violoncelle pour la main gauche, le violon se voyant confier la partie principale, celle de la main droite. Donc une transcription de transcription… Un handicap qui s´est vite fait sentir. D´un bout à l´autre de l´œuvre, du moins dans les deux allegros, ce ne fut, sous l´archet du violoniste, qu´un flux continu de notes rapidement enchaînées. Or, ce qui passe sous les doigts d´un pianiste ne passe pas forcément au violon. Barnabás Kelemen avait beau faire, son jeu ne passait pas. C´était une première, nous dit-on. Guère étonnant... Mais bon, Bach reste Bach et, même en telle circonstance, nous aurons toujours plaisir à le réentendre.

Suivait le Double concerto de Brahms. Fort bien joué, dans un esprit brahmsien, mais sans plus. Les solistes en étaient les deux sœurs Kokas, toutes deux excellentes. Avec une mention spéciale pour la cadette Dóra dont le violoncelle sonnait admirablement dans des tonalités chaudes. (A 26 ans, tirons-lui notre chapeau !)  Et les deux solistes en parfaite symbiose avec l´orchestre. „Sans plus”, avons-nous dit ? Jugement sévère qui pourra paraître péremptoire, car tout fut, encore une fois, fort bien joué. Mais sans ce frisson, sans cette émotion ressentis en d´autres occasions. La faute aux enregistrements (Rostropovitch-Oistrakh) qui nous ont probablement trop gâtés.

Réserve que nous ne formulerons en aucun cas pour la Septième de Beethoven donnée en seconde partie du concert. Bien au contraire, ce fut d´un bout à l´autre un pur ravissement. Pour le coup, nous pouvons dire qu´elle nous a été ici servie comme rarement nous l´avions entendue. Et pourtant, Dieu sait que la concurrence abonde ! Transparence et clarté. Nous n´y percevions point cette légère impression d´épaisseur par moments ressentie chez Brahms. Le mérite en revenant à Beethoven qui nous offre ici une partition moins compacte que son successeur. Parmi les pupitres, nous mentionnerons spécialement les cuivres et les bois, et un timbalier particulièrement extraverti. Mais c´est précisément ce qu´il faut dans la Septième. Le tout sur des tempos parfaits, notamment dans l´allegretto, trop souvent ralenti, ici joué comme souhaité par Beethoven, „ein wenig schnell”. Un orchestre rendant par ailleurs fort bien les crescendos et decrescendos dont abonde l´œuvre. Mais c´est en premier lieu le chef qu´il convient de louer (un Kelemen plus convaincant qu´au violon dans Bach). Geste amples, énergie, expressivité et se donnant à plein, au point d´esquisser par moments des pas de danse. (Placés au premier rang, nous avions tout loisir de l´observer).

Une septième symphonie qui, à elle seule valait largement le déplacement. Idéale pour nos requinquer en cette matinée maussade et brumeuse de novembre. Une matinée qui, si elle ne restera pas dans les annales, nous aura toutefois fait passer un bien beau moment. Sentiment apparemment partagé par le public, venu nombreux et visiblement comblé.

Pierre Waline

(1): Qualifier l´allegretto de „Noces villageoises” est à nos yeux un contresens. Nous y verrions au contraire, s´il fallait forcer la comparaison, une ambiance de marche funèbre. (Il est vrai, par son ambiance et non vraiment par son tempo en principe modérément rapide). A tel point qu´en Union soviétique, les autorités l´adoptèrent pour accompagner les obsèques officielles .

Une Septième qui n´était pas totalement inconnue du public parisien. Créée à Paris dès 1829, elle y avait alors obtenu un réel succès.  Enthousiasme partagé par Berlioz qui se trouvait dans la salle.

(2): concert dirigé par Beethoven lui-même avec, parmi les musiciens, Hummel, Salieri et le jeune Meyerbeer aux timbales. Donné au profit des soldats autrichiens blessés au combat contre … les Français.

(3): n`oublions pas que l`Autriche connut alors un vif élan patriotique, au lendemain de la défaite de Napoléon et à la veille du Congrès de Vienne.

(4): Beethoven avait lui-même commencé à en préparer une transcription pour le piano. Projet qui fut abandonné et repris, avec son accord, par son élève Czerny. Liszt nous en laissera également une brillante transcription.

Photos : M.Kondella et L.Emmer

 

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