Une décennie d’ouverture
10e anniversaire du Trafó
Le Trafó doit son nom au bâtiment qui l'abrite et qui était auparavant un transformateur électrique. Et dans un sens, ce centre d’arts contemporains a maintenu vivante cette fonction de transformer, de changer continuellement son répertoire en suivant les tendances les plus innovantes et en influant sur son environnement à travers l’art. C’est ce qu’il pratique depuis 10 ans exactement, depuis septembre 1998. Le JFB a rencontré le fondateur et directeur de l’institution, György Szabó.
JFB: De quels exemples et concepts vous êtes-vous inspiré pour créer le Trafó ?
György Szabó: La conception du Trafó a mijoté pendant longtemps. Bien sûr le travail que j’ai effectué avant le Trafó, au club de l’Université Corvinus et au Petôfi Csarnok, ont été des précédents significatifs. Entre-temps j’ai eu l'occasion de voyager pour des raisons professionnelles, j’ai élaboré un réseau de contacts et eu l’occasion de me familiariser avec des exemples à l’étranger. Je dois justement beaucoup à la France et l’Institut culturel français avec qui j’ai collaboré depuis 1985. A cette époque, la France, où la danse contemporaine en particulier était à l’avant-garde du monde entier, était – et est encore – prête à exporter les meilleures vedettes. L'exportation de la culture faisait aussi partie de la représentation politique et c'est ainsi que la majorité des aides, financières et professionnelles, sont arrivées de France. Depuis, la situation a changé. Quand la Hongrie a adhéré à l’Union européenne, la France – de même que beaucoup d’autres pays d’Europe occidentale - a plutôt souhaité considérer la Hongrie d'égal à égal, comme un partenaire qu’elle ne souhaitait plus financer particulièrement.
JFB: Comment avez-vous déniché cet endroit à l’époque ?
Gy. Sz: Cette histoire est aussi liée à la France. C'est un groupe d’artistes anarchistes français de Marseille qui a découvert ce bâtiment. Ils ont cherché un immeuble industriel abandonné pour organiser un festival en 1991. Quand j’ai vu cet endroit en tant que visiteur du festival, il était décoré de voitures cassées. Des pièces de voitures étaient même suspendues aux lampadaires des rues voisines. Le groupe de Marseillais a quitté les lieux après le festival et la mairie de Budapest a acheté ce transformateur trois ans plus tard afin de remplacer le FMK, le club des Jeunes Artistes, qui venait de fermer ses portes. Beaucoup de monde attendait de ma part de poursuivre la tâche du FMK. Cependant, je voulais créer quelque chose de plus ouvert sur les tendances actuelles internationales et sur les nouveaux talents.
JFB: Si vous avez créé quelque chose de très différent de ce qui était attendu alors, comment le public et le milieu de la danse ont-ils accueilli le Trafó en septembre 1998 ?
Gy. Sz: On a déménagé ici début septembre mais l’ouvertue officielle s'est déroulée le 4 octobre. D’une part, le public et le milieu artistique étaient très excités à l'idée qu'un nouveau lieu culturel ouvre ses portes car cela ne s'était plus produit depuis longtemps, d’autre part, ce genre de public, des jeunes intellectuels parlant des langues étrangères ouverts aux autres cultures, n’avait pas de lieu de rencontre auparavant. Le Conseil de la ville de New York a même envoyé une proclamation officielle pour nous féliciter d'avoir créé une institution aussi originale en Europe de l’Est.
JFB: Le Trafó n’a jamais eu sa propre compagnie, il a toujours été un lieu d’accueil. Pourquoi avez-vous choisi cette formule et comment ce choix a-t-il influencé votre relation avec les artistes ?
Sz.GY: On voulait différencier cet endroit des théâtres de Budapest, c’est pourquoi on l’appelle Trafó, la maison des arts contemporains. Le fait que nous soyons un lieu d’accueil permet de rester ouvert, de maintenir nos critères de choix très stricts et un niveau très élevé en représentant les tendances internationales. Au début on a essayé d'aider de nouveaux talents, comme Márta Ladjánszki ou les membres du théâtre Táp. Aujourd'hui on choisit des artistes de réputation déjà bien assise. Cette sélection n’est un message positif que pour ceux qui peuvent monter sur scène chez nous. Ainsi je ne peux pas dire que j’aie une très bonne relation avec les artistes. A l’occasion de l’anniversaire du Trafó, on organise une exposition pour laquelle on a demandé à une vingtaine d’artistes de décrire les points positifs et négatifs du Trafó. Une dizaine d'entre eux a mentionné que l'on était infidèle. Je ne dirais pas que je suis infidèle mais plutôt que je cherche la qualité avant tout.
JFB: Est-ce que vous avez dû changer quelque chose durant ces dix ans ?
Gy. Sz.: Nos maîtres mots sont toujours les mêmes: innovation, abstraction, rejet des conceptions didactiques traditionnelles et bien sûr nous cherchons toujours à présenter des tendances internationales et à favoriser les mélanges de styles. On a ajouté le nouveau cirque à notre répertoire, ce qui est une branche très novatrice à l'heure actuelle, alors que la danse est de moins en moins créative. Mais le plus grand changement réside dans le fait que l'on soit forcé à être moins courageux dans le choix des pièces. Le public accueille les nouveautés de plus en plus difficilement depuis deux ou trois ans: l'ouverture et la tolérance font défaut. Avec le déficit des valeurs civiles, il est difficile de comprendre les pièces expérimentales qui sont très à la mode à l’étranger. On doit équilibrer nos choix pour maintenir la qualité et rester novateurs, tout en attirant le public qui achète des billets...
JFB: Cette dépendance envers le public est aussi la conséquence de la restriction des subventions qui vous sont accordées, tout comme pour les autres institutions culturelles hongroises. Comment allez-vous résoudre ce problème à l’avenir ?
GY. SZ: Cette année par exemple nous avons déjà dépensé toutes les subventions d’État et celles que la mairie nous a accordées. Nous vivons désormais des subventions européennes. Il nous reste 25 millions de HUF pour tous les programmes de cette fin d'année. Cette somme est extrêmement faible sachant qu’il faut payer l'hébergement des artistes et le coût de tous les spectacles. Je ne sais pas encore comment résoudre ce problème. Tout le secteur du théâtre souffre de problèmes financiers et on attend une solution de la nouvelle loi sur les théâtres. Cependant celle-ci est déjà en retard de deux ans, car il faut harmoniser trop d’intérêts.
JFB: Vous êtes seul à la tête du Trafó. Dans un article on a même comparé votre activité à un „one-man-show” puisque vous avez fondé le Trafó et vous le dirigez depuis ses débuts. Savez-vous déjà qui pourrait vous succéder ?
Gy. SZ: Pour le moment, non. Je devrais former quelqu’un, mais pour cela il faudrait que je change le système du Trafó. Aujourd'hui, c’est moi qui conçois l'idée même du Trafó et même le directeur adjoint n’a que des tâches d’organisation. De plus, j’ai mon propre réseau de relations, que je ne transmettrai pas. J’essaie quand même d'envoyer de plus en plus de monde à l’étranger et de décentraliser le système. Mais nul ne sait qui me remplacera...
Propos recueillis par
Judit Zeisler
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