La Voïvodine, au cœur de la Serbie européenne
Début décembre 2009, une nouvelle loi a conféré de nouveaux statuts à la Voïvodine qui définissent l’autonomie de cette province serbe. Un pas de plus vers l’intégration de ce pays à l’Union Européenne.
C'est presque une carte postale d'une Yougoslavie perdue. Au nord de la Serbie, la Voïvodine est l'une des rares régions à avoir eu la chance de ne pas trop faire parler d'elle pendant les guerres fratricides des années 1990. On la montre donc encore comme un petit modèle de multiculturalisme: ses deux millions d'habitants se partagent entre pas moins de 26 groupes ethniques (notamment Serbes, Hongrois, Slovaques et Croates), tandis que la province dispose de 6 langues officielles.
Globalement plus riche que le reste du pays, la Voïvodine est passée en second plan en 1989, lorsque Slobodan Milosevic supprima la forte autonomie dont elle bénéficiait. Elle revient aujourd'hui sur le devant de la scène, puisqu'une nouvelle loi vient de lui accorder de nouveaux pouvoirs conséquents. Ce qui en fait une pièce majeure de la stratégie serbe d'adhésion à l'Union européenne (UE).
La confection d'une vitrine étincelante
Votée en novembre-décembre 2009 et entrée en vigueur le 1er janvier 2010, la dévolution de pouvoirs à la Voïvodine lui confère une vingtaine de compétences significatives, notamment en matière d'éducation, de santé ou encore de politique économique. Ce qui devrait accélerer le développement de la région, par exemple en créant une Académie des Sciences et des Arts ou encore en facilitant les privatisations.
Objectif avoué de la réforme: faire de la Voïvodine une vitrine prospère et ouverte de la Serbie moderne, dont le dynamisme faciliterait le processus d'adhésion à l'UE. Le pays a en effet déposé sa candidature le 22 décembre 2009. Néanmoins, on prévoit son entrée effective dans l'UE en 2014 au plus tôt, de nombreuses questions devant être résolues auparavant. Par ailleurs, la Voïvodine vient de se voir reconnaître le droit d'établir des relations internationales de son propre chef. Le gouvernement local entend donc ouvrir une représentation à Bruxelles et dans les principales régions européennes, comme en Styrie (Autriche), avec laquelle une coopération est déjà en place. Ce qui lui permettra de coopérer plus facilement avec d'autres régions frontalières, ou encore de gérer plus librement d'éventuels fonds européens, sans prendre en compte le reste du pays.
Cette loi ne fait pas que des heureux: les nationalistes serbes crient à la fin de l'intégrité territoriale du pays. Après tout, disent-ils, l'autre région autrefois très autonome, le Kosovo, a déclaré son indépendance en février 2008. Comparaison balayée par le gouvernement: en Voïvodine, 65% de la population est serbe. Et le niveau d'autonomie dont elle jouit maintenant n'égale en rien celui d'avant 1989.
Un multiculturalisme de façade?
Une des innovations les plus remarquées de cette loi est le renforcement des prérogatives des «conseils ethniques». Sont donc directement concernés quelques 293 000 Hongrois, désormais en mesure d'élire directement leur conseil représentatif, qui dispose de compétences culturelles et éducatives. Un nouveau statut très applaudi en Europe. Mais les Hongrois de Voïvodine restent sceptiques. Notamment Sándor Páll, président de l’Union démocratique des Hongrois de Voïvodine, qui dénonce une «imposture»: les nouvelles compétences, tant de la Voïvodine que des minorités, sont en effet dépourvues de moyens financiers suffisants.
Il s'insurge de plus contre les discriminations et violences que les Hongrois subissent au quotidien, ce qu'il décrit comme un phénomène de «psycho-terreur». Agressions, inégalité des chances, injustices des forces policières et judiciaires sont des réalités bien ancrées qui poussent les jeunes Hongrois à l'émigration vers la mère patrie, en particulier depuis l'entrée dans l'UE de cette dernière.
Un nouveau souffle dans les relations serbo-hongroises
Quoiqu'il en soit, la nouvelle loi ravit les Hongrois de Hongrie. Le président László Sólyom a ainsi décrit la Serbie comme «exemple à suivre», se réjouissant d'une opportunité pour les minorités de Serbie d'acquérir une complète «auto-gestion culturelle». Viktor Orbán, en campagne électorale, y a vu un premier pas vers la «ré-unification» de la nation hongroise, faisant grincer les dents de l'opposition à Belgrade. Et l'ensemble de la classe politique hongroise de soutenir l'adhésion de la Serbie à l'UE, un «facteur crucial de stabilité» selon le gouvernement de Gordon Bajnai.
Ce renouveau devrait donc accroître les relations entre les deux pays, déjà bien établies en termes économiques et culturels. Les signes sont prometteurs. Dès le 10-11 décembre 2009, un protocole de coopération économique était signé à Budapest. Quelques jours plus tard, la compagnie aérienne MALEV réouvrait une liaison directe Budapest-Belgrade. La même semaine, l'UE levait l'obligation de visas Schengen pour les citoyens serbes, ce qui est considéré par tous comme un succès de la diplomatie hongroise. Réforme fondamentale ou «imposture», le nouveau statut de la Voïvodine lui ouvre néanmoins la voie d'un essor sans précédent.
Sébastien Gobert
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