Des jeux olympiques très politiques

Des jeux olympiques très politiques

 

Contredisant l’adage de Pierre de Coubertin «l’essentiel est de participer», plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé de ne pas assister à la cérémonie d’ouverture des J.O. de Pékin. Alors que la Chine s’active pour désamorcer la tension politique autour de ses jeux, des militants en tout genre oeuvrent en sens inverse. Quant au Comité International Olympique (CIO), il pratique, comme toujours, la politique de l’autruche. Qui a dit que les jeux olympiques n’étaient pas politiques ?

On pourrait certes imaginer remonter à la définition grecque de la politique, où les affaires de la Cité - Pékin en l’occurrence - tendaient à être discutées en temps voulu. Sauf que par manque de chance pour les démo-crates contemporains, la démocratie s’exerçait alors selon un clivage qui tenait éloignés tous ceux qu’il n’était pas jugé nécessaire de consulter (enfants, femmes, barbares, esclaves, «métèques», etc.). En ce sens donc, la Chine a raison de tenir loin de «ses» jeux toute ingérence politique étrangère. Mais les patriciens pékinois auront-ils raison de la plèbe globale, ou, en tout cas, des divers mouvements qui prétendent la représenter ?

Pour cela, la Chine peut compter sur un allié. Le CIO est en effet allergique à toute politisation de son événement. Comme l’affirme en effet son président, Jacques Rogge : «Nous avons dit très clairement que la violence n’était pas compatible avec l’idéal olympique. […] Mais nous n’avons pas d'armée, nous n’avons pas de forces de police. La seule force que nous avons, ce sont des valeurs.». Ce double discours évite au CIO de se poser la question suivante : la violence envers les opposants politiques et les manifestants pour des droits sociaux ou pour la liberté de la presse en Chine est-elle la même que la violence symbo-lique d’un manifestant qui tente d’éteindre la flamme ?

Mais il n’est pas sûr qu’en mettant dos-à-dos ces différents acteurs le CIO réussisse à se débarrasser de la moindre once de terrain politique. Car c’est souvent sur ce terrain politique que les a-thlètes s’illustrent tous les quatre ans, que le Comité le veuille ou non. En 1936, les athlètes défilent le bras levé pour saluer un Führer ravi de voir le monde à ses pieds. Puis, c’est symboliquement à Londres que sont organisés les J.O. de 1948. Trois ans plus tard, l’URSS fait son entrée en olympisme selon l’idée que «le sport est une institution politique qui joue un rôle significatif dans la lutte des clas-ses opposant les travailleurs et la bourgeoisie». En 1956, à Melbourne, Suisse, Espagne et Pays-Bas boycottent les jeux en protestation de la répression soviétique en Hongrie; la Chine quitte les Jeux car le drapeau de Taïwan y est dressé.

En 1968, Tommie Smith et John Carlos sont disqualifiés pour avoir levé un poing ganté de noir et baissé la tête lorsque se levait le drapeau américain, geste de protestation envers les discriminations raciales. En 1972, à Munich, un commando palestinien de l’organisation Septembre noir prend en otage neuf sportifs israéliens afin de faire libérer 234 prisonniers arabes. Les otages seront abattus, les Jeux suspendus. En 1980, afin de protester contre l’intervention soviétique en Afghanistan, 62 pays boycottent les J.O. de Moscou. Cette liste factuelle n’est pas exhaustive, mais illustre bien que le CIO n’a jamais été au bout de ses peines dans sa volonté de dépolitisation.

Pour Pékin 2008, d’ailleurs, la chose n’est pas gagnée non plus. Non contente d’avoir rétréci les parcours de la flamme olympique, et même de l’avoir éteinte, geste à la symbolique ô combien puissante, la Chine doit faire désormais face au boycott de chefs d’Etat et de gouvernements. Après Gordon Brown, premier ministre britannique, c’est la chancelière allemande Angela Merkel qui a exprimé son souhait de ne pas assister à la cérémonie d’ouverture des jeux. Le président américain George Bush hésite encore, alors que Nicolas Sarkozy a décidé de conditionner sa participation à une reprise du dialogue - politique ! - entre Pékin et le dalaï-lama, reprise très improbable vu le traitement du chef spi-rituel tibétain par la presse officielle chinoise.

D’ailleurs, par effet de boomerang (discipline non reconnue par le CIO), la réaction politique se propage en Chine elle-même. Les parcours de la flamme chahutés, notamment celui de Paris, n'auront eu pour l’instant qu’un résultat : revigorer le nationalisme chinois à travers des manifestations anti-occidentales et des appels au boycott économique en retour. Qui sortira ga-gnant de ce bras de fer (discipline non reconnue non plus) politique multidimensionnel ? Qu’importe les médailles car, dans la confusion des jeux politiques et olympiques, semble-t-il, «l’important est [donc] de participer».

Le baron Pierre de Coubertin avait en effet bien saisi la situation de l’olym-pisme moderne. Il affirmait ainsi, avec les mots de son époque, qu’«en ciselant son corps par l’exercice comme le fait un sculpteur d’une statue, l’athlète antique honorait les dieux. En faisant de même, l’athlète moderne exalte sa patrie, sa race, son drapeau.»

Péter Kovács

 

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