« Les Loustics » et l’enseignement du français

« Les Loustics » et l’enseignement du français

Rencontre avec Hugues Denisot à l’Institut français

Apprendre tout en s’amusant, c'est le rêve des élèves et c'est ce que quelques manuels scolaires de français langue étrangère réussissent à réaliser comme par exemple le manuel « les Loustics », paru chez Hachette.

Nous avons rencontré l'auteur qui, après avoir enseigné dans plusieurs pays en Europe et aux Etats-Unis, lance, en tant qu’attaché de coopération éducative de l’Institut français et coordinateur des Alliances françaises de Hongrie, une campagne d’information sur les bienfaits de l’apprentissage précoce des langues étrangères et notamment du français auprès des parents et des partenaires éducatifs hongrois.

 

Éva Vámos : Ayant vécu moi-même une expérience, l'apprentissage du français, langue étrangère à l'école à l'âge de 5 ans, les progrès faits depuis en cette matière m'intriguent beaucoup. Que pensez-vous de l'enseignement du français à l'école et quelles sont vos expériences en Hongrie ?

Hugues Denisot: En effet, les méthodes ont beaucoup évolué. Il y a encore quelques années, les méthodes et techniques d’enseignement des langues étrangères aux enfants étaient calquées sur celles de l’enseignement de la langue maternelle. Ce n’est plus le cas. C’est même le contraire ! La didactique de l’enseignement des langues étrangères influence positivement la didactique de l’enseignement de la langue maternelle. Les nouvelles approches se veulent holistiques, elles tiennent compte des facultés et des émotions des enfants en respectant les stades de développement de l’enfant aussi bien psychomoteurs, cognitifs, scolaires que sociaux et affectifs. C’est pour cela que le jeu est un facteur essentiel dans l’apprentissage. Il permet à l’enseignant de s’appuyer sur les centres d’intérêt de ses élèves, leur manière d’appréhender le monde et de leurcommuniquer le plaisir d’apprendre. Les nouvelles méthodes intègrent les principes défendus par Howard Gardner dans sa théorie des Intelligences multiples. Elle permet au pédagogue de varier et de différencier ses présentations et d’atteindre tous ses élèves. Sa mise en œuvre dans les classes favorise l’interaction et l’émotion. On se creuse la tête pour résoudre une énigme, on s’émeut devant la vidéo d’un animal en difficulté, on apprend des tours de magie, des blagues de Toto, on élargit sa culture, on apprend à respecter l’autre et à se respecter soi-même… Malheureusement, la formation des enseignants des écoles maternelles et primaires ne permet pas toujours aux collègues de se familiariser avec ces nouvelles approches, quelle que soit la langue enseignée d’ailleurs. Concernant l’enseignement du français pour cette tranche d’âge en Hongrie, je constate que nous pouvons compter sur des professeurs enthousiastes qui se donnent corps et âme à leurs élèves et à leur mission. Certains dispositifs de formation continue comme l’Université d’été de Budapest, permet de former les enseignants à ces approches.Le site de supports didactiques « Franciaoktatas » s’enrichit de fiches pédagogiques à destination des instituteurs, intégrant une prise en compte de l’utilisation des nouvelles technologies, ce qui motive beaucoup les jeunes élèves. Les possibilités en Hongrie pour développer l’enseignement du français auprès des jeunes enfants existent, certains établissements en font profiter leurs élèves. Les écoles ne sont pas obligées de proposer l’anglais comme première langue étrangère. C’est la même chose en France mais comme en France, la majorité des écoles ne proposent que l’anglais ou l’anglais avec une autre langue. Dans ce deuxième cas de figure, l’autre langue a des difficultés à se maintenir car les parents sont fixés sur l’anglais. J’aimerais voir plus d’écoles oser le français. L’objectif des conférences que je propose à travers le dispositif des Alliances françaises est surtout d’informer les parents et les collègues hongrois sur les avantages de l’apprentissage des langues et les encourager à profiter de la chance qu’ils ont de pouvoir encore proposer une autre langue que l’anglais comme première langue étrangère. Ils n’en profitent pas assez. Je me bats depuis plus de vingt ans en France pour que les élèves apprennent une autre langue que l’anglais à l’école primaire. Je me bats aussi pour que l’apprentissage de l’anglais comme deuxième langue étrangère n’arrive pas trop tardivement et soit de bonne qualité car le défi actuel pour nos enfants n’est plus le bilinguisme mais bien le plurilinguisme. Rappelons que plus de 25% de la population mondiale est bilingue de naissance et que le monolinguisme est plus rare qu’on le croit.

Éva Vámos : Vous êtes formateur des formateurs. Quels sont vos projets prochainement dans les ateliers dans les différents centres de l'Alliance Française en Hongrie ?

Hugues Denisot : Pour les conférences, convaincre les parents que l’apprentissage précoce des langues est tout sauf nocif pour leurs enfants, que l’anglais est obligatoire mais pas comme première langue étrangère et qu’il vaut mieux privilégier une langue latine, la plus internationale étant le français ou éventuellement une langue slave. J’aimerais également leur faire connaître l’offre de cours et d’activités des Alliances françaises et de l’Institut français de Hongrie. Cela vaut aussi pour les parents francophones. Concernant les enseignants, je veux les conforter dans leur plaisir d’enseigner et leur prouver que le français n’est pas une langue difficile à faire apprendre et à faire aimer. C’est ça le plus important ! L’élève doit aimer son professeur de français (c’est très souvent le cas en Hongrie !), doit se dire à la fin du cours « Oh zut ! C’est déjà fini ! », doit réclamer une chanson, un jeu… Je veux dire aux professeurs mais ils sont déjà convaincus pour la plupart, « rangez les dictionnaires, les grammaires, parfois les crayons et sortez les élastiques pour leur apprendre à compter en sautant, les foulards pour leur bander les yeux et découvrir des aliments en les dégustant, allez danser dans la cour… Faites les jouer, mimer, chanter, dessiner, bouger ! N’exigez pas une phrase parfaite, soyez bienveillants, indulgents mais vigilants » car en tant que professionnel, bien sûr, je leur apprends à mettre toutes ces activités en musique pour que la partition permette réellement aux enfants d’apprendre la langue, sans qu’ils s’aperçoivent de l’effort fourni. Il y a une véritable expertise francophone de l’enseignement des langues étrangères aux très jeunes enfants et principalement du français, c’est pour cela que j’invite également les enseignants d’autres langues que le français à venir à mes conférences ou à participer à certains ateliers. Il est important que nous échangions sur nos pratiques !

Éva Vámos: On a présenté « Les Loustics » à l'Expo-langue où les profs de français ont beaucoup apprécié ce manuel avec des dessins drôles, amusants. Selon vous à quel âge et dans quelles structures peuvent les enseignants obtenir les meilleurs résultats ?

Hugues Denisot : Vous avez raison de souligner l’importance des dessins dans un manuel. Nous avons souvent la chance de travailler avec des dessinateurs expérimentés dans le secteur jeunesse et qui connaissent bien les goûts des enfants. D’ailleurs ce sont des enfants qui choisissent l’illustrateur, pas les auteurs. Généralement ils votent parmi cinq dessinateurs. C’est la même chose pour les musiques. Je ne parlerai pas des enseignants car ils ne sont pas à mettre en cause pour les difficultés rencontrées. Le problème est que nous savons ce qu’il faudrait faire et que nous ne le faisons pas. Très peu de pays parviennent à mettre en place un dispositif national adéquat par contre de nombreux dispositifs fonctionnent très bien à travers le monde. Le réseau des sections bilingues hongrois est magnifique et dispense un enseignement bilingue d’excellence reconnu par le labelFrancEducation. On peut juste regretter qu’il n’y ait pas jusqu’à présent d’école bilingue francophone primaire. Car, en effet, pour moi, le meilleur système, coûteux il est vrai, est l’enseignement bilingue précoce. Mon idéal est un enseignement bilingue à parité 50% dans une langue et 50% dans l’autre depuis la première année de la maternelle avec une combinaison de langues intéressante par rapport à la langue de la région ou du pays. Certaines expériences françaises d’établissements bilingues français-langue régionale obtiennent de très bons résultats, mêmes constatations pour les lycées français à l’étranger qui offrent souvent un enseignement trilingue dès la maternelle. Je dirais qu’il est primordial que la langue ne soit pas enseignée en tant que langue mais à travers les disciplines, telles que l’art, le sport, les mathématiques, les outils numériques, la culture... Il est important que les élèves aient de bons modèles linguistiques et qu’ils soient exposés régulièrement. Ensuite, je proposerais assez rapidement l’apprentissage d’une deuxième langue étrangère. C’était donc le cadre idéal mais en général, je dirais que le plus tôt on commence mieux c’est ! Les élèves qui intègrent ce genre d’établissement dès la première année maternelle finalement ne connaissent que ce type d’enseignement et pour eux l’école c’est ça ! Je me souviens d’une petite fille de troisième année de maternelle à New-York qui m’avait dit alors que je parlais avec elle en français vers 15 heures « Pourquoi tu parles la langue du matin ? » Elle avait cours tous les matins en français et tous les après-midis en anglais. Je lui avais répondu que je ne parlais pas la langue de l’après-midi (l’anglais). Elle m’avait répondu un peu triste, avec beaucoup d’empathie : « Oh tu es cassé ! Kate (son institutrice américaine) peut te réparer, tu sais ! » Depuis je suis réparé en anglais et j’ai ajouté quelques options : l’espagnol, le néerlandais (qui a remplacé mon allemand, inexistant aujourd’hui) et j’étudie avec plaisir le hongrois à l’Institut français.

Éva Vámos

Hugues Denisot: Conférences le 13 janvier à Miskolc, le 14 janvier à Debrecen, le 20 janvier à Pécs

Au printemps à Győr, Szeged et Budapest

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