Yao : une aventure sénégalaise

Yao : une aventure sénégalaise

Le Sénégal, terre de Léopold Sédar Senghor (1), est un mélange de cultures et de peuples riches d'une histoire millénaire. De Jean-Richard Bloch (2) à André Malraux(3), ce territoire a fasciné les hommes par ses traditions, son art et son hospitalité légendaire, la «Téranga» en wolof. Aujourd'hui encore il inspire toute une génération d'artistes parmi lesquels Philippe Godeau qui en fait le théâtre de son dernier film Yao.

Yao, c'est l'histoire d'une rencontre entre un acteur français qui découvre l'Afrique dont il est originaire et un jeune Sénégalais qui entreprend un voyage de 387 kilomètres pour croiser son idole. Omar Sy, touchant dans le rôle de Seydou Tall, décide de raccompagner vers son village le jeune Yao, interprété brillamment par Lionel Louis Basse.

En roulant vers le nord du Sénégal, Seydou Tall roule vers ses racines et son histoire familiale, tout en créant des liens très forts avec Yao. Traversé par la question de la paternité, le film est à la fois un voyage initiatique et une découverte culturelle du Sénégal. Entre modernité et traditions, il présente une Afrique qui se veut authentique, loin des représentations habituelles. L'histoire est douce, touchante, tout en sobriété avec un rôle sur mesure pour Omar Sy, et une apparition appréciée de la chanteuse Fatoumata Diawara dans le rôle de Gloria. L'interprétation lumineuse de Lionel Louis Basse apporte une vague de fraîcheur au troisième long métrage réalisé par Philippe Godeau après Le Dernier pour la route, et 11,6.

De passage à Budapest pour accompagner son film au festival du film francophone de Budapest qui a commencé le 27 février et qui se termine le 01 avril, le réalisateur de Yao a pris le temps de répondre à quelques questions du JFB.

JFB : M. Philippe Godeau, vous êtes un grand producteur et un jeune réalisateur, vous évoquez dans votre nouveau film le Sénégal, comment et pourquoi vous êtes venu l’idée de tourner la plus grande partie du film dans ce pays ?

Ph. G. : Tout le film en réalité car on tourne deux jours à Paris et puis le reste au Sénégal. Au début cet histoire elle est écrite parce que quand j’étais enfant j’allais au Mali voir mon père. Donc j’ai imaginé une histoire mais ça aurait pu être à peu près n’importe où en Afrique noire. Moi j’avais plutôt des souvenirs du Mali.

Et après quand j’ai proposé à Omar Sy de faire le film, et qu’il a accepté, pour moi c’était une évidence que c’était plus intéressant de ramener le film au Sénégal. Parce que c’est son pays d’origine. Et moi ça m’intéresse toujours d’être entre la fiction et la réalité, bien que ce soit une fiction. J’ai trouvé que c’était bien plus fort pour Omar à jouer, en le remettant dans un contexte qui est le sien. C’est pour cela que le film se passe au Sénégal.

JFB : Comment s’est passé votre collaboration avec Omar Sy, est-ce que ce choix s’est imposé dès l’écriture du scénario ?

Ph. G. : Quand j’ai eu l’idée de faire ce film, j’en ai parlé à Omar assez vite. Le scénario n’avait pas été encore écrit. Et je lui ai dit que je reviendrai le voir avec un scénario, et voilà, c’est la première personne à qui j’avais pensé évidement. Et pour moi, ce qui était important, c’était que ce soit quelqu’un de vraiment connu qui découvre l’Afrique. Après, évidement avec Omar, on allait vers ce côté de ses origines, et dans la fiction, c’est quelqu’un qui est né en France, qui n’est jamais allé au Sénégal, ce qui n’est pas son cas. Son père est sénégalais et sa mère est mauritanienne. C’est pour cela que nous voyons la Mauritanie et c’est vrai que nous avons aussi filmé à la frontière de la Mauritanie.

Pour la coproduction, c’est moi qui l’aie proposé, quand il a accepté de faire le film. Je trouvais que c’était plus cohérent de proposer à Omar qu’on le coproduise parce qu’on allait faire un film au Sénégal, en Afrique. Dans une logique de production habituelle, on est tout de même des gens assez privilégiés avec des salaires assez importants. J’ai trouvé que c’était plus logique de partager ce film et de partager cette expérience-là. Je savais que ça l’intéressait la production, donc je lui ai proposé qu’on fasse le film en participation et qu’on partage cette aventure. Et il était très content de ça et il était très heureux qu’on fasse le film comme ça. C’est également pour cela que nous sommes

JFB : D’où vient exactement ce projet, d’où vous vient l’idée de film, qu’est-ce qui vous a donné envie de le faire ?

Ph. G. : C’était vraiment l’envie d’essayer de faire ressentir ce qu’on peut ressentir quand on va en Afrique. C’est essayé de faire ressentir, au-delà d’un voyage, on rencontre une autre civilisation, c’est plein de choses différentes et le cinéma pouvait faire ressentir ça. Dans le monde actuel, tout le monde se renferme, c’est souvent la peur qui gouverne. Essayer d’aller, de faire un voyage dans un pays, à 80% musulmans, noirs, montrer qu’on peut vivre avec des valeurs différentes, d’ailleurs des valeurs qui sont pour la plupart les nôtres, qu’on a juste oublié en chemin, c’était bien de faire ça. Après moi je fais des films de divertissement, je n’ai pas la prétention de faire autre chose. Parce que le problème, c’est qu’on veut comparer sur les mêmes critères mais c’est absurde ! La notion du temps, la notion de la spiritualité ne sont pas les mêmes. Tout le monde croit là-bas, il n’y a pas à comparer, c’est une vie différente avec des gens qui doivent trouver un équilibre. Je vais même dire un truc choquant mais là-bas on fait beaucoup d’enfants parce qu’en effet, il y a encore des enfants qui meurent. Alors on en fait beaucoup. En même temps, les gens ont le temps de vivre leur spiritualité, la vie en famille n’est pas la même… Il ne faut juste pas comparer. Essayer de faire vivre un peu, d’aller vers des gens qui vivent autrement.

JFB : Est-ce que vous pensez par conséquent avoir donner une image proche de la réalité de l’Afrique, d’être aller au-delà des images d’Epinal qu’on peut avoir ?

Ph. G. : J’ai essayé (rires). C’est vrai que c’était sans doute ma préoccupation n°1 : faire un film moderne. J’ai trouvé que c’était respectueux de l’Afrique de ne pas vouloir faire un film sur un reportage. C’est un film de fiction, filmer avec des moyens de film. Je voulais qu’on tourne là-bas comme si on était aux Etats-Unis, y’a pas de raison. Après souvent, la caméra prend tout, elle exagère tout. J’avais un premier assistant sénégalais qui a tourné tous les films importants là-bas, et des fois je lui disais, « y’a deux dames là, avec des bassines, il faudrait enlever, à l’image, ça va faire trop ». Et je n’ai fait que ça, de temps en temps, enlever des choses qui auraient pu faire trop. Parce que je ne voulais pas en effet que ça fasse pittoresque. Je voulais donner une vision moderne. Aujourd’hui, vous allez dans les villages, les filles vont porter un voile mais elles vont être maquillées, le type sur sa charrette il va avoir son téléphone. Il y a truc moderne, et j’ai essayé à travers le personnage féminin, à travers le fait qu’elle chante en anglais, à travers beaucoup de choses comme ça, de faire attention à ça.

JFB : Par rapport à Omar Sy, est-ce que c’était difficile de diriger un acteur de son envergure ?

Ph. G. : Omar, ça s’est fait très facilement, parce que vous savez, diriger bon c’est déjà un grand mot. C’est surtout une question de confiance, il faut que l’acteur soit en confiance, que votre regard puisse le protéger aussi. Il n’y a pas eu de problèmes de ce côté-là. Je dirais qu’après il est assez facile de partager, exprimer quelque chose, c’est vraiment de mettre quelqu’un en confiance. C’est important pour moi.

JFB : Et pour Lionel Louis Basse, le garçon ? Comment est-ce que vous l’avez trouvé ?

Ph. G. : Le garçon, on ne dirige pas un enfant…C’est un miracle, c’est une chance incroyable, on a vu 600 enfants, on l’a trouvé à Saint-Louis, il est chrétien lui, il n’a jamais vu de film, il n’a jamais fait de cinéma… voilà, on a eu l’intuition comme ça dans les essais qu’il était bien. Mais après c’est le miracle, parce qu’il y a bien et être bien pendant 2 mois et demi tous les jours.

JFB : Quels sont les défis auxquels vous avez dû faire face en général lors de ce film ?

Ph. G. : Sincèrement, ça n’a pas été un film difficile, parce que, ce qui est difficile, c’est le stress, c’est les imprévus. On a tourné dans la continuité. De ce côté-là il n’y a pas eu de vrais problèmes. Si le seul truc, j’ai eu dû mal à trouver le rôle du chauffeur de taxi et on m’a dit dix jours avant de tourner qu’il n’avait pas de permis de conduire donc ça, c’était un imprévu… mais bon au Sénégal, on a pu résoudre ce problème-là, mais voilà, ça c’est juste pour l’anecdote mais il n’y a pas eu de difficulté…

Yao sortira au cinéma en Hongrie à partir de cet été.

Anna Robert, Éva Vámos et Aurélie Loek

(1) Poète, écrivain, homme d’Etat français puis sénégalais (1906-2001), il a notamment écrit les recueils Hosties noires, Le Seuil, 1948 ou Ethiopiques, Le Seuil, 1956

(2) Ecrivain, essayiste, homme politique, journaliste et poète français (1884-1947), il a notamment écrit Cacaouettes et bananes, Paris, NRF Gallimard, 1929 et Sur un cargo, Paris, NRF Gallimard, 1924

(3) Ecrivain, aventurier, homme politique et intellectuel français (1901-1976). Auteur de La métamorphose des dieux – L'intemporel, Paris, NRF Gallimard, 1976, a prononcé le discours d’ouverture du premier festival mondial des arts nègres à Dakar le 30 mars 1966.

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