La chute du mur, le piquenique paneuropéen

La chute du mur, le piquenique paneuropéen

La chute de mur

1988 : Depuis 40 ans, l'Europe est divisée en deux par le « rideau de fer ». Depuis 40 ans, le bloc communiste essaie de construire un paradis terrestre, à crédit. Mais la Hongrie, endettée, ne peut plus rembourser les banques de l'Ouest. C’est alors qu’à la surprise générale, un jeune économiste de 40 ans, Miklós Németh, est nommé premier ministre.

Il remplace Károly Grósz, qui cumulait les fonctions de premier secrétaire du parti et de premier ministre.

La Banque nationale hongroise et le ministre des finances tiennent une comptabilité double, ce qui signifie que peu de dirigeants sont au courant de la situation économique réelle. Grósz et Németh connaissaient la situation, catastrophique. Il est supposé que Grósz cherchait un « bouc émissaire » pour le couvrir dans l'échec à venir.

La chute de murEn novembre 1988, quand Németh entre en fonction, il n'existe pas de budget national pour l'année suivante.

Németh épluche alors, tel un expert-comptable, toutes les dépenses prévues et butte sur un poste très élevé du ministre de l’intérieur. Le libellé mystérieux est : NJF. Il demande des éclaircissements et le ministre répond qu’il correspond au projet SZ100. Németh veut en savoir plus. Il apprend que cela concerne la portion hongroise du rideau de fer : 240 km de frontière. Il ne faut pas s'imaginer juste une clôture électrifiée. Il s'agit d'une installation technique complexe qui permet de surveiller une zone de plusieurs kilomètres de large et de voir tout ce qui pénètre dans ladite zone. De plus, des systèmes automatiques déclenchent le tir de fusées lumineuses lors d’intrusions mais ils ont deux problèmes : d’une part les fausses alertes dues aux animaux et d’autre part la difficulté de trouver des pièces de rechange. Au début, ces pièces étaient fournies par l'URSS. Maintenant, elles sont obtenues auprès de firmes françaises car l'URSS ne les livre plus, et le paiement s’effectue en devises. Devant l'absurdité de l'affaire, Németh supprime ce poste du budget. Ce faisant, il décide implicitement de la mise hors service de l'installation. La surveillance, non automatisée, demeure.

En décembre 1988, une semaine avant Noël, Ferenc Kárpáti, ministre de la défense, demande à Németh de signer deux documents. Ces documents sont déjà signés par Brejnev et Kádár, puis par tous les premiers secrétaires du parti et premiers ministres qui leur ont succédé. C'est à cette occasion que le premier ministre apprend que des fusées à tête nucléaire sont stationnées en Hongrie et que leurs cibles sont des villes du nord de l'Italie : Turin, Milan et Venise. Il refuse de signer et demande un entretien à Mikhaïl Gorbatchev.

La rencontre a lieu le 3 mars 1989 à Moscou. Gorbatchev dit suivre avec intérêt le travail de Németh et l'approuver Il émet toutefois quelques réserves en ce qui concerne les élections multipartites. Németh répond en posant LA question : « Tôt ou tard, il y aura des élections multipartites en Hongrie et ce ne sont pas nous qui serons élus. Alors, que ferez-vous des 800'000 soldats soviétiques et des fusées à tête nucléaire stationnés en Hongrie ? ».  Il l’avise aussi de sa décision de démanteler le rideau de fer, qui reçoit un soutien tacite de Gorbatchev.

Le 2 mai 1989, devant la presse occidentale, commence le démantèlement du rideau de fer. Erich Honecker, à la tête de l’Allemagne de l’Est, voit rouge. Il demande à son ministre de la défense de prendre contact avec son homologue hongrois pour recevoir des explications. Ce dernier répond (en mentant) que les frontières sont en train d’être modernisées, que les patrouilles seront plus nombreuses, et que l’étanchéité du territoire est garantie.

Károly Grósz et Miklós Németh ne se parlent pratiquement plus. Grósz interpelle Németh : « Pourquoi agis-tu contre les intérêts de nos alliés de Berlin ? »

La situation politique intérieure hongroise évolue avec quelques secousses. János Kádár, qui dirige le pays depuis l’écrasement de la révolution de 1956, aujourd’hui malade et sénile, est écarté du pouvoir en mai 1988. Une nouvelle génération, qui a grandi dans la « baraque la plus gaie du camp socialiste », a soif de liberté. Par exemple, des groupes de rock émergent en Hongrie, ce qui est quasi inexistant dans les autres pays du bloc soviétique ; ainsi, les Allemands de l'Est font provision de disques lors de leurs vacances au lac Balaton. Une « Commission pour la justice historique » demande la réhabilitation de Imre Nagy, le premier ministre de la révolution de 1956.

En secret, une table ronde réunissant des représentants de l'opposition et du gouvernement est mise en place. Le secret ne dure pas longtemps. Il est en effet découvert que le premier ministre Németh est sous écoute, avec quatre micros trouvés à l’intérieur de son bureau. Depuis lors, quand il s’agit de traiter de questions délicates, Németh discute avec ses conseillers au bord du Danube ou dans des parcs publics.

La chute de murGrósz ne veut pas entendre parler de réhabilitation ou de réinhumation. Pourtant, Németh annonce lors du congrès annuel du Parti que le gouvernement participera à la réinhumation de Imre Nagy.

Celle-ci a lieu le 16 juin 1989, devant une foule estimée de 150 000 à 200 000 personnes.

Le 7 juillet 1989 a lieu la réunion des membres du Pacte de Varsovie (alliance militaire du bloc soviétique) à Bucarest. Nicolae Ceaușescu et Erich Honecker réclament des sanctions contre la Hongrie. Németh est assis face à Gorbatchev, qui lui fait des clins d’œil rassurants. Il n'y a pas de sanction.

Chaque été, de nombreux Allemands viennent passer les vacances en Hongrie. Ceux de l'Est peuvent se rendre sans aucune difficulté dans le « pays frère » goûter à un peu plus de liberté et aussi rencontrer des Allemands de l'Ouest. La Hongrie ayant besoin de devises, ces visiteurs sont les bienvenus. Le pays, en particulier la région du lac Balaton, devient le rendez-vous estival des familles allemandes séparées.

Début août 1989, Németh est avisé que de nombreux Allemands de l'Est ne quittent pas la Hongrie, passé les trois semaines autorisées. Une crise se prépare, qui concerne environ 100'000 personnes et s’annonce difficile à gérer. L'ambassade de la République Fédérale d’Allemagne et son consulat ferment. Il est devenu impossible aux Allemands de l’Est de demander l’asile. Le gouvernement de Németh se trouve pris au piège : il ne peut ni les laisser passer à l'Ouest ni les renvoyer de force en Allemagne de l’Est. Les campings sont débordés, les gens bivouaquent au bord des routes. Des problèmes sanitaires surgissent.

La chute de mur

A la mi-août, Németh apprend que dans des camps de pionniers (mouvement de la jeunesse communiste), des plans sont distribués, indiquant aux réfugiés par où passer la frontière. Dans la région de Sopron, est organisé un « piquenique paneuropéen » pour les habitants autrichiens et hongrois, avec l'autorisation du gouvernement. Pendant cette manifestation, la frontière est ouverte. Le plan distribué indique l'endroit et la date. Németh donne l'ordre aux garde-frontières de ne pas intervenir.

Le piquenique paneuropéen est une manifestation symbolique et pacifique qui s'est déroulée le 19 août 1989, à la frontière austro-hongroise, à Sopronkőhida, près de la ville de Sopron, en Hongrie. Il marque une première brèche dans le rideau d fer, avec l'ouverture, trois heures durant, des postes frontières et la fuite d'environ 600 citoyens de RDA.

Les organisateurs de cet évènement sont alors l'Union paneuropéenne internationale de Otto de Habsbourg-Lorraine et la République hongroise représentée par Imre Pozsgay. Le fil de barbelé est coupé, a coupé marquant ainsi l’ouverture symbolique de trois heures de la frontière. (1)

Le 20 août 1989, jour de la fête nationale hongroise, Németh parle de moment historique. Tout de suite après, il apprend que quelqu'un (probablement Grósz) a donné l'ordre aux milices ouvrières de contrôler la frontière. Les milices ouvrières avaient été créées après le soulèvement de 1956, le pouvoir communiste ayant réalisé alors ne pouvoir compter ni sur l'armée ni sur la police, rangées du côté des révolutionnaires. Ces milices sont très bien équipées en armes, y compris des armes lourdes et des chars.

Malgré la tension qui monte, plus de 5 000 Allemands de l'Est franchissent illégalement la frontière car les soldats, n’ayant pas reçu d’ordre, ne savent que faire. Berlin fait pression sur Moscou. Németh et son équipe se renseignent pour savoir quelle est l'ambiance à Moscou. Ils entendent qu'un putsch est probable, que la situation de Gorbatchev est très incertaine. Ni le moment ni par qui ce dernier serait remplacé, ne sont connus. Pour aider Gorbatchev à rester en place, Németh donne l'ordre à l'armée de resserrer les contrôles à la frontière et d’empêcher les franchissements illégaux, mais sans tirer.

La chute de murDans la nuit du 22 août 1989, Kurt-Werner Schultz, né en 1953 à Weimar, est abattu. Il voulait se défendre et a frappé avec son sac un garde-frontière dont l'arme, déjà prête à tirer, s’est déclenchée et le coup est parti. Németh ne voulant pas avoir d'autres morts sur la conscience, il décide d'ouvrir la frontière.

Par l’intermédiaire de l'ambassade de la RFA à Budapest, il demande un rendez-vous urgent au ministre des affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher et au chancelier Helmut Kohl. Il se rend en hélicoptère au château de Gymnich, résidence des hôtes du gouvernement de la RFA. Kohl a les larmes aux yeux quand il entend que tous les Allemands de l'Est se trouvant en Hongrie vont arriver, d'ici mi-septembre, en RFA.

Il demande à Németh s’il a l'autorisation de Gorbatchev et s'entend répondre : « Le temps où il fallait demanderbas l'autorisation de Moscou est révolu. ».

Une fois Németh reparti, Kohl appelle Gorbatchev pour lui demander s'il est d'accord. Réponse : « Miklós Németh est un homme bien », ce qui est à considérer comme un accord tacite.

Les 10 et 11 septembre 1989, 30 000 citoyens de la RDA passent en RFA, via la Hongrie et l'Autriche. A fin septembre et début octobre 1989, des milliers d’autres personnes suivent leur exemple, transitant par la Tchécoslovaquie. L’Allemagne de l’Est ne peut plus colmater la brèche.

Le 18 octobre, Honecker démissionne.

Le 9 novembre, le mur de Berlin tombe.

Basilides Bálint

(1) La partie en italique est tirée de Wikipédia

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