Budapest: Mendelssohn et Schumann réunis dans une Folle Journée (marathon musical)

Budapest: Mendelssohn et Schumann réunis dans une Folle Journée (marathon musical)

Depuis 2008, sous l’impulsion de son chef Iván Fischer, l’Orchestre du Festival de Budapest organise chaque année en liaison avec le Palais des Arts de Budapest (Müpa) un „marathon” musical, journée de concerts non-stop entièrement consacrés à un compositeur donné. Après Tchaïkovski, Dvořák, Beethoven, Schubert, Mozart, Bartók, Bach et Stravinsky, le choix s’est porté cette année non sur un, mais sur deux compositeurs: Robert Schumann et Félix Mendelssohn.

 

Voilà une idée forte bien venue. Schumann et Mendelssohn: deux compositeurs contemporains (1), au demeurant amis, qui marquèrent tous deux profondément la vie musicale allemande de leur époque et disparurent tous deux prématurément. Les associer était donc une excellente idée.

Et pourtant, on ne saurait trouver plus différents, tant par leur style que dans leur personne. L’aîné, Mendelssohn, tout en finesse, que je qualifierais de clair et lumineux, à l’image de cette Italie qu’il aimait tant. Le second au contraire rongé par la passion, sombre par moments, le romantique par excellence. Le premier marqué entre autres par ses découvertes des grandes œuvres chorales d’un Bach et d’un Haendel, dont il sut admirablement reprendre le style équilibré. Le second, tout en souffrance, tiraillé selon ses propres dires entre ses deux personnages, le sage Eusebius et le fougueux Florestan. Qui, comme on sait, finira par sombrer dans la folie. Et avec cela les meilleurs amis du monde. L’un, Mendelssohn, étant même parrain d’une des filles du second. Mendelssohn qui, fort de sa position à la tête du prestigieux Gewandhaus de Leipzig, tenta d’aider son ami en l’invitant à diriger sa formation (ce qui s’avéra au demeurant être une catastrophe).

Pour qui voudrait pousser la comparaison, on pourrait relever tant chez l’un que chez l’autre un talent extra musical hors du commun: talent de dessinateur chez Mendelssohn et d’écrivain et poète chez Robert Schumann. Pour pousser plus loin encore le parallèle, on rappellera que chacun d’eux côtoya l’une des deux rares femmes compositeurs du siècle: Fanny, la sœur de Félix et Clara, l’épouse de Robert.

Pour en revenir au marathon, les trois concerts auxquels il m’a été donné d’assister correspondent chez l’un et chez l’autre à des œuvres qui me sont chères: le merveilleux concerto pour piano en la mineur de Schumann, la troisième symphonie dite „écossaise", également en la mineur, de Mendelssohn et la quatrième symphonie en ré mineur de Schumann (précédée de l’ouverture des Hébrides de Mendelssohn).

En prime, petite cerise sur le gâteau, le trio en ré mineur de Mendelssohn. Après avoir peut-être trop vite catégorisé Mendelssohn de compositeur „sage” presque classique (2), voilà qui va en partie me contredire: la symphonie écossaise est en effet plutôt mouvementée, par moments traversée de bourrasques et de tempêtes. Mais avec une orchestration parfaitement limpide et claire et nous offrant aussi des passages au ton plus „optimiste”, voire recueillis et majestueux (le 3ème mouvement adagio qui n’est pas sans rappeler l’adagio de la IXème de Beethoven).

Pour ce qui concerne le concerto pour piano de Schumann, nous avons ici affaire à un pur chef d’œuvre, probablement parmi les concertos de piano les plus réussis de toute la musique et sans nul doute l’un des sommets de la musique romantique.

Quant à la „Quatrième” de Schumann - qui fut en fait chronologiquement sa deuxième symphonie (3) -, inutile de la présenter, s’agissant d’un grand classique de nos salles de concert. A noter sa charmante romance et, surtout, cette impressionnante transition en crescendo qui introduit le finale, très probablement inspirée de la Cinquième de Beethoven.

Pour ces trois œuvres, les interprétations - confiées à des formations différentes (4) - furent largement à la hauteur des attentes du public à en juger par les applaudissements nourris. Avec toutefois une mention spéciale à l’orchestre Pannon et son chef András Vass pour leur merveilleuse interprétation, claire et lumineuse, de la symphonie écossaise (5).

Mais peu importe l’appréciation que l’on pourra porter sur le détail des interprétations. L’essentiel réside dans l’ambiance que ses organisateurs auront su imprimer à cette journée. Une véritable Fête de la Musique, événement dont je ne connais guère d’équivalent (6). Du matin au soir, une foule calme, mais radieuse et apparemment comblée, déambulant d’une salle à l’autre pour satisfaire son besoin de musique et de détente. Et l’offre ne manquait pas! Seize concerts et récitals non-stop agrémentés de films (concerts enregistrés) et d’une petite exposition.

Un immense coup de chapeau aux organisateurs de cette belle journée, à commencer par Iván Fischer qui en a eu au départ l’initiative. Mais aussi une belle occasion d’honorer la mémoire de ces deux géants de la musique romantique et de rappeler leur amitié.

Pierre Waline

(1): Félix Mendelssohn: février 1809 – novembre 1847 / Robert Schumann: juin 1810 – juillet 1856.

(2): non sans une certaine exagération, Schumman qualifia son ami Mendelssohn de „Mozart du XIXème siècle”.

(3): composée en 1841 sous le titre initial de „Fantaisie symphonique”,. elle fut largement remaniée neuf ans plus tard.

(4): Cordes de Budapest avec Zoltán Fejérvári en soliste (concerto de Schumann), Orch. MÁV (4ème de Schumann), Orch. Pannon (symphonie écossaise)

(5): une œuvre que Schumann confondit dans un premier temps avec la Symphonie italienne. Bien qu’inspirée d’un voyage en Ecosse, sa composition fut commencée à Rome, parallèlement à celle de l’Italienne (mais terminée neuf ans plus tard seulement).

(6): mis à part notre „Folle journée” de Nantes.

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