Un Bal masqué à l´Opéra de Budapest : quand Italiens et Hongrois s´associent au service de Verdi, le miracle n´est pas loin...

Un Bal masqué à l´Opéra de Budapest : quand Italiens et Hongrois s´associent au service de Verdi, le miracle n´est pas loin...

Écho d´une soirée mémorable

Si Un Bal masqué ne figure pas parmi les plus connus de ses opéras, le fait divers qui inspira Verdi fit beaucoup de bruit en son temps : l´assassinat en 1792 du roi Gustave III de Suède au cours d´un bal masqué. Au point que, bien avant Verdi, le drame avait déjà inspiré à Auber son opéra Gustave III ou Le bal masqué donné à Paris en février 1833 sur un livret et d´après une pièce de Scribe (1). Créé 26 ans plus tard (février 1859) à Rome, l´opéra de Verdi, initialement intitulé Gustavo III, fut à deux reprises rejeté par la censure pour se voir en définitive transposé au XVIIème siècle dans la ville de Boston, le roi étant alors remplacé par un certain comte Riccardo, gouverneur de la ville. La version qui nous en fut donnée ce soir correspond à la première mouture.

Présentant une intrigue assez complexe, dont nous tenterons de résumer le canevas. En deux mots : le roi Gustave est amoureux d´Amelia, épouse de son fidèle ami, le comte Renato qui lui est entièrement dévoué. Voulant se libérer de cette relation, Amelia va cueillir, sur les conseils de la sorcière Ulrica, des herbes pour préparer un philtre censé la détacher du roi. Le roi, qui voulant également consulter Ulrica, l´y retrouve par hasard. Tous deux se déclarent leur amour, mais aussi leurs remords et leur volonté d´en finir. Renato les surprend et, furieux, se jure de faire périr sa femme, puis de tuer le roi. Rongé par la jalousie et humilié, il rejoint les conspirateurs qu´il avait pourtant auparavant combattus. Pour finir par tuer le roi lors d´un bal masqué. Celui-ci, avant de mourir, ayant encore le temps de déclarer à un Renato décontenancé son innocence et l´innocence de sa femme et de pardonner aux conspirateurs. Apparemment pas grande chose à voir avec le fait historique, sinon que Gustave III, despote éclairé et aimé de son peuple, fut effectivement victime d´une conspiration menée par la noblesse, jalouse de ses droits. Un livret auquel Verdi semblait tenir, s´y étant lui-même beaucoup impliqué, avec tous les ingrédients propres à faire valoir son talent : passion, jalousie, raison d´Etat, sorcellerie. Mais également avec une touche comique assez prononcée, notamment incarnée dans les airs du page Oscar (confiés à une soprano) ou encore dans le chœur des conjurés raillant Renato.

Ce qu´en disent généralement les critiques : „Un opéra présentant toutes les qualités des Vêpres siciliennes sans en accuser les défauts” (F.R. Tranchefort). Une œuvre que l´on situe un peu à part dans la production de Verdi, associant à un élément dramatique qui ne serait pas sans rappeler Rigoletto une touche comique qui annoncerait déjà le futur Falstaff. Avec, dans certains passages (airs d´Oscar), une influence assez marquée de l´opéra-comique français. Curieux mélange, assez atypique…  Parmi les éloges lus au sujet du Bal masqué, nous citerons le critique Massimo Mila qui, lors de la création, n´hésita pas à y voir „l´opéra de Verdi le plus exclusivement consacré à l´amour, davantage encore que la Traviata”. Avis rejoint par Willam Weaver qui va jusqu´à dresser un parallèle entre les couples Riccardo (Gustave) -Amelia et Tristan-Iseut, citant au passage le dialogue du deuxième acte entre Riccardo (Gustave) et Amelia comme un modèle du genre.

Une œuvre que nous connaissions par l´enregistrement, mais que nous n´avions encore jamais vue. Alors ?

Le cadre, tout d´abord. Décor simple, mais raffiné et costumes somptueux dessinés par Giuseppe Palella. Le tout mis en scène par le jeune Italien Fabio Ceresa qui fut directeur-assistant à la Scala et remporta en 2016 l´International Opera Awards. Donc une bonne référence. Superbe mise en scène (qui nous rappellerait un peu Zeffirelli). Le tout placé sous la direction musicale de son compatriote Carlo Montanaro.  Un chef disposant également de sérieuses références. Découvert par Zubin Metha, il dirigea notamment le Barbier de Séville à l’Opéra Bastille. Comme l´on voit, mis à part les chanteurs, l´orchestre et les chœurs, une production „italienne”, ce qui est a priori plutôt bon signe.

Alors ? La perfection. Une interprétation qui sera allée bien au-delà de nos attentes. A commencer par les chanteurs, en tête desquels nous mentionnerons un couple Gustave-Amelia idéalement interprété par la soprano Adrienn Miksch et le ténor László Boldizsár. Tous deux au timbre pur, maîtrisant parfaitement leur voix. Surtout Adrienn Miksch aux aigus d´une grande pureté et qu´elle peut tenir sans le moindre vibrato, mais tout aussi à l´aise dans les graves, avec une voix tantôt puissante, tantôt douce. Particulièrement émouvante en tendre et fragile Amelia. Une jeune soprano que nous découvrions ce soir. Egalement émouvant, la basse Mihály Kálmándy en Renato, mari rongé par la jalousie, mais en même temps un personnage sensible et somme tout attachant. Les deux autres rôles chantés par des femmes : Helga Nánási (soprano) en Oscar et Bernadett Wiedemann (mezzosoprano) en Ulrica (sœur de la Bohêmienne Azucena du Trouvère) étant tout aussi idéalement assumés. Et joués. Car tout ce petit monde a fort bien joué pour nous faire d´un bout à l´autre revivre ce drame. Car c´est bel et bien à un drame que Verdi nous conviait ce soir. Et quel drame ! A cet égard, nous serions finalement enclins à réfuter l´allusion au comique évoquée au sujet de certains passages. Passages qui relèveraient plutôt du sarcasme et ne sont là que pour accentuer davantage encore la cruauté du drame qui se déroule sous nos yeux. Enfin, n´oublions pas non plus les chœurs qui jouent ici un rôle non négligeable, particulièrement inspirés ce soir. Notamment le chœur (moquerie) des conjurés, petit chef d´œuvre dans son genre.

Egalement en verve, l´orchestre, rarement entendu comme ce soir (les timbales !). Le tout étant à mettre au compte du chef italien Carlo Montanaro, le véritable héros de la soirée. Car sans lui, rien n´eût été possible. Ayant su insuffler son énergie non seulement à l´orchestre et aux chœurs, mais également aux chanteurs et à toute l´équipe. Et sympathique, avec ça (allant même remercier le souffleur…) !

Et Verdi, dans tout cela ? Les critiques avaient bien raison, qui voyaient dans Le Bal Masqué, notamment dans le duo Gustave-Amelia du deuxième acte, la plus touchante déclaration d´amour qu´il n’ait jamais composée.  Il faut l´avoir entendue, comme il faut avoir entendu la merveilleuse confession d´Amelia qui ouvre le deuxième acte ou encore la poignante supplique qu´elle adresse à son mari au début du dernier acte. Seule la Traviata nous offre des moments semblables. Une Traviata à laquelle on rapprochera également le chœur qui ouvre le bal dans le dernier tableau. A mettre également au compte de Verdi : la qualité du livret auquel il s´est impliqué au point de le considérer comme sien (2).

Une œuvre à part dans la production de Verdi, mais un bel opéra que ce Bal masqué. Mais aussi une partition particulièrement difficile et qui, pour être vraiment appréciée, exige d´être servie par une équipe de premier plan. Ce qui fut le cas ce soir.

Pierre Waline

Crédit photos : Magyar Állami Operaház

(1): sujet qui avait également inspiré Mercadante avec son drame lyrique Il Reggente (1843).

(2): telle cette trouvaille de faire désigner par Amelia son mari comme devant être l´assassin du roi (son amant)! Suite à un tirage au sort dont elle ignorait le but.

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