Rencontre avec Zoltán Mária Flóra
Rendez-vous au numéro 37 de la rue Bartók Béla, située dans l'arrondissement d'Újbuda. C'est là, dans la 37Gallery, que nous avons été accueillies pour l'exposition de l'artiste peintre Zoltán Mária Flóra. Composée de ses derniers tableaux débordants de couleurs, son exposition intitulée "Minden világos, mégsincs reggel", traduisible en "Tout est clair, mais le matin n'est pas encore arrivé", attire l'œil.
Il se trouve qu'elle est exposée au même moment au Vasarely Múzeum Budapest, qui se situe dans la vieille Buda (3e arrondissement), dans le cadre d'une exposition collective du nom de KépZene.
Inaugurée le 4 février avec un discours de Zoltán Bodnár, la nouvelle exposition de Zoltán Mária Flóra a attiré de nombreux intellectuels et célébrités de la ville de Budapest. Le titre de l'exposition est une citation de l'écrivain poète Goethe. Zoltán Mária Flóra l'a jugé comme particulièrement adéquate pour rendre compte de ses pensées et sentiments concernant ses nouvelles œuvres.
Ses peintures, principalement réalisées à l'acrylique, peuvent être qualifiées de premier abord de "rayonnantes" et de "joyeuses". Elles prennent cependant bien plus de profondeur une fois que nous avons un aperçu sur son parcours exceptionnel ainsi que sur son processus de création artistique.
Artiste peintre coloriste et aujourd'hui une femme épanouie, Zoltán Mária Flóra n'a pourtant pas eu une enfance facile. Née à Budapest en 1937, les premières années de sa vie sont marquées par les tragédies de la Guerre. Cette période où elle est dans l'obligation de rester cachée aura un retentissement dans certaines de ses œuvres.
En ce qui concerne son parcours artistique, elle fait ses études à l'École supérieure des Beaux-Arts et des Arts appliqués de Budapest. De 1956 à 1958, elle étudie à l'Académie des beaux-arts de Prague, puis revient à Budapest pour terminer son cursus. Durant quelques années, elle vivra également à l'étranger, où elle aura l'occasion d'affiner ses techniques.
Zoltán Mária Flóra raconte que les différents régimes tristement célèbres en Hongrie ont beaucoup impacté sa vie d'artiste.
"L'art dit l'indicible, tout en restant indicible". Cette citation de Rilke rejoint l'opinion de Zoltán Mária Flóra. Elle s'est efforcée toute sa vie de trouver des états, des émotions et des pensées plus "profondes" qui lui permettraient d'esquisser l'inexprimable de son monde intérieur. Le style non-figuratif, qu'elle adopte en 2013 lui fournit une nouvelle liberté d'expression. Depuis, elle associe couleurs et formes abstraites pour traduire ce qui ne peut être dit.

Le Vrai, le Beau et le Faire semblant
Au cœur de la démarche artistique de Zoltán Mária Flóra se trouve la question du "Vrai", du "Beau" et du "Faire semblant". En effet, selon elle, un artiste n'en devient réellement un qu'après avoir trouvé comment puiser ses œuvres dans son propre monde interne. Cela nécessite de longues années d'expériences et même lorsque la méthode à suivre est plus ou moins claire, l'artiste doit continuellement prendre garde de ne pas se heurter face aux obstacles qui obstruent le chemin vers le "Vrai". Zoltán Mária Flóra nous parle de deux dangers : celui de vouloir créer quelque chose de "Beau", et celui de "l'Apparence du Vrai".
Vouloir créer quelque chose de beau est une aspiration vouée à l'échec. Une pensée du dramaturge et essayiste autrichien Hermann Broch dépeint exactement l'opinion de Zoltán Mária Flóra : "Le devoir d'un artiste n'est pas de se soucier de la beauté de son art, car dès lors qu'il le fait, il échoue à sa mission".
Le deuxième danger selon Zoltán Mária Flóra est de tomber dans l'art de "l'Apparence", du "Faire semblant". Car de nos jours, l'apparence est plus que jamais mise en avant, à travers les réseaux et les nombreuses plateformes et peut se retrouvent jusque dans les expressions de soi telle que l'art. Pour mieux comprendre les implications du danger de "l'Apparence", Zoltán Mária Flóra propose à ce sujet un essai particulièrement adéquat de Szilágyi Ákos, "A semmi tükre" ; le miroir du néant.
La question qui se pose d'elle-même est alors : comment reconnaître le "Vrai" du "Faire semblant" ? Zoltán Mária Flóra nous livre sa démarche personnelle.

Un état de conscience presque modifié
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, Zoltán Mária Flóra n'a pas une image claire et spécifique dans son esprit qu'elle s'efforce ensuite de transmettre sur sa toile. Ayant déjà tenté cette démarche, ses expériences passées lui ont prouvé maintes et maintes fois que le résultat est toujours décevant : elle n'arrive jamais à restituer exactement son image mentale dans la réalité. Si toutefois elle poursuit ce travail et fini tout de même l'œuvre, l'aboutissement est alors un simulacre.
Son processus est un cheminement intime. Elle commence par imaginer une ou deux couleurs, puis elle s'efforce de se faire toute petite et de tendre l'oreille vers son monde intérieur. La réalité extérieure disparait et alors quelque chose d'exceptionnel se passe : les couleurs lui chuchotent les mouvements, les traits de pinceau et les formes à entreprendre.
Zoltán Mária Flóra utilise les termes suivant pour décrire ces moments précieux : un état de conscience presque modifié. S'apparentant à un état méditatif, c'est à ce moment-là que l'artiste disparaît et que l'indicible trouve un chemin de représentation dans la réalité extérieure. Une phrase venant de l'essai de Szilágyi Ákos prend dans ce contexte tout son sens : être le moins visible et le plus présent possible.
Dans ces moments de grande concentration, elle nous raconte encore que son corps physique disparait de son champ de perception. Elle ne ressent ainsi ni la fatigue ni même l'éventuelle douleur liée à l'effort physique. Elle nous a révélé que si elle le pouvait, elle passerait l'entièreté de ses journées à peindre.
En dépit de son parcours difficile, marqué par de nombreuses luttes, Zoltán Mária Flóra est aujourd'hui une artiste épanouie. Elle se dit véritablement heureuse et comblée de pouvoir peindre. Et en retour, la passion se ressent à travers ses œuvres...
Manon Wermeille