Verdi: Macbeth à l’Opéra de Budapest
En 1809, Beethoven avait entamé la composition d’un Macbeth, projet qu’il dut abandonner, ne nous en laissant que quelques esquisses. Lacune qui sera comblée quelque quarante années plus tard (1847) avec la création du Macbeth de Verdi. Une œuvre parfois boudée par la critique, qui figure néanmoins, malgré quelques menues faiblesses, parmi les plus saisissantes que nous a laissées Verdi par son déroulement tragique (sa première adaptation d’une pièce de Shakespeare). Surtout connue pour son fameux chœur des sorcières, mais où il faut également retenir au dernier acte la grande scène de somnambulisme de Lady Macbeth. Un modèle du genre.
Donné ce soir dans une mise-en-scène du Sud-Africain Matthew Wild, l’orchestre et les choeurs de l’Opéra étant placés sous la direction de Martin Rajna. Dans les rôles principaux: George Gagnidze, baryton, Macbeth, Csilla Boross, soprane, Lady Macbeth, Krisztián Cser, basse, Banquo, Szabolcs Brickner, ténor, Macduff, Barna Bartos, ténor, Malcolm, Lucia Megyesi-Schwartz, mezzo-soprane, suivante de Lady Macbeth.
Pour mémoire, en deux mots: l’action se déroule en Écosse. Suivant les prédictions de sorcières rencontrées sur la lande, Macbeth, duc de Cawdor, décide de tuer le roi d’Écosse, Duncan, pour s’emparer de sa couronne, faisant porter les soupçons sur son fils Malcolm en fuite. Il fait entre temps poignarder Banquo, général écossais qu’il estime traître à sa cause (dont le spectre lui apparaîtra au cours d’un banquet, le précipitant dans le délire lors d’une scène mémorable.). Encouragé par son épouse, Macbeth décide de tuer à son tour Macduff, jeune noble écossais, dernier obstacle sur sa route, mais celui-ci lui échappera. Menée par Malcolm, le fils de Duncan, et Macduff rentrés d’exil, une armée taille en brèche les rebelles, tuant Macbeth et laissant ainsi le trône libre à Malcolm. Une intrigue mouvementée riche en péripéties, marquée par des scènes surréalistes (apparitions, interventions des sorcières, scène du somnambulisme) fort habilement traitées. Mais une œuvre, pour ces raisons, peu aisée à rendre sur la scène. Alors?

La mise-en-scène, tout d’abord. Ce que dit la presse au sujet de son auteur: „Le metteur en scène sud-africain Matthew Wild s'est imposé comme l'un des metteurs en scène les plus recherchés de sa génération en Europe, où ses productions sont saluées pour leur intelligence conceptuelle, leur bravoure visuelle, leur musicalité, une personnalité incontestablement brillante » (Neue Zürcher Zeitung). Bravoure visuelle ? Il s’en est expliqué. Se déclarant grand admirateur de Shakespeare, Matthew Wild – qui s’était d’abord formé au théâtre – a voulu rendre avec force le côté « cauchemardesque » (sic) de l’œuvre, mettant au passage l’accent sur l’emprise des rôles masculins, sans oublier pour autant le fascinant personnage de Lady Mabeth, intrigante consumée par le remord. Le tout servi par un décor qui se veut porteur de symboles (Sebastian Hannak, décorateur allemand, primé en 2017).
Une mise-en-scène servant des chanteurs de premier ordre. A commencer par le baryton géorgien George Gagnidze qui eut son heure de gloire au MET de New York où il se produit chaque saison. Incarnant un Macbeth vil et corrompu à souhait. A ses côtés, pour incarner Lady Macbeth, la soprane lyrique Csilla Boross que nous découvrions ce soir, Ici encore, disposant de solides références, régulièrement invitée sur les scènes d’Europe et d’Amérique. Un rôle réputé difficile, exigeant une grande aisance dans les aigus, et confronté à un jeu particulièrement éprouvant. Pour tenir le rôle de Lady Macbeth, Verdi avait clairement insisté sur le fait qu’il attendait de la chanteuse (soprane ou mezzo-soprane dramatique) une voix presque ingrate, dépourvue de toute séduction, pour rendre pleinement la « laideur » morale du personnage (sic). Tâche particulièrement exigeante, peu évidente pour une chanteuse habituée aux grandes envolées du répertoire lyrique. Dont la soprane hongroise, bien ancrée dans la peau de son personnage, s’est tirée avec brio, offrant une voix puissante, particulièrement à l’aise dans les aigus. Les autres rôles étant également bien en place. Krisztián Cser égal à lui-même, excellent pour incarner un Banquo à la voix chaude. Également bien campé dans son rôle, Szabolcs Brickner (membre du Volksoper de Vienne) en Macduff, au beau timbre de ténor. Le tout, solistes et chœurs, soutenu par un orchestre sonnant somptueusement, emmené avec énergie par le tout jeune Martin Rajna (29 ans). Une réussite, donc, au plan musical. (Parmi les temps forts, nous retiendrons entre autres le ballet endiablé des sorcières qui ouvre le IIIe acte, ou encore. Au début du IVe acte, le chœur des émigrés pleurant la patrie perdue (Patria oppressa) qui rappelle étrangement le célèbre « Va pensiero » composé cinq années plus tôt pour Nabucco.)
Et pour le reste ? Le metteur-en-scène nous a offert ce soir un spectacle animé, haut en couleurs, regorgeant de trouvailles heureuses. Le décor, tout d’abord. Un simple fond de scène sans décoration, servant à l’occasion d’écran, barré par une longue rampe sur laquelle évoluent les figurants. Le tout servi par de beaux éclairages suggestifs. Parmi les figurants, nous tirons au passage un coup de chapeau aux sorcières, bien campées (et bien chantées), redoutables à vous faire frémir, infatigables, en constant mouvement de bout en bout…
Dans l’ensemble, un Macbeth qui sort des sentiers battus, mais impressionnant, qui a visiblement convaincu un public enthousiaste dans une salle comble (représentation donnée à guichets fermés).
Pierre Waline
Crédit photos : Valter Berecz