Retour à l’Ithaque

Retour à l’Ithaque

Rencontre avec le réalisateur Laurent Cantet

Les journées du film francophone ont battu de nouveaux records de fréquentation au cinéma Uránia et à l’Institut Français à Budapest . Laurent Cantet, réalisateur français qui a remporté la Palme d’Or au Festival de Cannes, en 2008 est venu en Hongrie avec son nouveau film. Il a participé à la première de son film, Retour à l’Itaque . Son héros Amadeo revient après 16 ans d’exil à la Havane et lors des retrouvailles avec ses amis d’antan, des questions d’une actualité brulante se posent. Nous avons rencontré Laurent Cantet après la projection du film.

 

 

 JFB : Votre film Entre les murs a remporté beaucoup de prix. Comment pourriez-vous expliquer le succès dans le cas d’un film qui sort de l’habituel ?

L. C. : Nous avions entamé une expérience, ne sachant même pas si un film en naîtrait. On a écrit très vite une première trame du film, puis très rapidement j’ ai réuni des adolescents au collège où j’ai ouvert un atelier d’improvisation. On a très vite senti qu’il se passait des choses passionnantes pour des ateliers, et que j’ai trouvé les acteurs incroyables. J’ai commencé à croire à ce film à ce moment-là. On a eu la chance de tomber juste. Car l’école est avant tout une chose que tout le monde considère comme très important. En France, critiquer l’école est presqu’un sport national. Et puis, le public a surtout vu que ce film dressait un portrait de l’ensemble de notre société, de notre rapport à l’autre, en particulier aux jeunes gens si souvent stigmatisés . On a peur des jeunes parce qu’ils ont cette espèce d’énergie dont on a toujours un peu l’impression qu’elle va exploser, parce que l’on dit qu’ils ne sont pas du tout cultivés, qu’ils sont un peu abrutis par leurs téléphones portables et leurs jeux vidéo. J’avais envie de donner une autre image de cette jeunesse-là. Une jeunesse, qui à la fois est très différente de ce que nous avons été , parce qu’elle est confrontée à d’autres situations. Mais il y a aussi une espèce d’intelligence des choses et une capacité à négocier et à discuter, à défendre les points de vue, même si évidemment ils ne sont pas très défendables. Mais c’est ça aussi d’être jeune, c’est de se tromper, c’est foncer dans une direction sans se rendre compte si c’est la bonne. C’est tout cela qui m’intéressait quand j’ai commencé à faire ce film.

JFB : Dans votre nouveau film on remarque derrière les scènes de la vie quotidienne cette même recherche de réflexion, d’ affronter le destin. Pourquoi avez-vous choisi Cuba pour y tourner le film ?

L. C. : C’est un endroit où je suis allé de nombreuses fois. Je crois que je suis amoureux de ce pays et des gens que j’y ai pu rencontrer. Toutes les expériences qu’ils ont pu vivre et tout ce qu’ils m’ont dit d’eux-mêmes m’a permis d’apprendre sur moi-même. Il est vrai que l’envie d’y tourner a été très forte. J’ai eu la chance de participer avant au tournage du documentaire 7 jours à la Havane et c’est à ce moment là que j’ai suggéré à Leonardo Padura, romancier cubain, de réfléchir ensemble au scénario basé sur un personnage d’un de ses livres. C’est l’histoire d’un homme qui revient d’exil et qui retrouve sa bande d’amis. Il va passer toute une nuit à discuter de tout ce qui s’est passé dans son abscence : faire le pont sur cette révolution et ses dérives. Les Cubains, même s’ils ont envie que les choses changent, que le pays s’ouvre, qu’ils aient une vie plus facile, ne sont pas jaloux d’Amérique. Mon récit se déroule à Cuba, mais mon film parle aussi de ce qui peut y avoir d’universel dans l’expérience cubaine, et cela me touche beaucoup. Ceci dit qu’à Cuba comme à Paris ou comme certainement à Budapest on peut encore débattre autour des Beatles ou des Rolling stones. Il y a une espèce d’universalité qui est traduite par cette petite discussion sur la musique qui me plaît beaucoup.

JFB : Tout au long du film, les personnages sont à la recherche du sens plus profond de leur vie, de leurs décisions, des problèmes de l’Utopie et ceux de la révolution. Comme si c’était un huis clos – mais avec vue sur l’océan. Qu’est ce que les personnages ont donc décidé ?

L. C. : Oui, pour moi, il était important de donner tout aux personnages et à leur histoire. Il m’a semblé que le meilleur moyen était de créer cette espèce de huis-clos à ciel ouvert pour concentrer vraiment la tension sur eux, sur l’histoire et nous montrer ce que leurs visages peuvent nous raconter de leur vie . Pour installer les personnages, l’un par rapport à l’autre il y a une mise en scène presque minimaliste mais absolument essentielle. Je pense que l’on a tous envie d’avoir ses utopies auxquelles on essaye de croire, on essaye de rester fidèle. Et il est vrai qu’arrivé à un certain âge, il est plus difficile de croire encore avec la même force, à ce qui nous a animé quand on était plus jeune. Le film touche quelque chose d’universel quand les personnages de 60 ans repensent toute l’histoire de leur vie. Je crois qu’une des questions du film c’est la peur que les personnages ont pu éprouver tout au long de leur vie. C’est quelque chose que les Cubains ressentent très fort. Cette peur a empéché le peintre Rafa de devenir le peintre qu’il aurait pu être. C’est la peur qui a fait qu’Amadéo est parti en Espagne et a arrété d’écrire. C’est la peur qui a fait qu’Eddy ne soit devenu le journaliste qui aurait pu devenir. Mais cette peur là est en train de disparaître à Cuba – comme le dit Amadéo. On parle , on réfléchit à ce que l’on a vécu. On est capable d’avoir un regard critique sur l’histoire récente. Il y a une dizaine d’années on ne pouvait pas avoir ce recul-là. Je pense qu’une des phrases essentielles du film c’est celle que prononce Amadéo à la fin quand il dit : « Le jour où j’ai compris que je n’avais plus peur, je me suis dit que je pourrais revenir à la Havane. » Et je pense que cela donne une perspective assez optimiste finalement à ce film qui pourtant paraît souvent assez tragique dans l’histoire que l’on nous raconte. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui est en train de changer dans la tête des Cubains, parce qu’ils n’avaient plus peur de parler aux étrangers et c’est déja un pas en avant.

Éva Vámos

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