Mystère, suspense et humour dans le nouveau film de Jean-Paul Salomé

Mystère, suspense et humour dans le nouveau film de Jean-Paul Salomé

Rencontre avec le réalisateur après la Première à Budapest

C’est dans la montagne à Megève que la comédie policière de Jean-Paul Salomé a été tournée. « Je fais le mort » -le titre hongrois est Körülrajzolva- parle de crime, de suspense et des aventures d’un comédien qui a obtenu un rôle très particulier. Le réalisateur a bien voulu nous parler de son film, sorti cette semaine dans les salles de cinéma à Budapest, et d’une manière plus générale, de la situation du cinéma français.

 

Éva Vámos : Vous êtes l’auteur de films emblématiques comme « Belphégor », « Le fantôme du Louvre » ; pourquoi avoir choisi ce sujet à présent ?

Jean-Paul Salomé : Ce n’est pas un plan de carrière où je me dis qu’il faut faire une comédie après un film noir. Non : j’ai lu un fait-divers dans un journal, c’était le témoignage d’un comédien, voire de plusieurs comédiens, qui à un moment de leur carrière avaient du mal à vivre et se sont vu proposer ce travail assez particulier qui consiste à aller jouer les victimes et les morts sur les scènes de crime lors des reconstitutions menées par la police française. Evidemment les victimes n’étant plus de ce monde, le rôle des victimes est interprété dans certaines scènes par des comédiens. J’ai trouvé ce postulat de départ très surprenant et je me suis dit qu’il y avait un film à faire avec une idée comme cela.

C’est vrai que cette histoire aurait pu être filmée sur un mode extrêmement sombre en racontant les tourments d’un comédien qui doit interpréter les morts. Mais j’ai vu le potentiel comique que je pouvais en tirer, en mariant le côté thriller et le côté comédie. Je n’ai rien inventé : c’est un genre qui existe et qui est la comédie policière, genre peut-être plus anglo-saxon que français. Les premiers films de Hitchcock par exemple étaient des comédies policières avec un mélange de mystère, de suspense et d’humour. J’ai essayé de retrouver cet équilibre - sans me comparer à Hitchcock - mais en retrouvant cette espèce de malice, d’humour, de regard amusé sur les choses.

E.V : l’action du film se déroule dans un cadre magnifique. Pourquoi avoir choisi la montagne comme lieu de tournage ?

JP.S : J’avais besoin que le comédien, les enquêteurs de la police et le juge d’instruction, se trouvent isolés dans un huis clos. Depuis longtemps j’avais envie de tourner un film à la montagne mais dans l’ambiance hors-vacances, c’est à dire au moment où les gens ne sont pas encore arrivés pour skier ; le lieu est un peu comme une Belle au bois dormant. Au moment de Noël il y a des gens partout: ils skient, ils se promènent, c’est chic, c’est le luxe. Or avant les vacances c’est un village un peu engourdi et cela m’amusait de filmer l’action dans ce village fantôme, avec une ambiance un peu sombre qui contribue au suspense.

E.V : Lors du débat qui a suivi la première projection à Budapest vous avez évoqué l’inspiration très internationale. Pourtant on avait le sentiment de suivre une comédie policière très française, pleine d’humour, même si le héros est interprété par un comédien belge.

JP.S : L’humour c’est mon humour à moi, je ne sais pas s’il est français ou autre. J’ai eu la chance de montrer ce film un peu partout que ce soit lors des projections qui ont eu lieu à New York, à Jerusalem, à Munich, à Glasgow ou au Japon. Le film amuse et les gens rient exactement au même moment. C’est un vrai plaisir pour le metteur en scène que je suis. Je pense que le film joue sur plusieurs niveaux de l’humour et pas seulement sur le dialogue qui est drôle. Le film doit beaucoup aux comédiens qui l’interprètent. Le scénario a pris corps avec François Damiens, un comédien belge qui a aussi cette sorte d’humour décalé, qui amène une étrangeté, voire même une bizarrerie. Car ce film est une comédie mais il est aussi un polar et François Damiens réussit à amener le personnage qu’il joue vers un mélange d’étrangeté et de sympathie. J’ai fait également un casting similaire pour le rôle du gendarme joué par Lucien Jean-Baptiste: un flic noir à la montagne dans une station de ski – une partie du comique vient de là.

E.V : Il y a ce regard amusé dans votre film, mais on a l’impression de voir une réalité pleine de points d’interrogation. Pourquoi un comédien de talent, sympathique, réussit-il ou non, pourquoi vit-on dans une société où il y a tant de chômage ?

JP.S : C’est un peu une radiographie amusée mais ancrée quand-même dans le réel de ce qu’est la société française d’aujourd’hui avec les problèmes du chômage, des gens qui arrivent à l’âge des premiers bilans… J’espère que le film raconte, à travers le prisme de la comédie, comment la vie est par moments un peu absurde. Le même sujet aurait pu être traité de manière totalement sombre, noire. Mais j’aime bien le traiter par l’humour en montrant le côté ironique des situations. C’est un mélange de réalisme et d’absurdité.

E.V : D’une manière plus générale comment se porte le film français et comment vous, en tant que président récemment élu d’Unifrance Films, le voyez-vous comparativement à la production cinématographique d’autres pays ?

JP.S : On est dans cette double problématique: le film français se porte bien dans une Europe qui se porte très mal. Ce n’est pas que les cinéastes français fassent de meilleurs films que les Hongrois ou les Allemands ou d’autres, mais le film français a la chance de bénéficier, depuis la Libération, d’une règlementation protectrice de la part du gouvernement. Le Centre National du Cinéma Français, qui est notre organisme de soutien, est une émanation du Ministère de la Culture et permet à l’industrie cinématographique de se développer. Ce système a permis au cinéma français en 1945 de survivre face au cinéma américain. C’est le CNC qui collecte les taxes, que cela soit pour l’exploitation dans les salles de cinéma, ou pour la diffusion sur les chaînes de télévision ou par l’internet. Le système est très simple : quand vous allez au cinéma en France il y a une petite part sur le ticket qui est collectée et qui revient au cinéma français. Tous les médias sur le territoire français payent une taxe qui qui nourrit le cinéma français. C’est une espèce de banque centrale qui collecte des moyens et qui ensuite les redistribue. C’est comme un système social : il y a des aides automatiques et puis un jury décide de donner des subventions supplémentaires à des films qui sont plus innovateurs ou plus dangereux financièrement que d’autres. Cela permet par exemple à de jeunes cinéastes de réaliser des films qui vont au Festival de Cannes. Je pense qu’il n’y a pas d’autre solution dans une Europe que de faire fonctionner ce système qui est assez vertueux.

On a la chance de produire une gamme de films très large et qui sont diffusés dans des marchés très différents. Parmi les 250 films produits par an en France il y a de belles réussites et c’est le rôle d’Unifrance Films de les promouvoir à l’international. Je pense qu’il y a une centaine de films qui s’exportent et cette année on a des chiffres assez forts sur ce plan.

Mais quand on voit des pays où il n’y a pas de volonté politique pour défendre le cinéma national, la porte est ouverte au cinéma hollywoodien. J’aimerais qu’il soit possible dans certains pays de voir autre chose que Spiderman.

En tant que cinéphile j’adore le cinéma d’auteur et les grands films américains mais il faut qu’il y ait une vraie proposition dans les salles de cinéma, ce que l’on remarque en France même dans les multiplex.

Éva Vámos

 

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