Promouvoir les complémentarités entre les diverses composantes

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Un entretien avec Philippe Gustin

Un des avantages incontestés du métier de journaliste est l’opportunité qu’il offre de pouvoir se faire expliquer certains problèmes selon une perspective innovante. Profitant du récent passage de Philippe Gustin à Budapest, j’ai donc tenu à reprendre ma plume pour vous présenter ce spécialiste reconnu de la septième circonscription des Français de l’étranger : il connaît cette région, la fréquente régulièrement, l’aime et en parle les langues. Instituteur devenu énarque à la force du stylo, Préfet, personnalité politique de premier plan, il occupe et occupa de nombreux postes-clefs dans la haute fonction publique. Dès 1980, dans la RFA de l'époque, pour une meilleure coopération pédagogique franco-allemande, il fut un des piliers de l’école française de Budapest de 1988 à 1994, et, en tant que tel, l’un des pères de ce qui est devenu aujourd’hui le Lycée français de Budapest. Attaché culturel en Autriche, il interrompit sa carrière à l’étranger pour rejoindre le ministre Luc Chatel, avant d’être nommé ambassadeur de France en Roumanie en 2012. Voici, pour ce qui nous concerne particulièrement…

 

 

Fort de cet ancrage régional et inquiet de la dégradation de la situation de nos compatriotes ces dernières années, Philippe Gustin a décidé d’aller à la rencontre des Français de notre circonscription pour en tirer un diagnostic d’ensemble. Par le biais de conférences, de soirées informelles ou de réunions avec les principaux acteurs de la France expatriée, il réunit les premiers éléments de ce qui pourrait devenir, à terme, un véritable plan d’action.

J’ai voulu vous informer de cette mission que vous pourrez suivre, au jour le jour, sur son blog : www.philippegustin.eu, où, pour le moins, les idées ne manquent pas.

Voici le résumé de notre entretien.

JFB : Vous allez vous rendre au Lycée français de Budapest, je crois que c’est une visite que vous ne ferez pas sans une certaine émotion…

Ph. G. : Lorsque je suis arrivé en Hongrie en 1988, il y avait environ 300 ressortissants français à Budapest et 50 élèves scolarisés dans notre école primaire située à Szegfű utca, dans les locaux qu’occupait l’Institut français. Nous accompagnions aussi quelques élèves scolarisés au CNED et devions utiliser tout l’espace disponible y compris le grenier ou le garage… Dans les années quatre- vingt-dix avec la chute du mur et le changement de régime, il y eut un net accroissement des effectifs avec l’explosion du nombre de ressortissants français venant s’installer en Hongrie et il n’était plus possible d’envisager d’intégrer l’école dans le nouveau bâtiment de Fő utca, nous avons alors jeté les bases de ce qui allait devenir le lycée français, dans les locaux de la rue Mathias Kiraly que j’avais trouvés en tant que président de l’association de gestion de l’école, avec plus de 500 élèves au moment de mon départ. Le lycée Gustave Eiffel est donc, un peu, le fruit de la pérennisation de ces efforts et je viens faire le point sur sa situation, comme je le fais pour les autres lycées français dans tous mes déplacements, à Francfort, il y a une quinzaine de jours et en Roumanie où j’étais ambassadeur, ces établissements étant un élément fondamental de la présence française à l’étranger. Je suis, d’ailleurs, inquiet de la situation de cet enseignement français à l’étranger, que, pourtant, de nombreux pays nous envient. Tout d’abord, il faut se rendre compte que les structures d’enseignement sont très différentes selon les pays. Petit à petit, du fait des évolutions et des réformes qui se succèdent, j’ai la crainte de voir une certaine classe moyenne française exclue de ces établissements, parce que ceux-ci fonctionnent sur des modèles économiques basés sur les droits d’écolage payés par les parents et que, lentement mais sûrement, certains parents, qui gagnent suffisamment bien leur vie pour ne pas avoir droit à une bourse scolaire, mais pas suffisamment pour pouvoir scolariser tous leurs enfants, peuvent être amenés, comme j’ai pu le constater, à tirer au sort celui de leurs enfants qui ira à l’école française. C’est une situation préoccupante et je souhaite échanger avec le proviseur pour savoir quelle est la situation à Budapest.

JFB : Vous irez aussi à la rencontre de personnalités et d’associations francophones, comme, par exemple l’UFE…

Ph. G. : Oui, parce que l’UFE est aussi présente dans de nombreux pays de cette circonscription. On suit, là encore, un modèle économique qui doit évoluer pour pouvoir se développer de nouveau. On s’interroge sur les besoins propres à chaque pays, parce que, de manière générale, l’individualisme fait que les Français de l’étranger, comme les Français en général, ont de plus en plus de mal à investir du temps, précieux, dans des associations.

De fait, nous sommes confrontés à une logique de plus en plus consumériste, les gens souhaitent avoir « un service ». Ce « service » est naturellement différent en fonction des classes d’âge et des situations personnelles. Il faut donc favoriser, dès aujourd’hui, une évolution de ces structures associatives pour essayer de répondre au mieux aux attentes, très variées, des Français mais aussi, des francophones, des francophiles, de plus en plus nombreux au sein de l’UFE, par exemple.

JFB : Quelles solutions envisageriez-vous pour recréer du lien au sein de ces communautés françaises, francophones, francophiles… ?

Ph. G. : Je crois que l’enjeu est gigantesque, mais il est central. Comment faire, pour qu’aujourd’hui, lorsque l’on est Français à l’étranger, on se sente appartenir à une communauté ? Faire que lorsque l’on est installé depuis très longtemps, lorsque même, parfois l’on est né, à l’étranger, on puisse se sentir pleinement Français grâce à des liens qui permettent d’exprimer cette appartenance. C’est un enjeu fondamental lorsque l’on sait que les circonscriptions des Français de l’étranger forment la première circonscription de France, plus de deux millions de personnes. En cinq ans, le nombre d’électeurs inscrits sur les seules listes de la septième circonscription a augmenté de plus de 11000 personnes et tous les Français ne s’inscrivent pas sur les listes électorales.

Cet enjeu de cohésion sociale est au centre de mes préoccupations. Je crois qu’il faut convaincre nos compatriotes de l’importance de la relation à l’autre et de la relation au groupe. Agir ensemble pour évoluer ensemble. Il n’y a pas de solution toute faite, c’est en allant à la rencontre de tous, et dans la concertation, que nous pourrons faire évoluer les choses positivement. L’étude des réseaux sociaux, par exemple, montre qu’il faut aussi repenser les modes d’accès aux informations, tout en tenant compte de la part de la population qui n’est pas encore familiarisée avec ces modes de communication. Il est clair que le changement passera, avant tout, par la mobilisation de l’ensemble des populations concernées autour d’un projet d’avenir commun. C’est le but de la mission que je mène.

Xavier Glangeaud

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