Le goût caramélisé de Beyrouth

Le goût caramélisé de Beyrouth

La douzième édition du festival du film français a été organisée à Budapest et dans les grandes villes de province entre le 17-21 avril. Cet événement qui est devenu l’un des plus éminents de la vie culturelle de Hongrie éveille un intérêt et un succès croissants auprès du public hongrois. Cette année, comme les années passées, Unifrance et Upperstudio ont organisé les journées du film français et ont invité un bouquet d’artistes. Parmi eux, il y avait Nadine Labaki, jeune cinéaste libanaise de 34 ans, qui est venue présenter son premier long métrage, Caramel.

(Cinq femmes, d’âges et de charmes divers vivent et travaillent dans ou autour d’un salon de beauté de nos jours à Beyrouth. Nous les suivons dans leurs échanges quotidiens, leurs déconvenues sentimentales ou narcissiques, leurs rencontres inattendues. A travers leur vécu, nous découvrons un instantané de la société libanaise, entre traditions et ouvertures, Bible et Coran, machisme et sensibilité. On devine aussi derrière tout cela des espoirs ravalés et des personnalités soumises.)

JFB : Après la projection de votre film à Budapest, film dont vous êtes à la fois la réalisatrice, la scénariste et l’actrice principale, le public dans la salle du cinéma Corvin a applaudi pendant longtemps et avec raison. J’imagine que ce n’est pas la première fois que cela vous arrive.

N.L. : Oui, c’est vrai. Il y avait toujours des réactions très positives d’hommes comme de femmes. Je pense que le film ne restera pas un film réservé aux femmes car les hommes peuvent y apprendre beaucoup, notamment sur les petits détails de nos vies qu’ils ne voient pas ou ne comprennent pas forcément. J’espère que cela va attirer leur attention sur des situations particulières que l’on vit et qui les dépassent parfois. Même si j’ai déjà beaucoup voyagé dans le monde avec ce film, chaque fois l’accueil chaleureux du public est un moment particulier, très intense et très beau. Chaque fois ça me touche profondément et je suis vraiment heureuse. C’est un film en libanais avec des acteurs qui ne sont pas connus, donc j’avais quand même cette angoisse de ne pas pouvoir communiquer. Mais là je suis encore une fois ravie de l’accueil qu’a reçu mon film, et c’était pareil partout où le film est sorti.

JFB : Justement, vous avez fait appel à des comédiennes non professionnelles alors que c’est votre premier long-métrage. N’était-ce pas un choix un peu risqué ?

N.L. : C’était un choix prévu dès le départ. J’avais cette envie d’essayer autre chose, de réaliser un film proche du documentaire. C’est évidemment une fiction mais jouée de manière vraie. C’est pour cette raison que le casting, qui a nécessité un an à lui seul, a été très précis. Ces cinq interprètes sont assez représentatives des femmes libanaises, toutes cultures et religions confondues et, à travers elles, on peut percevoir, même en filigrane, les ca-ractères des hommes qui interviennent dans leur vie. J’avais une idée bien précise en écrivant mon scénario, tant pour la gestuelle des acteurs que pour le dialogue. Il y a aussi beaucoup d’instants d’improvisation, de séquences qui n’étaient pas écrites et qui sont restées au montage final. Je n’avais pas envie de créer des rôles de composition. Je ne voulais pas que des acteurs viennent incarner des rôles. Je voulais des personnalités étant les mêmes dans la vie comme dans le film. C’est un film où les personnages existent, où ils sont vrais. Ils ne jouent pas ! Même si leur vie n’est pas identique, c’est dans leur manière d’être, de parler ou de marcher qu’ils sont vrais. Dès le début j’ai compris que ma présence avec les autres acteurs non professionnels était bénéfique parce que ça a créé une amitié très forte entre nous et cela dure encore. Dans le film j’étais comme eux, et non plus le réalisateur qui donne des ordres. Comme c’était la première fois qu’ils étaient devant la caméra, la communication a été facile entre nous. Leur personnalité m’importait plus que leur talent. Une fois mis en confiance, je savais qu’ils seraient formidables.

JFB : Est-ce que Tony Marshall (Vénus Beauté, 1999) a vu votre film?

N.L. : Oui, elle l’a vu. Juste après la projection de mon film à Paris elle est venue me féliciter en soulignant que la seule similitude entre nos deux films c’est que les événements se passent dans un institut de beauté. Les thèmes sont abordés d’une manière totalement différente dans Caramel et le contexte politique et social du Liban donne une force supplémentaire au film.

JFB : Vous montrez l’image d’un Beyrouth chaleureux à l’opposé des images de rues dévastées que nous avons pris l’habitude de voir. Est-ce qu’éluder la situation politique était voulu ?

N.L. : Oui, tout à fait. Je ne voulais plus parler de politique, parce que c’était quelque chose qui revenait toujours. Je voulais montrer un autre vi-sage que la guerre et que les gens ne connaissent peut-être pas. Le cinéma est une arme efficace. Avec le temps, je me dis que ma révolte justement, c’est de parler d’autre chose que la guerre. Mais en prenant cette position je fais quand même un choix politique : je montre ma vision d’un Liban pacifié, heureux. On essaye de vivre avec la guerre comme si elle n’existait pas, car Beyrouth, c’est aussi ça: des gens chaleureux, colorés avec cette énorme force de vie, qui est vraie. On vit entre chrétiens et musulmans de manière très naturelle et normale. Evidemment, il y a beaucoup de tensions extérieures qui déstabilisent cette coexistence mais c’est grâce à cette volonté du peuple libanais qu’on est en train d’éviter cette guerre. Ils sont comme ça les Libanais ! Pour moi, c’est quelque chose d’important que les gens devraient savoir. J’ai dédié le film à « Mon Beyrouth », au Beyrouth que j’aime, comme j’ai envie qu’il soit et qui ne souffre pas…

JFB : Votre vision de la femme libanaise est très libérée…

N.L. : Le Liban est un pays où la femme est tout de même libre. Mais cet institut de beauté est un lieu où l’on trouve beaucoup d’espoir, où l’on vient se faire belle et d’où l’on ressort plus épanouie. Nous sommes un pays très extraverti, la femme libanaise s’est créé sa propre échelle de beauté qui ne ressemble à aucune autre au monde. On veut ressembler à la femme occidentale, mais avec nos propres critères, qui ne sont pas des plus discrets. Moi-même, qui me considère comme une femme libérée, me trouve souvent confrontée au lourd poids de notre double culture. C’est à partir de cette idée que j’ai voulu construire mon premier film. Une sorte d’hommage à la femme libanaise

(Entre-temps le mari de Nadine Labaki, Khaled Mouzanar qui est le compositeur du film nous a rejointes.)

JFB : Le film est soutenu par une musique presque omniprésente qui s’accorde parfaitement aux images. Qu’est-ce qui vous a conduit à composer la musique de ce film ?

K.M. : Ce n’est quand même pas de ma faute si ma femme adore ma musique! (il rit) Mais pour parler sérieusement, à l’époque nous n’étions pas encore mariés. Elle connaissait et aimait ma musique, donc elle m’a proposé de travailler sur son film. Puis elle m’a montré son scénario et j’ai commencé à composer la musique du film. Elle a utilisé toute la musique que j’ai produite si bien qu’à la fin j’ai dû me battre pour qu’elle en enlève. Notre collaboration s’est « si bien déroulée » que peu de temps après le tournage on s’est marié !

N.L. : Je trouve que sa musique élégamment sentimentale donne une valeur poétique et onirique au film !

JFB : Et votre prochain film ?

N.L. : J’ai beaucoup d’idées dans ma tête mais c’est encore un peu éparpillé. Mais c’est sûr, je recommence l’écriture dans quelques mois. Il est encore trop tôt pour en parler parce que ce n’est pas encore clair.

 

Propos recueillis par

Ditta Kausay

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